L’obligation de dépense de la loi de 1971 est le péché originel de la formation. Elle a eu des conséquences immenses sur le système de formation professionnelle. C’est l’obligation de dépense qui a induit une définition faussée de la formation. C’est elle aussi qui a créée une superstructure, les OPCA, qui montre aujourd’hui ses limites (nous détaillerons ce second point dans notre prochain post).
L’idée de départ est louable. Fin des années 1960, les entreprises ne sont pas encore converties à la formation. Seules les grandes entreprises ont un responsable de formation. Le GARF n’est créé qu’au milieu des années 1960. Il faut alors amorcer la pompe et le principe de contraindre les entreprises à le faire peut être justifié.
Malheureusement, plus de 40 ans plus tard, l’obligation existe toujours et elle est à l’origine de 3 biais majeurs.
Une vision erronée de ce qu’est la formation
Qui dit obligation fiscale, dit nécessité de contrôle. Et pour contrôler, il faut des critères précis définissant ce qu’est une action de formation. C’est ainsi qu’est née, au milieu des années 1970, une définition administrative de la formation via une circulaire. Définition administrative qui a été reprise mainte et mainte fois par le code du travail mais qui n’a pas beaucoup évolué depuis.
Cette définition est aujourd’hui largement partagée par l’ensemble des acteurs et décideurs de la formation. Elle est totalement fausse d’un point de vue pédagogique. Est reconnu comme formation en gros ce qui s’apparente au stage. Certes, les circulaires DGEFP de 2001 et 2006 ont un peu assoupli cette définition, mais dans les faits les justificatifs demandés sont d’un tel formalisme que les entreprises se simplifient la vie en ne faisant entrer dans leur budget que des formations dites “imputables“.
La formation, ce n’est pas forcément ce qui est imputable. On sait depuis longtemps que les vrais apprentissages sont ceux qui émergent de la pratique quotidienne du travail. Récemment des études américaines largement reprise par l’éditeur de E-Learning, Crossknowledge, ont formalisé cette évidence par le modèle 70 : 20 : 10.
- 70% de ce que l’on a appris vient de missions difficiles ou de challenges professionnels,
- 20% de son entourage professionnel, principalement de son supérieur,
- 10% seulement de la formation traditionnelle ou de lectures.Ce modèle a le mérite de dire simplement ce que tout le monde savait déjà, mais qu’aucun de nos décideurs ne prend en compte quand il s’agit de réformer le système de formation.
Ce modèle a le mérite de dire simplement ce que tout le monde savait déjà, mais qu’aucun de nos décideurs ne prend en compte quand il s’agit de réformer le système de formation. La formation est une prise de recul sur son expérience combinée à des savoirs. C’est pourquoi, pour un salarié, la richesse des tâches qu’il réalise est au moins aussi importante que les stages qu’il peut être amené à suivre. Quand nos décideurs parlent d’inégalité de traitement face à la formation : ils oublient ce principe pédagogique et se focalisent sur des chiffres donnant une vision tronquée de ce qu’est la formation. Les chiffres du CEREQ ou ceux de la DARES ne disent pas grand chose sur la compétence et l’employabilité des salariés. La seule mesure qui vaille dans ce domaine est l’habilitation des compétences. Or, la France est bien trop marquée son académisme éducatif pour développer des démarches de type NVQ’s comme en Grande Bretagne.
Un principe de subrogation à réinterroger
Deuxième effet pervers de l’obligation fiscale, elle a entraîné le développement massif des démarches de subrogation ou de délégation de paiement. Là aussi, l’idée est généreuse au départ. Elle doit permettre la redistribution des budgets de formation vers les TPE et PME et les salariés les moins qualifiés. Sauf que les acteurs ont su détourner à leur avantage le système. Et ce sont les grandes entreprises qui ont profité massivement de ce dispositif, allant jusqu’à transférer une partie de la charge de gestion de la formation vers leurs OPCA.
Ce système redistributif est aujourd’hui à bout de souffle et conduit à une régulation paritaire du marché de la formation.Si rien n’est fait, à terme, ce sont les OPCA qui décideront du choix de l’organisme (cela existe déjà dans certaines branches qui ont généralisé les actions collectives). Une autre voie est à inventer, incitative sur la finalité (renforcer l’employabilité des salariés) et non plus contraignante sur les moyens (obligation de dépense et délégation de gestion à l’OPCA).
Une responsabilité à mieux partager
En mettant en place une obligation de dépense, puis en généralisant la formation sur le temps de travail, les négociateurs paritaires et le législateur, ont clairement envoyé un signe aux acteurs de la formation : l’entreprise doit seule porter la responsabilité de la formation. Les conséquences là aussi ont été dramatiques. Les salariés vivent aujourd’hui la formation comme un dû, comme quelque chose de gratuit, qui finalement n’a pas beaucoup de valeurs.
Nous le constatons tous les jours dans nos pratiques que ce soit en présentiel (taux d’absentéisme grandissant dans de nombreuses entreprises) ou en distanciel (difficulté à faire adhérer en France au E-Learning alors que dans d’autres pays le développement de cette modalité d’apprentissage explose), les salariés sont relativement peu impliqués dans leur formation (le DIF a été également un révélateur extraordinaire de ce peu d’implication).
Il est urgent de rééquilibrer la responsabilité de la formation entre entreprise et salarié. L’entreprise doit prendre en charge l’adaptation de ses salariés à leur emploi (et le code de travail l’y contraint déjà depuis 2004) et le salarié doit participer (par du temps ou de l’argent) à son maintien dans l’emploi et à son développement des compétences. Cela ne veut pas dire qu’il doit être seul face à sa formation, mais qu’il doit y concourir à sa juste part. L’entreprise doit l’accompagner et lui donner les moyens quand elle le peut et évidemment, les pouvoirs publics. Le Compte Personnel de Formation doit devenir cet outil de la co-responsablité de la formation.
Remplacer le principe d’obligation par une incitation à (se) former
Si on veut changer de paradigme et sortir d’une formation bureaucratisée, il est impératif de supprimer l’obligation fiscale (cf.note en fin de post). Mais cette suppression ne peut être réalisée isolément, sous peine de voir l’investissement en formation diminuer sensiblement. L’idéal serait de la remplacer par une double incitation.
Les salariés pourraient bénéficier d’une incitation fiscale à se former. L’allocation formation pourrait être défiscalisée ainsi que les frais pédagogiques quand ils viendraient abonder des formations dans le cadre de leur compte personnel de formation.
Les entreprises devraient être incitées à accompagner les salariés activant leur compte personnel de formation. Pourquoi ne pas imaginer un système de type bonus-malus. Cela existe déjà pour l’alternance, il serait assez facile de le transposer pour la formation continue. Pour cela, il suffit de redéfinir les types d’action de formation.
Il y a aujourd’hui 13 types d’action de formation (Art.L6313-1). Deux suffiraient amplement. Cela éviterait les confusions et les fantasmes autour des 32 Milliards des fonds de la formation. Car quoi de plus éloignés qu’une action diplomante de 500 heures et une simple formation d’adaptation d’une journée sur un nouveau logiciel maison ? Ces deux types pourraient s’appeler : action de formation-compétitivité et action de formation-employabilité :
- Actions de formation-compétitivité : Pour faire simple, ces actions correspondraient à ce que l’on nomme aujourd’hui les actions d’adaptation au poste de travail (le type 1 : du plan). Par extension, elles regrouperaient toutes les actions qui ne sont pas des actions de formation-employabilité. La finalité de ces actions est de permettre à l’entreprise de développer son capital compétence en vue d’accroître sa compétitivité. L’entreprise pourrait les comptabiliser et en faire le bilan aux instances représentatives du personnel. Mais, elles ne seraient pas contraintes de procéder à des statistiques administratives puisque l’obligation fiscale serait supprimée
- Actions de formation-employabilité : Ces actions seraient définies beaucoup plus précisément car c’est elles qui pourraient faire l’objet du bonus-malus Formation. Une action de formation-employabilité devrait avoir pour but de réellement professionnaliser. Elle reposerait sur des critères précis non plus orientés seulement sur les moyens pédagogiques, comme c’est le cas aujourd’hui, mais également sur la valeur ajoutée en terme d’employabilité. Cela pourrait donner les critères suivants : parcours de développement d’au minimum 70 heures, certifiant ou qualifiant ou accompagnant une promotion ou une mutation professionnelle dans les 6 mois suivant le terme de l’action. La formation pourrait être réalisée à l’initiative du salarié dans le cadre de son compte personnel de formation et/ou de l’employeur. Elle pourrait avoir lieu sur ou hors temps de travail (avec allocation de formation).
Le bonus-malus pourrait fixer aux entreprises un objectif minimum de 10% de l’effectif formé chaque année à travers une action de type “formation-employabilité“. Si elles dépassent l’objectif, elles pourraient bénéficier d’un crédit d’impôt, à l’inverse, si elles n’y parviennent pas elles pourraient se voir affliger une pénalité. Pénalité qui pourrait venir alimenter le fond du Compte Personnel de Formation.
Note : la suppression de l’obligation fiscale n’a d’intérêt que si elle permet de débloquer le système de formation actuel et de changer réellement de paradigme. D’aucuns souhaiteraient sa suppression sans remise en cause du système. Dans ce cas, elle est plus problématique qu’efficace. Les entreprises réduiraient sensiblement leur effort de formation. Les salariés se retrouveraient seul face au marché de la formation. Dans notre 4ème post sur la réforme, nous proposerons de réorienter les différents fonds de la formation vers le nouveau compte personnel de formation que nous souhaiterions voir englober l’orientation, pour justement aider les personnes à “monter“ leur projet de formation.
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