À l’occasion du renouvellement du CQP « Initiateur Voile », Jean-Michel Hervieu de la Fédération Française de Voile nous raconte dans cet interview comment son groupe projet a utilisé les principes pédagogiques de l’AFEST, pour la réécriture du référentiel puis l’ingénierie du parcours de formation lié. Il nous explique également comment outiller tous les acteurs de la formation, dans une approche « systémique » de la réflexivité : apprenants – formateurs terrain – formateurs référents = tous réflexifs ! Une approche très intéressante, dont pourraient s’inspirer d’autres fédérations sportives et aussi des entreprises, structures associatives, la fonction publique, etc.
Henri Occre : Jean-Michel Hervieu, pouvez-vous nous dire qui vous êtes et « d’où vous venez » en matière de pratiques de l’AFEST ?
Jean-Michel Hervieu : Au sein de la Fédération Française de Voile (FFVoile), j’occupe la fonction de Conseiller Technique National en charge du service Formation et Emploi. Sur les conseils de notre OPCO, l’Afdas avec mon équipe nous avons décidé en 2022-2023 de nous former à l’AFEST. Nous avons choisi de travailler avec C-Campus. Notre projet de formation s’inscrivait dans le cadre du projet d’inclusion par le sport « La Mer est à vous ». Nous sommes 7 collègues à avoir obtenu la certification de référent AFEST, soutenus et accompagnés par les deux représentantes de l’Afdas, Valérie Raoul et Leïla Roze des Ordons (cette dernière elle-même certifiée référente AFEST).
HO : Dès cette époque, vous souhaitiez réutiliser l’AFEST dans d’autres projets de la FFVoile ?
JMH : Absolument ! Dans la préparation de notre certification de référent, nous avions déjà décidé de réinvestir, en groupe de travail, nos compétences et les méthodes AFEST dans le projet de renouvellement de notre CQP initiateur voile. Il a depuis été enregistré le 27 mars 2024 au RNCP.
HO : En quoi l’AFEST vous a aidé quand vous avez repensé ce CQP ?
JMH : D’abord nous avons utilisé les principes de l’analyse du travail réel, qui est un des piliers majeurs de la démarche AFEST. Grâce à l’analyse des situations de travail de nos collègues « initiateur voile », nous avons pu écrire les blocs de compétences du référentiel CQP, afin qu’ils collent encore plus aux réalités du terrain de nos structures « voile ».
HO : Qu’avez-vous découvert à l’occasion de cette analyse des situations de travail ?
JMH : L’analyse du travail réel et les enquêtes métier menées ont concerné des éducateurs de la voile aussi bien professionnels que bénévoles. Elle nous a permis d’identifier 3 grandes activités professionnelles pour l’écriture en « blocs » du CQP, a partir de la maquette initiale fournie par l’organisme certificateur de la Branche Sport :
- Un bloc 1 cœur de métier « moniteur monitrice » : les compétences liées à l’enseignement (conception de séance, conduite et évaluation) et donc dans une logique de relation pédagogique.
- Un bloc 2 transversal à tous les CQP sports, réorienté dans nos contextes d’école de voile. Il porte sur la posture et la communication vers nos publics de pratiquants, dans une relation « clientèle », permettant une orientation vers l’offre-produit mais également dans le cadre du fonctionnement du club ; nous y mettons aussi par exemple la posture professionnelle ainsi que la prévention de la violence et de toute forme de discriminations dans le sport, qui ne concerne pas que la voile, d’ailleurs.
- Un bloc 3 « conseiller nautique » enfin, qui porte sur la préparation et la mise à disposition du matériel aux pratiquants. En bref, tout ce qui tourne autour des activités logistique, sécuritaire et d’entretien du matériel, pour nos moniteurs-monitrices ; ce bloc est vraiment spécifique à notre discipline et il était important de la valoriser dans le parcours de l’apprenant.
HO : D’ailleurs, avez-vous impliqué d’autres personnes, que les référents AFEST, dans votre groupe de travail sur l’ingénierie CQP ?
JMH : Oui, dans une optique d’ouverture et aussi pour commencer à installer l’AFEST dans nos pratiques formatives, nous avons proposé à des collègues « non référent » de nous rejoindre dans les travaux d’ingénierie du CQP renouvelé.
HO : Dans quels autres « compartiments » que l’ingénierie de ce CQP, avez-vous également utilisé les enseignements de l’AFEST ?
JMH : Nous avons utilisé un grain fin dans l’écriture de notre REAC (référentiel emploi-activités-compétences) sur la partie « indicateurs et critères d’évaluation ». C’est aussi un des enseignements de notre formation de référent AFEST en 2023. Notre référentiel CQP devait en effet traduire le plus exactement possible l’activité professionnelle de nos moniteurs-monitrices en ce qui concerne les « attendus du job » et cela dans les 3 blocs de compétences.
HO : En quoi est-ce innovant par rapport aux anciennes ingénieries de CQP et diplômes dans le sport ?
JMH : Cette approche par les « attendus concrets du travail » nous a permis d’échapper au travail académique habituel d’écriture de référentiel. Cela a en plus conduit notre groupe de travail à se rapprocher de la réalité du métier pratiqué, pas juste de « customiser voile » un CQP sportif générique !
HO : La FFVoile s’implique dans l’insertion et l’inclusion par le sport. Dans quelle mesure en avez-vous tenu compte dans votre renouvellement de CQP ?
JMH : Dans l’étude de faisabilité du CQP, nous souhaitions faire en sorte que cette reconnaissance soit accessible au plus grand nombre. Notre groupe de travail a saisi l’opportunité d’acquisition par bloc de compétences, pour réfléchir aussi à la poursuite de l’insertion par le sport, des publics éloignés et atypiques par rapport à nos profils classiques « École de Voile », en gros des moniteurs sportifs et des « voileux ». Le premier projet AFEST que nous avons mené dans le cadre du dispositif « La mer est à vous » a été éclairant à cet égard, sur nos forces et aussi sur nos points de vigilance !
HO : Parlons un peu chiffres ! Combien de CQP pensez-vous délivrer par an ?
JMH : Notre CQP devrait concerner entre 1.000 et 1.200 personnes par an. C’est un nombre important et nous espérons que les candidats seront au rendez-vous et motivés !
HO : Et côté formateurs et accompagnateurs, combien de personnes sont impliquées pour accompagner ces candidats ?
JMH : Avant de vous donner ce chiffre, déjà permettez-moi de raconter le « tour de France » que nous avons réalisé avec mon équipe, pour présenter notre nouveau CQP et le parcours de formation qui y prépare. Sur plusieurs mois ce printemps 2024, nous avons rencontré 450 professionnels dans nos régions. Cela a représenté un gros effort en termes de communication, d’échanges afin de promouvoir notre « nouveau bébé ». Mais le jeu en vaut la chandelle car 170 formateurs référents et 350 formateurs terrain sont impliqués dans le parcours de formation menant au CQP. Notre dispositif pédagogique est très décentralisé et proche de nos structures régionales et locales, encore une fois pour coller à la réalité du terrain !
HO : La réflexivité est un des principes clés de l’AFEST et de la formation des adultes en général. Elle ne concerne pas uniquement les apprenants. Comme vous, nous pensons chez C-Campus que les formateurs et accompagnateurs eux-mêmes doivent pratiquer la réflexivité, dans une approche “systémique” ! Comment l’avez-vous intégré dans votre projet ?
JMH : C’est d’autant plus important de mettre tout le monde en réflexivité, que nous sommes aussi dans un accompagnement au changement, en matière de formation. Nous souhaitons profiter des principes pédagogiques de l’AFEST, la réflexivité notamment, pour faire évoluer les qualifications de nos deux acteurs clés :
- Nos 170 Formateurs référents : garants des parcours, notamment chargés de sécuriser le statut de nos apprenants, de la programmation et de la coordination du parcours du parcours avec les formateurs terrain, du pilotage et des échanges de pratiques entre formateurs.
- Nos 350 formateurs de terrain : responsables de l’animation des séquences de formation en centre de formation et en AFEST. Ce sont nos « accompagnateurs AFEST » à même y compris de gérer des difficultés d’apprentissage chez nos apprenants. Ce sont aussi nos « évaluateurs » de candidats au CQP, au regard du référentiel de certification, en binôme avec un jury professionnel externe.
HO : En quelques mots, comment s’articule le parcours de formation préparant au CQP ?
JMH : Il repose sur un mix à 60% en situation de travail et à 40% en organisme de formation mais aussi en clubs (préparation de séance, concepts, théoriques, appui sur du contenu et de la technique)
HO : Concrètement sur les 60% en situation de travail, pour faire évoluer les qualifications et la posture de vos formateurs référents et formateurs de terrain, que leur proposez-vous ?
JMH : Déjà nous les rassurons : les concepts AFEST, comme la réflexivité, sont assez proches de ce qui se fait déjà dans nos structures voile ! Simplement nous outillons et rendons visibles ces pratiques qui peuvent ainsi devenir de la « vraie » réflexivité ! Il ne s’agit pas de bousculer nos formateurs ! Au contraire, nous souhaitons les aider et les faire monter eux-mêmes en compétences, par la réflexivité.
HO : Vous nous avez d’ailleurs raconté que les 3 acteurs du parcours CQP sont outillés en termes de réflexivité et de traçabilité : vos apprenants – vos formateurs terrain – vos formateurs référents ! Pouvez-vous nous décrire les outils dont vous les avez équipés ?
JMV : Ces trois productions se veulent des outils simples et intuitifs. Elles sont construites en cohérence les unes par rapport aux autres : deux “planchettes”, très visuelles pour les apprenants et formateurs terrain, un livret d’apprentissage et de suivi pour le formateur référent.
Chaque acteur a son outil à lui, qui l’aide à s’interroger sur comment il avance (techniquement, etc.) et aussi sur sa « compétence » :
- pour l’apprenant-candidat au CQP : dans sa relation pédagogique avec les pratiquants voile,
- pour notre formateur terrain : dans sa compétence de formateur et sa posture d’accompagnateur avec l’apprenant,
- pour notre formateur référent : dans sa compétence de coordination et d’animation des formateurs terrain de son périmètre.
HO : C’est vrai qu’ici, on peut parler d’approche systémique de la réflexivité ! Tout le monde réfléchit à son niveau et pas seulement le moniteur apprenant. Tout le monde avance au même rythme, tout le monde progresse dans ses compétences !
JMH : Oui, on peut même dire que la réflexivité des 3 acteurs est en miroir. Nous voulions de la cohérence et nos 3 outils se ressemblent dans la forme et aussi dans la démarche proposée. La relation moniteur – pratiquant de voile qui est culturellement assez « réflexive » dans la réalité de nos clubs et centres de voile. La “planchette” ressemble ainsi dans son esprit, à ce que nous pratiquons dans nos structures voile : la fiche de préparation de séance ! Nous voulions que cela se retrouve aussi dans la relation entre le moniteur apprenant et son formateur terrain. Et également dans la relation formant le tryptique formateur terrain, apprenant et formateur référent !
HO : Comment vos collègues ont accueilli tout cela sur le terrain ?
JMH : Leurs retours sont positifs et encourageants. Aussi bien sur les outils qu’ils trouvent accessibles, ludiques, ils aiment « jouer avec », et non chronophages, que sur notre approche vis-à-vis d’eux : beaucoup de communication – une co-construction – un retour de pratiques dans nos colloques formation !
HO : En conclusion, qu’auriez-vous envie de dire à nos lecteurs en termes d’enseignements pour vous et votre équipe, à la suite de ce projet où l’AFEST a été fortement réinvestie ?
JMH : J’y vois quatre enseignements :
- Le premier est que l’on peut sortir d’une approche parfois un peu trop béhavioriste ou didactique de la formation avec les principes de l’AFEST, à condition d’être simple et d’impliquer dès le départ à la fois les gens de terrain et les professionnels de la formation !
- Le deuxième enseignement est qu’il ne faut pas rajouter du travail à nos collègues dans les structures : la formation n’est qu’une des composantes de la vie d’un centre de voile, formation en plus souvent concentrée sur quelques semaines seulement de la “haute saison”.
- Le troisième est que la réflexivité doit être systémique et orientée sur le « pourquoi », le sens de l’action, de la posture, des objectifs et leur cohérence et pas seulement sur la « recette » (le comment). Ce, quel que soit l’acteur : apprenant, formateur terrain etc. Quelque part nos outils comme le positionnement amont ou la planchette, « obligent » nos acteurs à se positionner clairement sur le « pourquoi », quel que soit leur niveau d’intervention dans le dispositif CQP !
- Enfin le quatrième enseignement est qu’en accompagnement au changement en formation, il faut y aller par étapes avec des points d’appropriation, de validation et d’amélioration continue.
HO : Un dernier mot en ce qui vous concerne ?
JMH : Comme le sentiment général de tous les acteurs mis à contribution est « on se sent utile », C’est très gratifiant pour moi en tant que chef de projet !