Dans tout juste deux mois, les organismes de formation devront faire face à la mise en oeuvre du décret qualité. Ils auront 1) à s’enregistrer sur le datadoc, 2) se faire référencer par les OPCA et 3) se préparer à l’éventualité d’un contrôle. Certes tout ceci va leur générer du travail supplémentaire, mais reconnaissons qu’ils devront faire-là ce que font n’y plus ni moins toute entreprise industrielle, le plus grand nombre des artisans et la quasi totalité des professions réglementées. Ils se conformeront à des règles qui régissent leur marché et qui d’une certaine manière le protègent.
Les trois véritables défis des organismes de formation ne se situent pas dans la réponse technicienne qu’ils apporteront aux exigences du décret qualité. Les enjeux sont ailleurs : digitalisation, passage d’un marché BtoB à un marché “B to Financeur to C”, labellisation ET certification.
Défi n°1 : repenser sa pédagogie
Le premier défi à relever, celui qui conditionne la réussite de tous les autres, est pédagogique. Le modèle du stage, un formateur face à un groupe de 12, c’est fini, F.I.N.I. L’innovation ne vient pas que du digital (e-learning, mobile learning, MOOC, classes virtuelles…). Elle prend sa source également dans l’évolution sans précédent du cadre réglementaire (décret FOAD, expérimentation FEST, fin du 0,9% et plus récemment, via la loi Travail, forfait parcours et refonte de la VAE). Les vents porteurs proviennent également des nouvelles attentes des apprenants eux-mêmes. Sans parler des effets générationnels (génération Y, Z, etc.), il est évident que la vie professionnelle s’est accélérée ces 20 dernières années. Quel que soit notre âge, notre façon de travailler a considérablement changé sous l’effet d’internet et de la mobilité. Alors, comment peut-on encore penser mettre le temps de formation sous la cloche d’une salle isolée du reste du monde dans laquelle on écouterait des journées entières quasi religieusement un formateur nous livrer la bonne parole ou, un peu plus moderne, on débattrait entre collègues pour trouver des solutions à nos problèmes ?
La formation de demain (d’aujourd’hui même pour certaines entreprises) sera multimodale, certains disent même crossmodale. Elle combinera travail et formation, formation et travail. On ira encore en formation, mais il s’agira d’événements pédagogiques ouverts regroupant à la fois des personnes dans un même lieu physique et ailleurs.
Cela pose des questions majeures aux organismes de formation :
- Comment industrialiser la digitalisation de leur formation ?
- Comment accompagner l’évolution de leurs équipes pédagogiques de formateur à médiateur ou accompagnateur ?
- Comment passer d’une formation classique (unité de lieu, de temps et d’action) à un apprentissage réellement permanent (formation en flux selon une logique de positionnement amont, parcours formatif individualisé et accompagné, évaluation aval et certification) ?
Défi n°2 : s’adapter à un marché B to FINANCEUR to C
Depuis la loi de 1971, le marché de la formation s’est structuré autour d’une logique BtoB. L’obligation fiscale a conduit les organismes de formation à se tourner d’abord vers les entreprises, puis progressivement vers les financeurs (OPCA, FONGECIF et Régions et Pôle emploi. Le DIF hier, le CPF aujourd’hui, le CPA demain changent la donne. Le client devient le salarié ou le demandeur d’emploi. Certes, la dernière réforme n’est pas allée jusqu’au modèle belge du “chèque formation“, mais on se dirige progressivement vers un changement de client.
Demain le client de l’organisme de formation sera l’apprenant lui-même. Son prescripteur restera l’entreprise pour le “hors co-financement” et l’OPCA, OPACIF ou FONGECIF et Pôle emploi et les régions pour le reste. On va se retrouver dans un modèle propablement assez proche de la santé. Tel un labo pharmaceutique, l’organisme de formation devra faire référencer son entreprise et ses produits, puis mobiliser ses prescripteurs pour qu’ils conseillent l’apprenant final à prendre son offre plutôt que celle de son concurrent.
La notion de marque, de notoriété et de légitimité, et par conséquent de standard de qualité vont devenir stratégiques. Pour inspirer confiance au “client-particulier”, il est impératif d’être connu et reconnu et de produire toujours le même produit aux mêmes normes de qualité. Le décret qualité n’est donc peut-être pas qu’une dernière lubie administrative. Cela va devenir une nécessité pour tous les organismes de formation de s’engager dans une démarche de standardisation et de capacité à reproduire la même qualité de service quelle que soit la situation. Après tout, les hôpitaux et cliniques sont déjà engagés dans cette direction. L’hôtellerie/restauration, les agences de voyages et les clubs… également. Pourquoi pas les organismes de formation ?
Défi n°3 : grossir ou s’unir
Les investissements pédagogiques et l’adaptation de son approche marketing et commerciale que nous venons de voir précédemment vont amener les organismes de formation à relever un troisième défi : la taille. Comment pourront-ils transformer leur pédagogie et investir lourdement dans le marketing B to FINANCEUR to C, s’ils restent des nains économiques ? Selon le jaune budgétaire, sur 62 658 organismes de formation, seuls 5% faisaient en 2012 plus de 750 000 euros de CA, 2% plus de 1,5 millions, 1% plus de 3 millions d’euros et 79% moins de 150 000 euros. Bref, la formation est un marché d’épiciers régulé paritairement.
Une alternative se propose alors aux organismes de formation. Grossir et risquer de perdre son agilité au profit d’une “surface commerciale” plus importante ou s’unir. Passer des partenariats avec des “pure players” du digital, s’allier aux organismes certificateurs qui peuvent être des universités ou des organismes publics ou parapublics / associatifs comme l’AFPA, les Greta, les APP…
A l’heure où les ambitions des Universités sont de plus en plus grandes, où l’AFPA se scinde en EPIC et SAS et les écoles privées trouvent dans la formation continue un relais de croissance à travers l’exigence de certification, il est urgent pour les organismes de formation de relever le défi de la taille et sortir de la logique “small (and alone) is beautiful” !