L’Insight désigne en psychologie cognitive le moment où une personne découvre soudainement la solution à un problème qui se présente à elle. L’Insight est en quelque sorte le Graal du formateur. C’est l’instant magique où il constate que ses apprenants ont compris et font le geste correct ou les opérations mentales utiles, pour traiter la situation-problème qui se présente à eux.
Ce moment est quasiment impossible à planifier, mais l’organisation du dispositif de formation mis en place et les pédagogies mises en œuvre peuvent le favoriser ou au contraire le freiner.
Qu’est-ce que l’Insight ou Moment Eurêka !
L’Insight a été découvert dans les années 1910 par le psychologue allemand Wolfgang Khöler, l’un des fondateurs de la « théorie de la Gestalt » dite en français, « Théorie de la forme ».
En faisant une expérience sur les singes supérieurs dans son laboratoire de Tenerife, il constate que ces singes sont capables de trouver des solutions pour atteindre un fruit et se nourrir, non pas classiquement par essais-erreurs successifs, mais en trouvant soudainement la solution.
Il fait l’hypothèse qu’ils ont la capacité de passer d’une configuration perceptive “A” à une configuration perceptive “B” qui leur permet d’appréhender différemment la situation et ainsi de trouver une solution pour atteindre leurs objectifs. Autrement dit en un instant, que l’on peut qualifier de magique d’un point de vue pédagogique, ils passent du stade A où ils ne savent pas faire, au stade B où ils savent faire, de « je ne sais pas » à « je sais ! ».
Ce que les singes supérieurs de Khöler ont réalisé, le savant Grec Archimède, l’aurait vécu bien avant eux quand il a découvert dans son bain le principe de la poussée. Il serait sorti en s’écriant « Hêurêka » (« j’ai trouvé » en grec ancien). Depuis, on nomme ainsi « Moment Eurêka ! », ce moment particulier où on passe de l’ignorance à la connaissance.
Un siècle après Khöler, on cherche toujours à comprendre le processus cognitif propre à ce « Moment Eurêka ! ». Des neuro-scientifiques ont découvert que ce moment singulier nous conduisait à mobiliser fortement les capacités de notre cerveau (état de vigilance, traitement du langage, mémoire) et à activer nos circuits de la récompense, qui nous procurent joie intense et soulagement. (cf. article ici). Mais il reste encore beaucoup de recherche à réaliser pour comprendre précisément ce qui se passe dans notre cerveau et comment nous arrivons à re-configurer nos images mentales pour trouver les solutions aux situation-problèmes qui se présentent à nous.
Comment favoriser l’Insight ou créer les conditions du « moment Eurêka » ?
En attendant que la recherche scientifique nous apporte les réponses précises à cette vaste question de la réalisation de l’Insight, on peut de façon pragmatique identifier les conditions qui le favorisent. Dans un cadre formatif, on peut classer ces conditions dans les trois catégories de situations classiques de formation : lorsque l’apprenant est seul (auto-formation), lorsqu’il travaille en sous-groupes avec ses pairs (co-formation), lorsqu’il est en présence du formateur.
L’apprenant seul
Quand l’apprenant est seul, cinq conditions semblent favoriser l’émergence d’un « Moment Eurêka ! » :
1) Les « pauses structurantes ». Le Moment Eurêka ! peut survenir quand on est amené à réaliser ce que l’on appelle une « Pause structurante ». On vient d’emmagasiner beaucoup d’informations (grâce à des lectures ou en consultant une vidéo), on prend le temps de mettre à plat ces informations (en réalisant par exemple une carte mentale) et tout à coup, des liens peuvent se créer, des notions peuvent se relier entre elles et nous apporter une vision différente, une représentation nouvelle du problème que l’on avait à traiter.
2) La « réflexivité post action ». Le Moment Eurêka ! peut également apparaître à la suite de la réalisation d’une action ou d’un geste professionnel, quand on prend le temps de se refaire le “film de l’action”. On devient ainsi l’espace d’un instant, l’observateur de sa propre action et on peut alors changer ses représentations sur ce que l’on a l’habitude de faire et de penser. C’est très utilisé en AFEST par exemple.
3) Le « pas de côté ». Quand on est invité à sortir de sa zone de confort et à faire un pas de côté pour traiter une situation nouvelle ou une situation identique, mais de façon différente, on peut être amené à vivre des Moments Eurêka ! On change nos représentations, on découvre sous un jour nouveau les situations que l’on a l’habitude de faire. La pédagogie du détour est à développer pour favoriser ces « Insights ».
4) La « pensée flottante ». Laisser flotter sa pensée, c’est laisser venir à soi des images mentales sans vouloir les guider, les piloter. On pratique sans le savoir la pensée flottante, quand on fait du vélo ou de la course à pied ou qu’on se laisse aller en regardant le paysage à travers la vitre d’un TGV roulant à pleine vitesse. La « pensée flottante » favorise les moments Eurêka ! Le formateur peut créer des « temps de pensée flottante » par exemple en organisant des exercices de réveil pédagogique particuliers.
5) Le sommeil. En dormant, notre cerveau reste actif et se refait le film de sa journée. Qui n’a pas vécu l’expérience de s’endormir avec un problème qui le taraude et de se réveiller le lendemain avec la solution claire et évidente ? Sachant cela, le formateur ou l’apprenant lui-même peut favoriser les Moments Eurêka ! en soignant la planification des temps d’apprentissage et en prenant les temps de sommeil en compte (par exemple en découpant une séquence d’apprentissage difficile sur deux journées distinctes, au lieu de la grouper en une seule journée).
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L’apprenant avec ses pairs
Le moment Eurêka ! peut se produire également au détour d’un échange avec ses pairs. Etre amené à dire ce que l’on a compris ou à montrer comment on fait peut nous conduire à voir sous un jour nouveau un problème ou un geste professionnel que l’on doit réaliser.
Passer d’un mode « Passif » ou simplement « Actif » à un mode « Interactif » selon la classification de Micheline Chi (cliquez ici) peut favoriser l’Insight.
Proposer des temps d’échange, de réflexion, de prise de recul en sous-groupe après des temps de présentation de notions et concepts complexes est souvent un bon moyen de faire émerger ces Moments Eurêka ! Si l’apprenant n’a pas compris après une première explication, il peut comprendre en faisant le point sur les messages qu’il vient d’entendre et en les réorganisant en vue de les communiquer à ses partenaires de formation.
L’apprenant avec le formateur ou la formatrice
Le Moment Eurêka ! peut survenir au détour d’un questionnement. En s’interrogeant sur ce qu’il sait, ce qu’il comprend et ne comprend pas, l’apprenant est amené à transformer la configuration de ses connaissances (on voit sous un jour nouveau la situation-problème à laquelle on est confronté). Et à ce moment-là, un Insight peut se produire : une nouvelle représentation de la situation-problème peut nous apparaître et la ou les solutions peuvent en découler naturellement.
Pour faire émerger ces instants magiques, le formateur ou la formatrice ne doit pas transmettre seulement de la connaissance, mais aussi questionner. Il ou elle doit donner à voir mais également inviter à s’interroger sur ce qu’apporte la nouvelle connaissance, au regard de ce que l’on savait déjà. Et pour ce faire, un questionnement de qualité est indispensable. Maîtriser et pratiquer ce questionnement est ce qui distingue le formateur-facilitateur du simple formateur-transmetteur.
Le concept d’Insight ou Moment Eurêka ! nous invite à creuser une voie pédagogique particulière. Celle de l’apprentissage par saut qualitatif, plutôt que par progrès continus (essais-erreurs ou accumulation de connaissances via des processus de transmission-mémorisation- récupération). Elle invite le formateur et la formatrice à sortir d’une vision mécaniste et productiviste de la formation pour s’engager dans une approche plus organique et biologique. Et d’une certaine manière plus aléatoire et humaniste.