Le blog de C-Campus

Plein emploi et politique de formation en entreprise

Si la conjoncture économique ne se retourne pas, nous devrions atteindre au cours des prochains semestres le “plein emploi”. C’est-à-dire, selon les économistes, un taux de chômage tournant autour de 6%. Nous étions à la fin du premier trimestre 2023 à 6,9% en France métropolitaine.

Dans ce contexte favorable, qui nous change de plus de 40 ans de chômage persistant, les politiques de formation des entreprises sont à ré-interroger. Trois stratégies sont possibles, mais elles ne se valent pas toutes.

Cet article est inspiré des échanges que nous avons eu le 8 juin dernier lors de notre 6ème rencontre du Club L&D de C-Campus consacrée au marketing de la formation. Si vous êtes responsable de formation ou responsable pédagogique et intéressé(e) pour rejoindre ce Club, contactez-nous pour en savoir plus : formation@c-campus.fr ou découvrez l’offre commerciale en cliquant ici.

La stratégie “généreuse” : continuer à former, comme en temps de chômage élevé

C’est la stratégie la plus simple en apparence, puisqu’elle consiste à ne rien changer. Les entreprises qui optent pour cette première option continuent à faire des formations courtes, du “petit perfectionnement” pour cadres et techniciens qui souhaitent se former. Elles gèrent leurs plans de développement des compétences selon une logique d’agrégation des demandes (issues le plus souvent des entretiens annuels ou professionnels). L’effort de formation reste identique, aussi bien en termes de volume que de nature.

Cette politique peut être qualifiée de “généreuse” car elle consiste à former des personnes qui vont acquérir des compétences, le plus souvent transverses et/ou transférables, qui iraient potentiellement se vendre au plus offrant, sur un marché de l’emploi de plus en plus tendu.

Ces entreprises risquent d’être doublement perdantes. Elles dépensent de l’argent en formation mais cet “investissement formation” favorise les démissions de leurs salariés. Ce qui a pour conséquence d’accroître les besoins en recrutement. Et par effet domino, de nécessiter encore plus de besoin en recrutement puis en formation d’intégration.

Le système s’auto-alimente au grand désespoir des DRH qui ne trouvent plus la main d’oeuvre nécessaire pour assurer la pérennité des missions.

La stratégie “utilitariste” : former juste assez

A l’opposée de cette stratégie “généreuse”, certaines entreprises, bien plus nombreuses, changent radicalement de logiciel. Si former, c’est favoriser les démissions, mieux vaut ne plus former du tout !

Ces entreprises ne sont pas plus inspirées que les précédentes en raisonnant ainsi. Certes, elles peuvent en apparence, paraître plus rationnelles, mais ne plus former qu’à l’essentiel (parcours d’intégration et formation obligatoire), c’est à terme assécher ses ressources humaines !

Exit par exemple les formations en management. A quoi cela sert-il de former des managers s’ils doivent partir au bout de 3 ou 4 ans ? Exit aussi les formations en langues, bureautique, développement personnel. Tout cela pouvait avoir du sens quand il y avait une obligation fiscale à former et que les salariés faisaient leurs carrières dans la même entreprise. Mais à quoi cela sert-il quand le taux de turn over dépasse allègrement les 20% et que l’obligation fiscale a disparu depuis bientôt 10 ans ? Exit, encore la formation dans un but de perfectionnement professionnel. Cela a-t-il encore du sens de mettre à jour les compétences des collaborateurs des fonctions supports et d’accompagner à l’évolution des compétences coeur de métier, quand la majorité de ses “effectifs” est composée de stagiaires, d’intérimaires, de CDD et autres sous-traitants ?

La réponse est évidente et les entreprises coupent les budgets. On renvoie au salarié la responsabilité de sa formation : “si tu as besoin de formation, pense à prendre ton CPF !”

De façon plus subtile, certaines proposent des succédanés de formation. Elles mettent à disposition des salariés, des catalogues de formation pléthoriques via des plateformes de digital learning. Année après année, ces plateformes proposent des innovations techno-pédagogiques toujours plus originales (gamification, adaptative learning, IA, etc.) mais rien n’y fait. Les salariés s’en désintéressent et les taux d’abandons en cours de réalisation restent toujours aussi importants.

Au final, la fonction formation de ces entreprises choisissant la stratégie “utilitariste”, devient une fonction secondaire au sein de la RH, supplantée par la fonction recrutement, marque employeur, RSE… Elle ne gère plus que de la data (les fameuses données des plateformes de digital learning) et s’éloigne du terrain : des managers et collaborateurs qui se débrouillent comme ils peuvent ! Et comme leur contribution de valeur devient secondaire, on leur coupe leurs effectifs et elles peuvent encore moins accompagner les managers et collaborateurs…

La stratégie “culture d’entreprise” : former pour fidéliser et développer l’engagement

Heureusement, il existe une troisième voie entre les stratégies “généreuse” et “utilitariste” que l’on peut qualifier de “développement de la culture d’entreprise”.

En temps de plein emploi, l’enjeu RH majeur est la fidélisation des salariés. Trop souvent, focalisée sur l’enjeu de recrutement, la fonction RH en oublie que moins leurs salariés démissionnent, moins les problématiques de recrutement se posent pour elles. C’est pourquoi, plutôt que de travailler à améliorer la solution (optimiser les processus de recrutement), elles feraient mieux de gérer le problème à sa source (pourquoi les gens partent et comment réduire le taux “d’attrition” !)

Et pour éviter que les salariés ne partent, il faut leur offrir évidemment des conditions de travail et de rémunération correctes et aussi une belle aventure collective. Amener les collaborateurs à avoir le sentiment que travailler dans la société X ou Y, ce n’est pas du tout la même chose que de travailler dans la société Z ou W. Et que ses challenges, ses façons de coopérer ensemble ou d’appartenir à une communauté, n’ont rien à voir avec la “crémerie d’à côté” !

En terme sociologique, cela s’appelle la culture d’entreprise. C’est l‘ensemble des croyances, des valeurs, des dynamiques collectives et des identités qui constituent le “travailler ensemble” au sein d’une entreprise. Et c’est ce qui fait toute la différence pour un collaborateur (quand on parle de sens au travail, c’est souvent la culture d’entreprise qui se cache derrière !)

La question qui se pose alors aux fonctions formation est :  comment peuvent-elles développer cette “culture d’entreprise” qui va fidéliser et favoriser l’engagement. La réponse n’est pas si complexe que cela. Il suffit de revenir aux fondamentaux et ne plus penser la formation des salariés comme un processus individuel mais comme une dynamique collective (ce qui était courant dans les années 1970/1980 et qui s’est malheureusement perdu avec les logiques d’individualisation à l’excès des années 2010/2020).

Voici quelques démarches et techniques, citées pêle-mêle, pour développer échanges de bonnes pratiques, automatismes collectifs, valeurs et croyances partagées, identités communes… :

  • Revenir au présentiel pour favoriser les temps de “commensalité”,
  • Mettre en place des séminaires résidentiels, notamment pour les managers et les équipes de mêmes fonctions,
  • Créer des “Learning week” ou “Learning festival” pour favoriser les rencontres informelles entre collaborateurs d’horizon différents,
  • Pratiquer la pédagogie des grands groupes (>12) pour brasser d’avantage les cultures métiers,
  • Développer les pédagogies interactives et non pas seulement actives, dans chacun des parcours de formation (cf. notre article sur le modèle ICAP – cliquez ici).
  • Développer les pratiques de formation en situation de travail : Action Learning, analyse de pratique, AFEST… (cf. notre article sur les différentes façons d’apprendre en faisant – cliquez ici),
  • Systématiser les parcours d’intégration avec des équipes tutorales et non pas seulement de tuteurs uniques, comme cela se pratique dans la formation en alternance,
  • Créer, animer et développer des communautés métiers,
  • Bâtir et animer des réseaux de tuteurs, formateurs et référents internes pour qu’ils développent eux-mêmes une culture commune, avant de la partager avec les personnes qu’ils forment et accompagnent,
  • Etc.

En conclusion, en période de plein emploi, il ne s’agit ni de moins former (stratégie utilitariste), ni de former autant et de la même façon (stratégie généreuse) mais de former peut-être encore plus et surtout différemment. Empiler les heures de stages, de cours digitaux ou de wébinaires, cela a encore moins de sens qu’en période de chômage élevé.

La formation doit avoir pour finalité d’accroître non plus les compétences individuelles mais les compétences collectives. Elle doit contribuer plus que jamais à créer du lien et du savoir mieux travailler ensemble. Car le coût de la volatilité des compétences ne se mesure pas qu’à l’aune des efforts de recrutement à réaliser, mais également à la qualité de la mise en oeuvre des processus de travail. Manquer de maçons pour une entreprise générale du bâtiment, ce n’est pas simplement produire des efforts importants à court terme pour en trouver de nouveaux. C’est réapprendre à travailler avec de nouveaux maçons chaque année. C’est par conséquent perdre de la fluidité dans le travail, de la coopération au sein des équipes. La question majeure pour ce type d’entreprise n’est pas seulement de former les nouveaux embauchés à devenir maçon mais surtout d’aider les équipes à mieux intégrer de nouveaux maçons et à mieux coopérer ensemble.

Vous avez apprécié cet article ? Abonnez-vous à notre Newsletter qui vous communiquera les prochains articles, à raison d’un nouvel article tous les lundis matin ! Et c’est gratuit !

 

 

Marc Dennery

Marc Dennery

The selected Optin Cat form doesn't exist.
Abonnez-vous à notre newsletter