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Concepts pédagogiques #20 : le cycle de l’apprentissage expérientiel

Le cycle de l’apprentissage expérientiel a été élaboré par David A.Kolb, pédagogue américain. Il a été publié par son auteur en 1984. Il est devenu une référence incontournable pour les formateurs et formatrices qui remettent en cause le modèle classique scolaire de type T.M.A (Transmission – Mémorisation – Application). Il a notamment fortement inspiré les principes pédagogiques de l’AFEST/FEST.

Sa popularité vient probablement d’une apparente simplicité conceptuelle. Mais derrière, ce cycle en 4 phases se cache une mise en oeuvre assez sophistiquée, pas toujours compatible avec le cadre formel d’une formation instituée, ni même avec n’importe quel apprentissage en situation de travail.

Les 4 phases du cycle de l’apprentissage expérientiel

Selon David A.Kolb, un apprentissage expérientiel réussi passe par 4 phases :

1- L’expérience concrète : il s’agit pour l’apprenant d’être confronté à une mise en situation réelle ou aménagée. Plus l’expérience sera proche de la réalité, meilleures seront les conditions d’apprentissage.

2- L’observation réfléchie : elle consiste pour l’apprenant à prendre du recul sur son action et à l’analyser. Il verbalise et “conscientise” son action. Il se remémore ce qui s’est passé, ce qu’il a vécu et ressenti. Bref, il se met en position meta et observe ce qu’il a fait.

3- La conceptualisation abstraite : elle conduit l’apprenant à élaborer de la connaissance à partir de son expérience. Gérard Vergnaud avait une formule pour cela : “au fond de l’action, la conceptualisation”. Quand on analyse ce que l’on fait, on produit consciemment ou inconsciemment des principes, des lois, des théories-en-actes, qui nous serviront quand on répètera le geste.

Exemple : si on veut accrocher des tableaux au mur avec des vis, on apprend très vite l’angle, la force à appliquer, la vitesse optimale de la visseuse.  On déduit à partir de chaque vis que l’on pose, les règles plus ou moins intuitives que l’on doit appliquer. On ira peut-être plus vite avec un tutoriel sur Youtube ou avec un ami qui nous montre, mais on finira par trouver, par tâtonnements successifs, le bon geste. Dans le modèle de Kolb, la conceptualisation abstraite peut passer par une élaboration des concepts par soi-même ou par une confrontation avec des connaissances existantes (ex. un cours digital, un exposé d’un formateur, des échanges avec des pairs).

4-  L’expérimentation active amène l’apprenant, tel un chercheur, à faire des hypothèses sur comment il faut faire pour réussir et à les tester dans une nouvelle expérience concrète. Kolb reprend à travers cette 4ème phase, une conception de l’apprentissage expérientiel élaborée dès l’entre-deux-guerres par John Dewey (cf. notre article sur la théorie de l’enquête), puis plus tard par Célestin Freinet (cf. notre article sur le tâtonnement expérimental).

L’idée de Kolb est que ces 4 phases se répètent à chaque nouveau domaine que l’on veut apprendre mais aussi pour un même domaine. L’apprentissage expérienciel est donc fait de cycles permanents de ces 4 temps.

Apports et limites du modèle de l’apprentissage expérientiel

Le cycle d’apprentissage expérientiel est d’un apport essentiel pour la pédagogie. Il présente deux avancées majeures, mais comme tout modèle, il présente aussi des limites. Nous en avons repéré deux principales.

Un modèle qui remet le travail au coeur de l’apprentissage

Le premier avantage du modèle de Kolb est de remettre l’église au coeur du village ! Le travail, l’expérience concrète, le fait de réaliser le geste ou les opérations mentales, c’est indispensable pour apprendre. Oui, l’expérience est apprenante et l’essentiel de nos apprentissages passent probablement par là. Des siècles d’éducation scolaires ont eu tendance à nous le faire oublier. Le “cycle de l’apprentissage expérientiel” nous rappelle qu’on apprend très bien en faisant et il nous donne un cadre méthodologique pour y parvenir.

Ce cadre basé sur la réflexivité dans et sur l’action (Donald Schön), la conceptualisation dans l’action (Gérard Vergaud),  le tâtonnement expérimental (Célestin Freinet), etc. est aujourd’hui autant reconnu d’un point de vue scientifique, que les approches plus classiques de pédagogie formelle. En France, des directions formation des entreprises et des financeurs publics restent encore assez peu convaincus par l’apprentissage expérientiel, mais leur intérêt actuel pour l’AFEST les conduisent quand-même à évoluer.

Une approche itérative de l’apprentissage et non plus séquentielle

Dans les modèles classiques de formation formelle, on a tendance à penser l’apprentissage comme une action “one shot”. On ne connaît pas un sujet ou ne sait pas faire ? On s’inscrit à une formation. Et une fois la formation terminée, on connaît ou sait faire. Evidemment la réalité n’est pas aussi simple. Rares sont les personnes, dans le domaine de l’apprentissage, qui passent “de la nuit à la lumière” aussi facilement !

Apprendre est un processus itératif : on fait, on réfléchit, on acquiert un premier savoir, on expérimente, on re-réfléchit, on approfondit des notions, on re-teste en faisant différemment, on se trompe et on est obligé de changer de stratégie, d’aller creuser d’autres pistes, puis on s’améliore et on affine… Bref, on avance, on recule, on boucle. Tout cela prend du temps. Mais si on veut passer de la simple connaissance à la compétence mise “mise en corps” (c’est-à-dire à la capacité de faire, en suivant des automatismes), puis ensuite à la compétence “étendue” (c’est-à-dire à la capacité à réaliser une tâche non pas dans un contexte donnée, mais dans différentes classes de situations), il faut suivre peu ou prou ces 4 phases du modèle itératif d’apprentissage expérientiel de Kolb.

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On ne peut pas toujours partir de l’expérience

Si comme nous venons de le voir le cycle de Kolb est très pertinent pour repenser sa façon d’aborder la formation (centration sur le travail, penser la formation via un processus itératif et non plus “one shot“, etc.), il présente également certaines limites. Et la plus importante réside dans le fait qu’il n’est pas applicable à tout type d’apprentissage.

Pour des questions de sécurité évidente, on ne peut pas toujours démarrer un apprentissage en partant d’une expérience concrète. Imaginez un commandant de bord apprenant à piloter un avion ou un monteur d’échafaudage débutant dans le métier appliquer le modèle de Kolb ! Ces exemples caricaturaux vous font peut-être sourire, mais en formation professionnelle, les situations d’apprentissage à risque sont fréquentes. Nous nous en sommes bien rendus compte lors du déploiement de nos premières AFEST !

Mais même pour les métiers sans risque évident, le cycle d’apprentissage expérientiel n’est pas toujours le plus efficient. Commencer par se jeter à l’eau et tâtonner, ça prend du temps. Et remplacer cette phase “brouillonne” par un apport de connaissance plus théoriques ou méthodiques, peut être bien plus efficace.

Là aussi, nos chantiers d’AFEST/FEST nous ont permis de renforcer nos intuitions. Lors de nos premières expérimentations en 2016/2017, nous avons tenté d’appliquer le modèle tel qu’il allait probablement être défini par le décret du 28/12/2018 (et qui se calquait d’ailleurs sur le “cycle” de Kolb). Après un positionnement, on mettait en situation les apprenants et on organisait les séquences réflexives. Très vite, nous avons été amené à “remettre” des temps d’apports théoriques ou de réflexivité en amont (ou en aval) de la mise en situation. Nos apprenants manquaient  souvent de connaissances ou d’expériences pour pouvoir analyser de façon pertinente la situation qu’ils avaient à gérer. Tel un néophyte qui monte sur un bateau et ne comprend rien à ce que fait le skipper, les apprenants en AFEST se trouvaient parfois désemparés face aux situations de travail auxquelles ils étaient confrontés. En ne considérant plus l’AFEST “pure et dure”, mais en l’intégrant dans un parcours pédagogique multi-modal alternant apports de contenus, réflexivité amont, mise en situation professionnelle, réflexivité et apport de contenus en aval, nous avons pu décupler l’efficacité de la pédagogie AFEST.

Des compétences de facilitateur, pas toujours faciles à acquérir

La seconde limite du cycle de Kolb réside dans la  transformation du rôle de formateur qu’elle implique. Accompagner un apprenant dans les 4 phases de l’apprentissage expérientiel, cela n’a pas grand chose à voir avec la simple transmission de connaissances en salle de formation présentielle ou à distance. Chaque phase du cycle mobilise des compétences importantes de facilitateur :

  • Pour la  première phase, celle de l’expérience concrète, il faut trouver des situations de travail pertinentes pour que l’apprenant puisse apprendre sans se mettre en danger. Le facilitateur d’apprentissage a donc une mission d’analyse du travail, en vue de l’aménager pour le rendre apprenant.
  • Lors de la deuxième phase (“l’observation réfléchie”), il faut aider l’apprenant, par un questionnement approprié, à porter un regard réflexif sur son expérience (cf. notre article sur l’analyse réflexive).
  • A l’occasion de la troisième phase (“la conceptualisation abstraite”), il faut l’amener à élaborer les concepts ou lui faire les apports théoriques pertinents qui lui permettront de retirer de son expérience, les connaissances indispensables au développement de ses compétences.
  • Enfin, lors de la dernière phase (“l’expérimentation active”), il faudra l’amener à transférer ses acquis dans de nouvelles situations de travail.

Décrit ainsi, les missions et la posture du formateur ou de la formatrice sont très proches de ceux d’un accompagnateur AFEST, voire même d’un référent AFEST. Et comme nous le constatons tous les jours, on ne s’improvise pas référent ou accompagnateur AFEST. Cela nécessite à la fois certaines aptitudes et une formation sérieuse.

Et si plutôt que d’opposer, on intégrait formation formelle et apprentissage expérientiel ?

Le modèle de Kolb est selon nous un cadre conceptuel incontournable aujourd’hui pour bâtir des parcours de formation réellement efficients. Mais il n’est pas le seul. Celui dit des “9 events of instruction” de Robert Gagné, l’est également. Ce dernier est plus proche d’une pédagogie classique formelle, où l’on apporte la connaissance avant de passer à l’action. Mais comme nous l’avons démontré dans un autre article, il ne prend pas en compte suffisamment le travail réflexif de l’apprenant, que ce soit avant l’action ou après l’action.

Il est coutume d’opposer les modèles en pédagogie : certains sont “constructivistes”, d’autres “béhavioristes” ou d’autres encore “transmissifs”. Opposer est une attitude assez stérile selon nous, car cela empêche de combiner et d’associer. Nous n’opposerons donc pas les 4 phases de Kolb aux 9 étapes de Gagné, mais nous préférerons les intégrer. Et ce travail d’intégration nous a amené à concevoir un modèle en 6 étapes, que l’on a qualifié par l’acronyme EDRACT®.

  • E pour Engagement. C’est la phase qui reprend les 3 premières étapes du modèle de Gagné et dont ne parle pas Kolb.
  • D pour Découverte. On suit un cheminement proche de celui de Gagné où l’apport de contenu est premier, mais n’est pas systématique car pour des formations de perfectionnement cette seconde phase peut être sautée.
  • R pour Réflexion avant l’action. On reprend l’idée de réflexivité de Kolb, mais on la situe dès l’amont de l’action, avant même “l’expérience concrète” afin d’en tirer le meilleur parti.
  • A pour Action. C’est la première phase de Kolb et la sixième de Gagné.
  • C pour Capitalisation. Cette cinquième phase est fortement inspirée de Kolb puisqu’elle conduit à la fois à réfléchir sur ce que l’on a fait (“Observation Réfléchie”), à approfondir des notions (“Conceptualisation abstraite) et à valider ses acquis. Kolb ne l’évoque pas mais Gagné traite le point de la validation à travers deux étapes. La 7ème qu’il intitule faire des feedbacks et la 8ème qu’il nomme “évaluation”.
  • T pour Transférer.  Ce transfert peut être selon nous double. Il peut permettre, d’une part, de ré-investir ses acquis dans une nouvelle mise en situation. C’est le sens que donne Gagné à sa 9ème étape qu’il intitule également “Transfert” et cela correspond chez Kolb à sa quatrième phase dite “d’expérimentation active”.
    Mais le transfert peut aussi amener l’apprenant à reformuler ses acquis et à les transférer à son environnement (par exemple : via une présentation ou une mini formation à ses collègues ou via la rédaction d’une note de synthèse ou d’un guide d’instruction). Cette dimension de transfert des connaissances acquises n’est, à notre connaissance, mise en évidence ni par Kolb ni par Gagné. Nous y avons été sensibilisés d’abord par les travaux de Etienne bourgeois sur le concept de subjectivation, puis par les résultats de la méta-analyse de Micheline Chi sur l’effet de l’engagement cognitif des apprenants sur la réussite de leurs apprentissages (cf. le modèle ICAP).

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Références

Daniel A.Kolb : “Experiential learning“, 1984, Englewood Cliffs, New Jersey: Prentice-Hall.

Marc Dennery

Marc Dennery

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