L’AFEST aura eu le mérite de nous rappeler les évidences : on apprend d’autant mieux que l’on est capable de réfléchir sur ce que l’on fait. Ce n’est pas seulement en accumulant des connaissances ou en répétant le geste à l’infini que l’on parvient à la maîtrise, mais en alternant temps de prise de recul et temps de mise en pratique que l’on progresse et finit par réussir les tâches qu’on doit exécuter.
La question qui se pose alors au “pédagogue” est : comment puis-je guider au mieux mes apprenants dans cette réflexion sur l’action, pour qu’ils en tirent les meilleurs bénéfices ?
Cela fait des années que nous nous la posons chez C-Campus et modestement nous avons fini par y voir plus clair et proposer aux 2000 tuteurs, référents & accompagnateurs AFEST et formateurs que nous formons chaque année, un modèle de questionnement, intitulé questionnement FAST ©.
Ce questionnement FAST© est à utiliser post action, soit après une séance de supervision, au cours de laquelle l’apprenant a fait le geste devant le “facilitateur” (tuteur, accompagnateur AFEST ou formateur, selon les circonstances), soit à l’occasion d’un retour d’expérience sur une situation passée vécue, « graine de sens » comme le dit si bien Nadine Faingold.
En tutorat, on privilégiera le premier cas, tandis qu’en formation formelle (exemple : en présentiel), on sera plus enclin à utiliser une situation passée, parfois même lointaine.
En AFEST, c’est généralement à la situation de la mise en situation professionnelle que le questionnement FAST© a lieu.
La réflexivité peut également avoir lieu en amont de l’action. Dans ce cas, un autre type de questionnement est à utiliser. Nous l’avons nommé “RIEC”© et nous vous le présenterons dans un prochain article.
Tout part de l’explicitation des faits
La base de notre modèle de questionnement FAST© est fortement inspirée de l’entretien d’explicitation, connu sous l’acronyme « EdE ». Cette technique d’entretien élaborée par Pierre Vermesch consiste à amener le professionnel à verbaliser et ainsi à conscientiser son geste et ses opérations mentales. Le but est de lui faire dire ce qu’il fait, ce qu’il voit, à quoi il pense…
Pour y parvenir, il s’agit de l’amener à adopter « la position de parole incarnée ». L’apprenant doit se référer à une expérience concrète et réelle et non pas à ce qu’il fait en général. Cela peut être l’action immédiate qui vient de s’écouler ou une expérience ancienne mais “située” et réelle.
Tout l’art de l’accompagnateur est d’amener la personne à se refaire le film de ce qu’elle a réalisé. Étape par étape, le facilitateur invite l’apprenant par un simple questionnement, à se remettre en contact avec son vécu et à expliciter ce qu’il a fait, a voulu faire et n’a pas forcément fait, ce qu’il aurait pu faire et s’est refusé à faire.
Ce temps d’explicitation est le plus long dans l’entretien FAST© et le plus important. Il peut correspondre jusqu’à la moitié du temps total de la séquence réflexive.
A NOTER : cette attitude de facilitation n’est ni naturelle pour l’accompagnateur lui-même, ni attendue par l’apprenant. Ce dernier voit à travers son tuteur, son accompagnateur AFEST ou son formateur davantage un expert qui sait et qui va lui apprendre, qu’un facilitateur qui va le questionner. C’est pourquoi, avant la première séquence de questionnement FAST©, il est impératif d’expliquer le contrat de communication : « je vais t’inviter par un simple questionnement à retrouver ce que tu as fait, afin que tu en tires les enseignements pour progresser. N’attends pas de moi que je te dise ce qui était bien ou pas bien. Tu vas le retrouver par toi-même ».
Pourquoi faire expliciter l’action est déterminant dans un processus d’apprentissage ?
Bien d’autres approches d’accompagnement existent qui ne préconisent pas de partir de l’explicitation des faits. On pense à deux approches principales :
- Les approches centrées sur le ressenti. Ces approches amènent l’apprenant à exprimer ses sentiments vis-à-vis de la situation vécue : « Comment as-tu vécu la situation ? », « Quel est ton sentiment sur ce que tu as fait ? », Etc. Elles conduisent inévitablement l’apprenant à porter un jugement qui peut aller de l’autodénigrement (« je me suis encore planté, je n’y arrive pas ») à l’autosatisfaction (« j’étais bien, ça s’est bien passé »). Ce qui a tendance à bloquer la communication, puisque l’apprenant ne peut pas avoir recours aux faits, pour se rendre compte de ce qu’il a réalisé concrètement.
- Les approches dites de feed-back. Dans le cas caricatural du feedback – évaluateur, c’est le facilitateur qui dit ce qu’il a trouvé de bien et de moins bien et invite l’apprenant à trouver des solutions pour s’améliorer. Cette technique très populaire en management est devenue contre-productive en se caricaturant. Les collaborateurs ne sont plus dupes et connaissent parfaitement les ficelles du « feed-back sandwich » : une félicitation pour une ou deux actions bien réalisées, un retour négatif pour pointer une erreur et un bon encouragement stéréotypé pour finir, du type « je suis confiant, je suis sûr que tu y arriveras la prochaine fois ! ».
L’approche par l’explicitation des faits est bien plus pertinente car elle amène l’apprenant à découvrir simplement, en se refaisant le film de l’action où la situation a dérivé, quand il a bien réagi ou quand il aurait pu mieux réagir. L’entretien d’explicitation amène dans 95% des cas l’apprenant à trouver par lui-même les difficultés rencontrées et les solutions pour y remédier.
Il arrive cependant que l’apprenant, malgré le questionnement de l’accompagnateur, n’identifie pas les difficultés. Par exemple, parce qu’il n’en a pas conscience (il est “inconscient de son incompétence”) ou parce qu’il refuse de les expliciter (cas d’évitement assez courant dans une relation managériale). Dans ce cas, il est nécessaire de s’écarter de la méthode de l’entretien d’explicitation de Pierre Vermesch. L’accompagnateur doit rappeler clairement l’écart par rapport à la norme ou l’attendu (« à ce moment-là je vois que tu as fais ceci ou cela, or la norme, le protocole, l’attendu est de faire ceci ou cela, comment expliques-tu cet écart ? Pourquoi l’attendu ou la norme est-elle ainsi ? »)
L’entretien d’explicitation, tel qu’il a été conçu par Pierre Vermesch, n’avait pas pour vocation première de faire apprendre. C’était d’abord une technique mis en œuvre par des chercheurs pour analyser des métiers sensibles puis un outil d’analyse de pratiques mis en œuvre par des facilitateurs experts. Dans une logique d’AFEST ou de tutorat et même de formation formelle, les temps de réflexivité sont bien plus courts (10 à 30’ maximum) et ils sont réalisés par des opérationnels. Un questionnement sans intervention est par conséquent quasiment impossible. Un EdE ne peut pas d’ailleurs être l’outil unique d’une séance réflexive dans un cadre pédagogique, notamment en AFEST et en tutorat.
Résumer l’explicitation de l’action par une ANALYSE des forces et des points de progrès et des SOLUTIONS à mettre en œuvre
Une fois les faits détaillés, il est temps d’amener l’apprenant à résumer ce qu’il a compris de ce qu’il a fait et n’a pas fait et à rechercher des solutions pour progresser. Ce deuxième et troisième temps du questionnement FAST© consacrés à l’ANALYSE et aux SOLUTIONS est fortement inspiré des techniques classiques d’analyse de problème popularisés par les démarches d’amélioration continue de type Lean Management.
L’accompagnateur par des questions aussi simple que : « En résumé, quels sont les succès et les difficultés que tu as rencontré dans cette expérience ? » suivi de « Et si c’était à refaire, que ferais-tu différemment ? », amène l’apprenant à ancrer à la fois ses acquis et déterminer une ou deux pistes d’amélioration personnelle.
L’important dans cette approche est que ce soit l’apprenant qui les trouve et les disent et non pas l’accompagnateur qui lui impose. Car c’est bien connu, on ne retient bien que ce qu’on a dit ! Et, sauf exception, on ne s’engage à faire que ce qui a de l’importance à nos yeux !
A noter : il peut arriver qu’un apprenant soit convaincu d’appliquer une règle ou une nouvelle façon de faire et qu’il n’y arrive pas. Tout simplement parce qu’ils a du mal à se concentrer, à y penser. L’accompagnateur peut alors l’aider en l’invitant à visualiser la solution. Par un questionnement suggestif, il va l’amener à ancrer l’acquis et à s’en souvenir. Par exemple : « Bien demain matin quand tu vas faire tes chambres… essaie de t’imaginer devant la porte de la chambre du patient X… tu t’y vois… »… « oui, je m’y vois… Et là, je stoppe mon chariot contre le mur pour qu’il ne gêne pas le passage, et je regarde mes mains et je change mes gants, mêmes s’ils sont propres… »
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Amener l’apprenant à transférer ses acquis
L’apprentissage n’est vraiment utile que si l’apprenant devient autonome et qu’il peut réinvestir ses acquis dans de nouvelles situations. C’est ce que l’on appelle en formation le « transfert pédagogique ». Plus l’apprentissage sera profond, plus le transfert pédagogique sera large et l’apprenant sera capable de gérer un plus grand nombre de situations. Il parviendra ainsi au but ultime de tout apprentissage : l’autonomie quelles que soient les situations rencontrées.
Dans le questionnement FAST©, cela correspond évidemment à la quatrième étape du questionnement, au « T » de TRANSFERT. Elle se décompose en deux temps. Le premier est inspiré des niveaux logiques de Dilts, très utilisé en coaching, et le deuxième des techniques de plans de suivi de formation.
Temps 1 : remonter si possible jusqu’aux modèles mentaux ou matrice d’action pour généraliser les acquis
Quand on arrive aux termes de la troisième étape du questionnement FAST©, l’apprenant sait comment gérer la situation qu’il a rencontrée. La prochaine fois qu’il fera la chambre d’un patient, il n’oubliera pas de mettre ses gants, pour reprendre l’exemple vu plus haut. C’est déjà ça, mais ce n’est pas ce que l’on appelle un apprentissage profond. Quand il fera demain des chambres à l’hôpital, le plus important est-ce qu’il sache qu’il doit changer des gants avant de faire la chambre ou qu’il ait le souci plus global de l’hygiène dans toutes les situations qu’il va rencontrer, tout au long de sa journée de travail ?
C’est pourquoi à travers le questionnement FAST© l’accompagnateur va inviter l’apprenant à monter au niveau de ses croyances, principes, valeurs professionnelles en lui posant la question : « Quelles leçons ou enseignements tires-tu de cette expérience que nous venons d’analyser ? » ou « Qu’est qui est important pour toi maintenant, quand tu feras une chambre d’hôpital ? »
Robert Dilts nous enseigne que lorsqu’on amène une personne à décrire une situation vécue, elle se réfère à 6 niveaux logiques :
- L’environnement : c’était où, c’était quand ? Qu’est-ce qu’on a rencontré ?
- Le comportement : c’était quoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ?
- Les capacités : c’était comment ? Quelles compétences on a mis en œuvre ?
- Les croyances : le pourquoi ? Qu’est-ce qui était important pour nous ?
- L’identité : le qui ? Qui on cherche à être dans la situation ?
- Le spirituel : à qui on se rattache ?
Les niveaux 1 et 2 de la pyramide de Dilts sont traités dans le questionnement FAST© à travers les FAITS, le niveau 3 à travers l’ANALYSE et le niveau 4 peut l’être à travers le TRANSFERT.
On va inviter la personne à mettre en évidence ce qui la guide dans l’action, les principes, les normes, les références professionnelles. Ces matrices d’action, appelées aussi par certains auteurs tels Chris Argyris ou Peter Senge, des modèles mentaux, sont des postulats, des allant de soi, des croyances tenues pour vraies qui guident son action en tant que professionnels. Elles font toute la différence entre un professionnel expérimenté et un néophyte qui n’a pas encore accès à ces valeurs professionnelles et a du mal à se guider dans l’action. Exemple pour un formateur : croire qu’il faut écouter ses apprenants et partir d’eux plutôt que de dérouler un programme avec de beaux diaporamas peut être une évidence pour un formateur expérimenté mais ne pas l’être pour un formateur néophyte qui va passer des heures carrées à peaufiner son diaporama et stresser quand il ne pourra dérouler ses 30 slides à l’heure !
Attention ! les niveaux 5 et 6 sont inaccessibles en accompagnement pédagogique et relèvent du coaching. L’accompagnateur pédagogique ne doit pas se transformer en apprenti psycho-thérapeute ! Quand on parle de croyance ou de valeurs cela doit rester au niveau professionnel. On cherchera à faire dire ce qui guide l’action du professionnel, pas qui il est ou ce qu’il croit en général. Ce serait trop impliquant dans une relation pédagogique. A noter également, tous les apprenants ne sont pas capables de parvenir à ce niveau de prise de conscience. Si à la question « quelles leçons tires-tu de ce que tu viens de vivre ? », l’apprenant répond de façon vague ou sans idée précise, il ne faut pas chercher plus loin. Il est préférable de passer directement au temps 2 du TRANSFERT.
Temps 2 : se fixer des situations concrètes pour expérimenter
Le temps 2 du TRANSFERT est beaucoup plus accessible pour les apprenants. Il repose sur la question : « dans quelles situations nouvelles pourrais-tu réinvestir ce que tu viens d’apprendre ? »
L’objectif est d’amener l’apprenant à mettre en place une stratégie pour appliquer le plus vite possible et dans le plus grand nombre de situations possibles, ce qu’il vient d’acquérir. Par exemple, l’accompagnateur pourra lui demander : « Demain, tu dois nettoyer les parties communes de l’hôpital, dans quelles situations précises pourras-tu appliquer ce que tu viens d’apprendre sur l’hygiène ? »
Vous l’aurez compris à travers ce long article (désolé pour sa longueur et félicitations à ceux qui ont eu le courage d’aller au bout !), le questionnement FAST© n’est pas un simple acronyme pour favoriser la mémorisation d’une technique utilisable en AFEST, c’est une approche qui peut être utilisée dans tous types de situations pédagogiques (tutorat, formation en alternance, formation-action et AFEST évidemment) et qui repose sur des principes pédagogiques variés et solides (EdE, niveaux logiques, etc.) sans s’enfermer dans aucune.