A chaque époque, les Directions Formation, dites aujourd’hui Directions « Learning and Development », ont répondu à des enjeux spécifiques :
- Dans les années 1950/1970, il s’agissait de répondre aux besoins d’élévation des qualifications. Les entreprises manquaient de techniciens et de cadres. Elles ont créé leurs écoles internes ou financé des écoles et centres de formation externes (telles que le CESI ou les AFPI par exemple).
- Au cours de la période 1980/2000, les Directions L&D se sont focalisées sur le perfectionnement des cadres et techniciens. C’était le temps des plans de formation annuels, voire triennaux et du développement des “Universités d’entreprise”. La formation devenait plus courte, plus ciblée. C’était aussi l’époque des formations résidentielles : les grands groupes rivalisaient pour obtenir le plus beau château, dans lequel organiser leurs formations de cadres à haut potentiel (ou “H-Pot” comme on les appelait).
- Depuis le début des années 2010, la digitalisation à marche forcée de la formation a renouvelé, sans les remettre en cause, ces politiques de perfectionnement des compétences des cadres et techniciens. On a cédé les châteaux pour investir dans des plateformes de diffusion de e-learning. Puis, gestion de la crise sanitaire aidante, la visio-formation s’est imposée. Au final, la durée des formations n’a cessé de se réduire, mais la “cible” est restée sensiblement la même. Certaines Directions L&D, depuis 2018, ont créé leurs CFA et ont pu s’adresser à des publics moins qualifiés. Mais ce type de stratégie a davantage relevé d’un effet d’aubaine (notamment les aides à l’embauche) que d’un changement d’orientation pérenne.
On peut s’interroger aujourd’hui sur la pertinence de ces politiques de formation et de développement des compétences. A y regarder de près, il paraît évident que le contexte économique et social a considérablement changé. Nous ne sommes plus dans la France de la loi Delors de 1971, ni même dans celle du Droit Individuel à la Formation (DIF) de 2004 !
A nouveaux enjeux, nouvelles stratégies formation pour les entreprises. On est en train de passer d’une formation planifiée et digitalisée à une formation rapprochée du terrain. Car, il ne s’agit plus de planifier à long terme la montée en compétence de ses « key people » comme on disait dans les années 1990/2000, mais d’accélérer l’intégration et le développement vers l’autonomie, de salariés aux carrières de plus en plus courtes dans l’entreprise.
Le monde change…
Qu’on s’en félicite ou qu’on s’y oppose, le monde de l’entreprise a considérablement changé ces dernières années. Concernant directement ou indirectement la formation, trois changements majeurs semblent actés :
Les organisations ne sont plus pérennes
Depuis le virage néolibéral des années 1980, le monde de l’entreprise est entré dans l’ère de l’accélération comme l’a démontré si bien Harmut Rosa1. Un jour c’est la digitalisation, le lendemain, la transition écologique puis l’IA. Un jour, c’est telle entreprise qui achète l’autre, le lendemain, c’est un nouveau concurrent qui joue le prédateur. Le changement devient permanent.
Les organisations sont en perpétuel mouvement. Quel collaborateur d’une grande entreprise, peut affirmer aujourd’hui que son organisation et/ou son job n’a pas changé au cours des trois dernières années ? On vit dans un monde VUCA. Faire comme si de rien n’était et continuer à faire des plans de formation annuels, voire triennaux, devient totalement anachronique.
Les salariés ne sont plus fidèles
Dans ce monde qui donne le tournis, rien d’étonnant que les salariés soient moins fidèles et veulent eux aussi “changer de crèmerie” plus souvent. L’emploi à vie, c’est fini ! Donc à quoi bon rester 5 à 10 ans dans la même entreprise ? S’il n’y a plus de carrière, pourquoi vouloir encore faire carrière ?
Quand dans les années 1990, les entreprises investissaient dans les Universités d’entreprise, elles espéraient fidéliser leurs meilleurs salariés. Mais ces derniers ont bien compris qu’à la moindre difficulté, ce pacte de vie commune serait rompu. Alors, aujourd’hui, profitant d’un contexte économique plutôt favorable, les salariés butinent d’entreprise en entreprise. Ils cherchent le meilleur pollen pour le rapporter dans la meilleure ruche (et parfois la meilleure ruche est celle qu’ils se créent eux-mêmes !). Faut-il leur en vouloir et s’en plaindre, comme certains DRH ou recruteurs en débattent à longueur de conférences sur le sujet ? Ou tout simplement l’acter et s’y adapter ?
Nous concernant, nous éviterons le jugement moral et privilégierons une explication sociologique. Si les salariés sont moins fidèles, c’est probablement parce qu’ils ont moins intérêt à l’être. Dans un monde de plus en plus flexible, chacun s’adapte. La fidélité n’est plus, d’un côté comme de l’autre, une valeur sur laquelle investir. Les Directions Formation devraient elles aussi y penser !
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Managers et collaborateurs ne veulent plus de “formation à la Papa” !
Conséquence directe de ces transformations profondes du travail, les attentes des managers et collaborateurs à l’égard de la formation évoluent en profondeur.
- Du côté, du collaborateur, il n’est plus prêt à « subir » une formation. Partir en stage pendant deux jours ne représente plus le même investissement, quand son contrat de travail est au “forfait jours” et ouvre droit au télétravail. Et encore plus quand on a pris goût, via le CPF, au plaisir de choisir sa formation et d’une certaine façon de se la financer.
- Du côté des managers, de plus en plus sous pression du fait des exigences de rentabilité à court terme, ils ne sont plus prêts à envoyer leurs collaborateurs en formation, s’ils n’en retirent pas eux-mêmes un bénéfice direct et immédiat. Les stages de formation, tout comme les parcours blended ne répondent plus à leurs attentes. Trop lourds, trop peu flexibles, aux finalités d’apprentissage pas toujours évidentes, ils ont du mal à constater un R.O.I intéressant.
Résultat des courses : les Directions Formation voient leur taux de “no show” exploser. Elles ont de plus en plus de mal à organiser des sessions de formation. Et pourtant elles ne lésinent pas sur les moyens : programmation à la carte, marketing de la formation, communication interne avec effet “Wahou”, recours à des pédagogies multimodales, etc.
… et les Directions L&D doivent également changer de logiciel !
Face à ce constat, certaines Directions L&D peuvent faire comme si de rien n’était et continuer comme avant. On connait l’issue, en ce cas ! Elles peuvent aussi, et elles sont nombreuses à avoir choisi cette voie, s’adapter, en cherchant à faire toujours plus de la même chose. Par exemple, en faisant des formations toujours plus flexibles, toujours plus courtes, toujours plus attractives…
Cette voie est intéressante. Mais à terme, elle ne permettra pas de résoudre le problème de fond. Car, faire toujours plus ou mieux de la même chose ne peut plus être la réponse adaptée, quand son environnement se transforme en profondeur. Notre préconisation est plutôt de changer de paradigme, en s’engageant dans 4 changements majeurs.
Changer d’objectif : vers l’accélération de la montée en compétences
Premier changement, le plus important, il s’agit de changer de finalité. La montée en compétences à moyens et longs termes de tous les salariés ne peut plus être la finalité d’une Direction Formation. Former pour préparer l’avenir à 3 ou 5 ans, cela n’a plus beaucoup d’intérêt, malheureusement, quand on ne sait pas comment on travaillera à 6 mois ou à un an. La formation orientée GPEC ou GEPP est une vision passéiste de la formation. Avec ce type d’approche, on n’a à peine fini l’étude des besoins en compétences, que déjà l’organisation a changé, que les collaborateurs sont partis et qu’il faut recommencer !
L’objectif prioritaire d’une fonction formation doit devenir la montée accélérée en compétences. Ce qui se traduit par :
- Pour les nouveaux entrants : tout faire pour raccourcir les périodes d’intégration en réduisant le temps entre l’arrivée dans le poste du nouveau collaborateur et sa capacité à exercer son emploi de façon autonome. Car plus la personne devient autonome rapidement, plus elle renforce son sentiment de compétence et plus il y a de chance qu’elle s’intègre efficacement.
- Pour les collaborateurs en poste : tout mettre en œuvre pour qu’ils partagent leurs expertises et se perfectionnent au fil de l’eau. Car le développement des compétences est avant tout un processus collaboratif de mise en commun permanente d’expertises entre pairs.
Changer d’approche : de la formation formelle et programmée à la formation continue en situation de travail.
La formation formelle pensée comme un acte à part du travail ne peut plus être l’approche à privilégier. On a besoin d’une formation intégrée au travail, pour rendre la montée en compétences la plus rapide possible. C’est en alternant mises en pratique, mentorat, accès à des ressources digitales, séquences réflexives, formation flash par un pair ou un expert, partage de bonnes pratiques, etc. que chaque collaborateur peut développer le plus efficacement possible ses compétences.
Les managers le savent bien et ils organisent autant que faire se peut des parcours d’intégration ou des rituels de formation, pour favoriser le perfectionnement de leurs équipes. Mais ils sont souvent bien seuls et peu accompagnés pour mettre en place des dispositifs de montée en compétences efficients.
Il revient aux Directions L&D d’aider les managers et de leur proposer de nouvelles approches de formation basée sur l’apprentissage collectif en situation de travail. On peut l’appeler AFEST, FEST, Pairagogie, Co-développement, Action Learning, Mentorat ou Coaching… peu importe. L’essentiel est que la formation soit intégrée au travail, que l’organisation du travail soit pensée comme apprenante.
Changer d’organisation : rapprocher la formation du terrain
Pour que les Directions L&D jouent pleinement leur rôle d’accompagnatrice des managers et collaborateurs dans le développement accéléré des compétences individuelles et collectives, elles doivent se rapprocher du terrain. Or aujourd’hui, c’est l’inverse que l’on constate. Les budgets formations ont été centralisés ces dernières années tandis que le Digital Learning a impliqué une mutualisation des ingénieries pédagogiques (création de catalogues de cours digitaux et de parcours blended). Résultat : les Directions L&D pilotent de la data et du budget. Dans un benchmark que nous avons réalisé l’an dernier auprès de 15 grandes entreprises françaises, on comptait en moyenne 1 personne employée au service formation pour 387 collaborateurs. Comment veut-on que les Directions L&D fassent du “cousu-main”, de l’accompagnement individualisé, avec si peu ?
La solution passera par une réduction des équipes centrales de formation et par une augmentation significative des effectifs au niveau local (direction régionale, direction fonctionnelle). Au final, le solde devra être au moins positif, si on veut répondre aux véritables enjeux de développement des compétences. Les Directions Générales seront-elles prêtes à investir ? Probablement, si les Directions L&D sont capables de montrer que la montée accélérée des compétences permet de réduire les difficultés de recrutement et favorisent l’efficience, l’innovation et la qualité.
A noter : il est étonnant de voir que la fonction de “montée en compétences” est aujourd’hui partagée en deux, avec d’un côté la Direction Emploi / Recrutement qui chapote le plus souvent la politique d’alternance et d’intégration des nouveaux collaborateurs et de l’autre la Direction Formation qui s’occupe du perfectionnement des collaborateurs en poste. Or les deux devraient être gérées au sein de la même Direction. Accompagner les premiers pas d’un alternant ou d’un nouvel embauché relève de la formation, au moins autant que du recrutement. Trop souvent les entreprises mettent toute leur énergie sur la “marque employeur, la définition de poste, le sourcing, la sélection des candidats et elles laissent de côté l’accueil, la qualité de l’intégration et la montée en compétences pendant les premières semaines ou les premiers mois du collaborateur. Résultat : le taux de rupture de contrat au cours de la première année ne cesse d’augmenter.
Changer de profils : du manager/gestionnaire de formation à l’accompagnateur des apprentissages en situation de travail
À nouvelle organisation, nouveaux profils pour exercer la mission. Dans les années 1970/1980, les responsables de formation étaient le plus souvent d’anciens formateurs. Dans les années 1990/2010, ils sont devenus des managers gestionnaires. On a centralisé la gestion et le budget formation et on a créé des CSP (centre de service partagé). Dans les années 2010/2020, on a complété ces équipes de gestionnaires par des experts en ingénierie pédagogique, Digital Learning et même pour les plus grandes entreprises de Data Scientists pour analyser les données des plans de formation.
Pour relever les défis de la fabrique accéléré des compétences, on a besoin aujourd’hui de véritables “accompagnateurs des apprentissages en situation de travail”. Des personnes capables d’analyser le travail, d’identifier les compétences critiques, de mettre en place des organisations favorisant l’apprentissage en continu, etc. Et pour cela, il ne faut pas forcément des gestionnaires ou des ingénieurs pédagogiques, mais des personnes qui comprennent le métier et sont des interlocuteurs reconnus par les managers et les collaborateurs. Bref, des profils à la croisée de la pédagogie, de l’analyse du travail et de l’ingénierie de compétences. Capacités que l’on retrouve chez des expert-formateurs, des consultants métiers ou RH et bien sûr chez des référents AFEST.