Pour certaines entreprises, la campagne des entretiens annuels bat son plein. L’occasion de voir fleurir un terme de plus en plus usité : la cascade des objectifs. On cascaderait les objectifs comme on cascade les messages de la direction, par le canal hiérarchique. Attention ! Si les mots ont un sens, celui de cascade n’est pas forcément bien choisi.
La déclinaison des objectifs commence toujours bien
Analyses personnelles, intuitions issues d’une observation du terrain, expériences concrètes, discussions informelles, confrontations constituent le matériau de départ. Un département Stratégie et Planning le rationnalise. Il passe à la moulinette l’environnement de l’entreprise, met en exergue ses forces, faiblesses, etc. Le résultat est souvent brillant : diagnostic fouillé, objectifs clairement définis, stratégie articulée. On s’en félicite, entre soi, en CoDir. Mais l’exercice reste abstrait. Forcément et nécessairement abstrait. Personne ne peut décliner des objectifs concrets pour 200 personnes. Imaginez la difficulté de l’exercice pour 60.000 collaborateurs ! Cette phase de conception est avant tout intellectuelle. C’est ensuite que démarre la concrétisation. Et que les choses se compliquent…
La cascade est une mauvaise analogie
La cascade est un terme trompeur. C’est une mauvaise analogie ou – à tout le moins – une analogie incomplète qui laisse penser une déclinaison a minima des objectifs et des réactions inexistantes face à eux. L’objectif se décline en descendant le long de la ligne hiérarchique et dans les différents métiers. C’est à dire qu’il se transforme. C’est la condition sine qua non pour qu’il soit réaliste, pertinent et opérationnel (sans mentionner « atteignable »). Cette transformation se fait à l’occasion d’un entretien entre deux personnes : le manager et son collaborateur. Jusque là, tout le monde est d’accord.
Le feed-back est rare dans la cascade
La ligne hiérarchique trouve, d’ailleurs, dans ce processus de transformation, sa première justification : elle est bien là pour transmettre les ordres si on parle concrètement. Mais elle est aussi là pour remonter à l’échelon supérieur la façon dont les objectifs sont appropriés (ou pas) par les étages d’en dessous. Car, de ce détail, dépend la bonne exécution. Or, ce feed-back est rare. Bien entendu les retours sont formalisés par les entretiens annuels. Le manager sait ce que son collaborateur pense des objectifs qui lui sont attribués. Mais quel Comité de Direction demande comment se passe la déclinaison des objectifs ? Quel organe de direction invite quelques managers opérationnels à venir partager avec eux les retours de leurs équipes ? Quel dirigeant prend un moment pour traiter ces retours et comprendre comment ses propres objectifs ont été reçus ? Très peu. Le saumon qui remonte la cascade n’est pas une image très populaire.
Sir, Yes, Sir !
L’échelon supérieur ne veut pas souvent savoir comment s’est déroulé la descente : aucune envie de voir ses propres objectifs remis en cause pour des questions d’exécution. Cette remise en cause est –pense-t-il – celle de sa propre position. Il estime aussi que les échelons inférieurs sont là pour exécuter même s’il ne le déclare évidemment pas comme cela. Le niveau du dessous, lui, a reçu l’objectif cascadé. Il veut d’abord montrer qu’il est loyal vis à vis du niveau supérieur et efficace dans la descente. Pas nécessairement dans l’exécution… On arrive ainsi à des situations incongrues. Dans une grande entreprise industrielle, le PDG se retrouve sur un site où il se rend vite compte que l’encadrement avec qui il échange n’a toujours pas compris le plan stratégique… vieux de 3 ans, même si les affiches « En route vers 2015 » sont partout.
Les cascadeurs sans filet
Entre stratégie et exécution, il faut de l’efficacité. C’est-à-dire une capacité à discuter de la stratégie (et non pas discuter la stratégie…) de la part du Comité de Direction et un courage de remontée d’informations de la part des managers. Chaque membre de la direction devrait passer du temps sur le terrain avec ses équipes pour expliquer, illustrer, écouter, argumenter. Cette mission ne remplace pas la cascade, elle la complète. Elle renforce considérablement les managers, premiers cascadeurs d’une stratégie qu’ils interprètent, sinon, comme ils peuvent.
A chaque cascade, ses saumons
Ce retour rapide, fiable et franc sur les déclinaisons des objectifs permet alors de corriger l’exécution en temps réel : changer certains moyens (en renforcer quelques uns ; en supprimer d’autres), amender certaines informations, passer plus de temps à expliquer. La cascade descend de l’eau vive vers les échelons du dessous pour irriguer les missions mais elle autorise aussi la remontée des saumons vers la source pour donner une vision précise de l’exécution.
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