A l’invitation de Jean-Patrick Gille, député PS d’indre et loire, étaient rassemblés, mercredi 16 octobre, les prinicipaux acteurs de la réforme de la formation professionnelle. Après une introduction de Michel Sapin, trois tables rondes ont permis de faire le point sur le Compte personnel de formation. Voici ce qu’il faut retenir d’essentiel en 14 questions-réponses et quelques morceaux choisis.
Les contours du CPF sont-ils figés ?
“Objet Juridique Non Identifié“, comme l’a rappelé Jean-Marie Luttringer, les contours du CPF restent encore à finaliser. Plusieurs scénarios sont encore possibles. Les prises de position des intervenants du colloque oscillaient entre un “DIF plus“ et un “Super CIF“. Déjà, certains protagonistes de la négociation nous assurent que le CPF mettra plusieurs années à s’installer. Nous partageons ce point de vue.
Le CPF va être construit progressivement, comme ses ainés (DIF, CIF…). Cette élaboration sera d’autant plus longue qu’elle implique non seulement les partenaires sociaux, mais également Pôle Emploi, l’Education Nationale et les Régions. Rarement une réforme a impacté autant d’acteurs.
Quand y verrons-nous plus clair sur le CPF ?
Le Medef va soumettre un premier texte aux négociateurs syndicaux lors de la prochaine réunion du 23 octobre. Mais ce texte ne traitera pas des questions financières. La dernière date de réunion de négociation est prévue le 12 décembre, mais déjà il se murmure qu’une autre réunion sera nécessaire. Peut-être avant Noël, très certainement début janvier (comme en 2009 et 2011). Parallèlement, un décret du ministère de l’Education Nationale devrait préciser les contours du CPF pour les “jeunes sortis du système scolaire sans qualification“ (en février a priori), et les Régions devraient prendre position sur l’abondement pour les publics demandeurs d’emplois ou “ni-ni“ (ni demandeurs d’emploi, ni à l’école).
Qu’est-ce que le CPF ?
Un outil ? un dispositif financier de plus ? Un compte ? Un droit opposable ? Un réceptacle ?… Les intervenants des tables rondes ont eu du mal à définir le CPF. C’est dire combien sa conception reste encore ouverte. Le Medef a surpris l’assemblée en parlant de droit opposable à l’employeur. Il serait donc plus proche du CIF que du DIF qui nécessite l’accord de l’employeur. Un consensus est apparu sur le fait qu’il devait avoir son propre financement. Il ne devrait pas être un simple “chèque formation“ mais plutôt un droit individuel garanti collectivement. Ce qui suppose d’organiser concrètement cette garantie collective (qui paie ? qui assure de la qualité des prestations ?).
Qui pourra bénéficier du CPF ?
A priori tout le monde ! C’est-à-dire les salariés, mais aussi les demandeurs d’emplois, “toutes personnes entrant sur le marché du travail“. Les fonctionnaires devraient suivre dans un deuxième temps (comme pour le DIF en 2007). Pour l’instant seuls les retraités et les travailleurs non salariés semblent en être exclus.
Cette définition très étendue des bénéficiaires pose un problème de financement. C’est pourquoi des priorités devraient être fixées. Catherine Perret (CGT) en a fixé quelques unes en les énonçant comme de nouveaux droits : “droit à la sortie de l’illettrisme, droit à la reconversion pour toute personne en situation de handicap, droit à la sécurité professionnelle, droits à la qualification différée, droit à la prévention de la pénibilité, droit à un niveau de qualification supérieur…“ Daniel Assouline (Ministère de l’Education) a complété ces priorités par “le droit à revenir à l’E.N pour obtenir un diplôme de niveau V“. Bref, la liste est longue et si tout est prioritaire au final rien ne le sera vraiment. Ce qui fut le cas des priorités DIF ou Période de professionnalisation en 2004.
Touchera t-il beaucoup de monde ?
La question peut paraître étonnante (si c’est un droit, le CPF touche par définition tout le monde), mais Stéphane Lardy (FO) en posant cette question a mis le doigt sur l’enjeu des négociations en cours. Si on veut que le CPF touche un très grand nombre de personnes, il faudra ouvrir les critères d’éligibilité et limiter sa durée. A l’inverse, si on souhaite un dispositif ciblé (qualifiant pour quelques publics prioritaires), on resserrera les critères et on allongera la durée. Car tout cela se fera à budget limité.
Nous faisons le pari que le CPF visera plutôt tous les publics tout au long de leur vie (il sera universel) et différencié (diplomant pour les jeunes entrant sur le marché du travail ou les demandeurs d’emploi d’un côté et plutôt de courte durée et pas forcément diplômant pour les salariés en entreprise).
Quelles actions pourront être prises en charge ?
Les critères d’éligibilité devraient être plus stricts que pour le DIF mais pas forcément aussi sélectifs que pour les CIF financés par les FONGECIF. Régions et Education Nationale sont pour des formations diplômantes, les syndicats pour des formations apportant une qualification supérieure reconnue par les entreprises, et le Medef et la FFP pour des actions professionnalisantes fléchées vers les besoins en entreprise. C’est donc le financeur qui décidera in fine du type d’action pris en charge. Mais pas sûr que les syndicats aient gain de cause.
Sera t-il comptabilisé en heure ou en monnaie ?
Pour l’instant les textes indiquent que chaque personne comptabilisera 20 heures par an avec un plafond de 120 heures. Mais les intervenants semblaient s’accorder sur le fait que ces durées pourraient être revues grâce à la négociation en cours. Le nombre d’heures importe peu d’ailleurs (on l’a vu pour le DIF), ce qui compte c’est la possibilité de les utiliser. C’est pourquoi certains intervenants ont suggéré de comptabiliser en argent sonnant et trébuchant plutôt qu’en heure (comme c’est le cas aujourd’hui pour le DIF portable qui semble assez bien fonctionner si l’on en croit Jean Bassères DG de Pôle emploi).
Comment sera t-il financé ?
Le financement reste LA question cruciale du CPF. Les intervenants impliqués pour la plupart dans les négociations en cours sont restés très discrets, pour ne pas dire muets. Mais un bruit circulait en coulisse que la négociation pourrait aboutir à une obligation “0,3% CPF“ prise sur l’obligation fiscale de 0,9% qui pourrait quant à elle disparaître pour les entreprises de plus de 250 salariés.
Par qui sera t-il géré ?
ACCOSS, UNEDIC, Caisse des dépôts, FPSPP… là aussi beaucoup de noms circulent. En tous les cas, il faudra trouver une caisse pour recueillir les financements des entreprises et les redistribuer aux… entreprises mais aussi à Pôle emploi. Qui dit caisse, dit frais de fonctionnement. Il faudra rester vigilant sur ces frais surtout si les montants de collecte restent limités.
Comment s’articulera t-il aux autres dispositifs existants ?
Le CPF devrait venir compléter l’armada de dispositifs existants. Seul le DIF devrait disparaître. Les organisations syndicales veulent “sanctuariser le CIF“. Quant au plan et à la période de professionnalisation, il n’est pas question d’y toucher, non plus. Le CPF pourrait venir les compléter : le salarié pourrait abonder avec son CPF comme c’est le cas aujourd’hui pour le DIF. L’idée de parcours co-construit perdurerait ainsi.
Sera t-il lié au futur conseil en évolution professionnelle ?
La réponse est oui, évidemment ! CPF et conseil en évolution professionnelle sont apparus comme les deux faces d’une même pièce, les deux outils d’un même droit à la sécurisation des parcours professionnels. Les imbrications pourraient être complexes. Certains ont évoqué l’idée d’un conseil en évolution professionnelle comme préalable à un départ en formation dans le cadre d’un CPF. D’autres ont imaginé que le CPF pourrait venir financer une action de conseil en évolution professionnelle.
Aura t-il un lien avec le compte pénibilité ?
Oui. Les points pénibilité (dont les 20 premiers seront consacrés à la formation) seront gérés via le CPF. C’est un peu de simplification dans un système déjà suffisamment complexe comme cela.
Aura t-il un impact sur l’offre de formation ?
Difficile de dire pour l’instant. Tout dépendra du flux financier drainé par le CPF. Le DIF devait avoir un impact fort sur l’offre, mais finalement il est resté limité car les salariés ne se sont pas appropriés le dispositif. Si le CPF est un succès, il orientera certainement l’offre vers des actions davantage diplomantes ou certifiantes. S’il reste confidentiel, rien ne changera.
Il est à noter que le sujet de la certification des organismes de formation n’a été traité qu’à la marge par les intervenants. Ils n’ont été précis que sur un principe : les organismes de formation ne pourront pas réaliser des prestations de conseil en évolution professionnelle. C’est relativement étonnant car beaucoup d’organismes de formation sont agréés bilan de compétences.
Le CPF permettra t-il de simplifier le système de formation ?
Tous les intervenants appelaient de leurs voeux une simplification du système de formation. Mais s’ils le souhaitent très fort, ils n’en semblent pas pour autant convaincus. Nous non plus et nous faisons le pari que le système sera encore plus illisible aux yeux des bénéficiaires de la formation après qu’avant la réforme.
Et pour finir quelques morceaux choisis…
Michel Sapin
“Le CPF est la colonne vertébrale, mais pas tout le corpus de la réforme“
“Le CPF est l’indispensable bagage épaulant chacun dans son parcours“
“Les propositions des partenaires sociaux (pour le financement du CPF) pourraient rebattre les cartes du financement de la formation professionnelle“
“Le CPF nouvel équilibre entre initiative individuelle et sécurité collective“
Danielle Kaisergruber, présidente du CNFPTLV
“Le CPF ne doit pas être un dispositif de plus, mais un vecteur permettant de réorienter le système de FPC“
“La complexité ne sert jamais à ceux qui ont besoin de se former“
Antoine Foucher, Direction relation sociale, éducation, formation au Medef
“Le CPF doit reposer sur deux principes : liberté et responsabilité“
“Le Medef n’a aucun problème pour discuter d’un financement dédié pour le CPF“
“Il faut un fléchage du CPF vers les besoins en compétence des entreprises“
Catherine Perret, CGT
“Le DIF sera absorbé dans le CPF“
“Flécher 0,3% de la masse salariale des entreprises vers le CPF ne couvrirait que 3 à 4% des 15 millions de salariés. On n’est pas à la hauteur de l’enjeu !“
Marie-Andrée Seguin, CFDT
“Les négociateurs syndicaux souhaitent pour l’instant la sanctuarisation du CIF : on ne lachera pas la proie pour l’ombre !“
Jean-Marie Luttringer, expert en droit de la formation
“Le seul dispositif qui a du sens et qui fonctionne, c’est le CIF“
“Le CPF est une assurance formation contre le risque d’obsolescence des connaissances“
Emmanuelle Peres, déléguée générale FFP
“La liste prioritaire des actions éligibles au CPF ne doit pas limiter le nombre d’organismes et l’innovation dans le domaine de la formation“
Le colloque en vidéo
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