L’accord formation ne révolutionnera peut être pas les pratiques de formation, il propose cependant un nouveau pacte autour de la formation. Mais les entreprises, les salariés et leurs représentants se l’approprieront-ils ?
Moins de budget formation pour une formation plus efficace
L’accord du 14 décembre dernier est bâti autour d’un équilibre assez subtil. Suppression de l’obligation fiscale en vue de réduire les budgets de formation, d’un côté, et nouvelles contraintes en terme de GPEC et création d’un CPF qualifiant, d’un autre côté, pour obliger les entreprises à réorienter la formation vers la compétitivité et l’employabilité de leurs salariés. Bref, “c’est moins pour mieux“. Moins de dépenses, mais des formations plus efficaces, car mieux orientées.
Voilà pour l’intention ! Reste à savoir si 43 ans de social-delorisme et d’obligation fiscale pourront s’effacer en un seul accord, fût-il “majeur“, comme l’a qualifié le Président François Hollande. Un accord, ni une loi, ne peuvent tout faire à eux seuls. Le précédent du DIF en est un bon exemple !
Les entreprises vont-elles oser réinterroger leur investissement formation ?
L’obligation fiscale et la croissance régulière des fonds mutualisés ont fait entrer le monde de la formation dans une routine négative. Au fil du temps, la formation est devenue l’alpha et l’omega de tout problème de développement RH. Un manager, ne sait pas manager, il y a un séminaire pour ça ! Un technicien doit se mettre au courant d’une nouvelle technique, il y a une formation pour ça ! Un collaborateur ne se sent pas bien dans son poste, il y a une formation (de développement personnel) pour ça. Comme les applis, il y a des formations pour tout et tous ! Problème, les plans de formation deviennent des agrégats de besoins individuels où il est de plus en plus difficile de lire une stratégie de formation sous-jacente. Certes, il reste toujours quelques grands projets, quelques lignes directrices, mais combien de plans compilent essentiellement des formations de maintenance, voire de confort ? Il suffit de faire quelques audits de formation pour s’en rendre compte.
En 2015, les entreprises n’auront plus l’obligation fiscale, ni la mutualisation, pour financer toutes ces formations individuelles. Vont-elles alors réduire leur budget aux seules formations d’investissement ? Celles qui sont nécessaires pour accompagner les grands projets de changements de l’entreprise et les besoins en évolution et réorientation de carrière. Allons-nous voir, pour la première fois depuis des décennies, la durée des formations augmenter ? Le taux des formations certifiantes croître ? Les formations collectives en ligne avec les projets business de l’entreprise redevenir majoritaires ?
La réponse à ces questions dépendra des micro décisions que prendront chaque DRH et comité de direction. Si l’accord formation est perçu comme un événement déclencheur, les pratiques changeront, sinon, l’histoire du DIF se répètera.
Les représentants du personnel vont-ils changer de logiciel ?
La balle est donc dans le camp des DRH et directions générales. Et les représentants du personnel pourraient les aider à accélérer leur réflexion. C’est dans leur pouvoir et même dans leur vocation. Mais vont-ils accepter eux-mêmes de voir la formation autrement ? Vont-ils s’approprier localement ce que la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC ont imaginé et que FO s’est résignée à accepter ? Rien n’est moins sûr. Pour que le changement s’engage, il sera nécessaire que les représentants du personnel acceptent de discuter des finalités plutôt que des moyens. Qu’ils exigent de l’entreprise des résultats en terme d’accompagnement des évolutions RH (intégration, mobilité interne comme externe…) et non pas seulement des moyens supplémentaires. Discuter d’un taux d’accès à la formation ou d’un nombre d’heures moyen ou de budget global d’investissement n’a pas beaucoup d’intérêt si tout cela ne sert pas des finalités de qualification, d’employabilité ou de compétitivité.
Avec l’accord formation du 14 décembre, ils ont toutes les cartes en main pour passer d’une logique de moyen à une logique de résultat : nouvelles informations CE, accord GPEC élargi à de nouveaux thèmes, plan de formation triennal… A eux de saisir les opportunités.
Les salariés vont-ils enfin croire à la formation ?
La position des syndicats dépendra certainement de l’attitude de ceux qu’ils représentent. Au final, ce seront certainement les salariés qui feront la réforme. En 2004, ce fût malheureusement le cas. Car au final, 10 ans après, si le DIF n’a pas décollé, c’est tout simplement parce que les salariés ont estimé qu’il n’était pas une bonne réponse à leur besoin. Et peut-on leur reprocher ? Certainement pas, ils se sont simplement comportés comme des agents économiques rationnels.
Qu’en sera t-il du CPF ? Le CPF présente a priori trois avantages sur le DIF :
- il est qualifiant,
- il peut être dans certains cas reconnu par l’entreprise (formation hors temps de travail)
- et, surtout, il peut être opposable à l’employeur suite à un abondement correctif, dans le cadre d’une formation reconnue par accord de branche ou d’entreprise ou une formation socle commun de compétences.
Mais le CPF exigera des efforts de la part du salarié. La formation devrait être longue (jusqu’à 150 heures voire plus), réalisée partiellement ou totalement hors temps de travail et, parfois même, financée partiellement par le salarié lui-même (principe d’abondement). Bref, le CPF, n’est pas le DIF. Ce n’est pas “3 à 4 jours pour changer d’air“, c’est un véritable investissement. Le CPF est à ce titre plus proche des lois Debré de 1959 et 1966 que de la réforme de 2004. Mais on n’est plus dans le contexte des trentes glorieuses. La formation, n’est plus la garantie d’un avenir meilleur. Les lois Debrés étaient des lois de “promotion sociale“, celles de 2013/2014 sont des lois de “sécurisation de l’emploi“ et cela change tout. Pourquoi est-ce que je me formerai si ce n’est pas pour évoluer professionnellement et financièrement ? Souhaitons que les salariés ne raisonnent pas ainsi et qu’ils se formeront parce qu’ils souhaitent simplement sécuriser leur parcours et qu’ils aiment apprendre. Mais reconnaissons que cela reste hypothètique. Tel est peut-être le vrai pari de la réforme !
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