Les décrets commencent à sortir. Les commissions (CPNE, COC, COPANEF, COPAREF…) à produire l’ébauche de listes et référentiels. On y voit un peu plus clair sur les orientations précises de cette loi. Une question s’impose : et si on s’était trompé de cible ?
Former mieux avec autant, voire moins : oui, mais…
L’objectif assigné au nouveau cadre légal fait consensus. En période de crise, il faut former mieux avec autant. Impossible d’en remettre au pot.
La suppression de l’obligation fiscale s’est donc (naturellement) imposée. Exceptée la CGPME (non signataire), gouvernement et partenaires sociaux se sont accordés pour une limitation des dépenses de formation, voire une diminution : transformation d’une obligation fiscale globale de 1,6% de la masse salariale en une obligation conventionnelle de 1%.
Parallèlement, les fonds mutualisés sont totalement orientés vers des formations qualifiantes ou socle commun de compétences. 0,2% FONGECIF adossé au CPF, 0,2% FPSPP fléché en grande partie vers les formations demandeurs d’emploi, 0,4% contrat et période de professionnalisation version 2014 et bien sûr 0,2% CPF, pas 1 euro ne doit manquer à la qualification ou requalification des demandeurs d’emploi et des salariés qui ont rencontré des difficultés scolaires ou sont confrontés à des ruptures professionnelles.
Résultat des courses : le “former mieux avec autant“ va se transformer en “former moins les salariés qualifiés et requalifier les salariés en difficulté“.
Former n’est pas éduquer !
Le projet de socle commun de compétences est à ce titre instructif. Vous n’y trouverez ni l’anglais, ni aucune langue étrangère, mais vous pourrez (ré) apprendre le français, le calcul et la règle de 3 et à manier le “mulot“ de votre ordinateur. Vous pourrez acquérir les gestes et postures de sécurité ainsi que le savoir vivre professionnel, mais il faudra repasser pour vous ouvrir au monde digital et naviguer avec aisance dans l’univers des réseaux sociaux professionnels.
A la lecture détaillée du S3CP (socle commun de connaissances et compétences professionnelles), il s’agit donc davantage de finalités d’éducation que de formation. L’orientation prise dans l’élaboration des listes CPNE, COPANEF et COPAREF semble participer du même objectif. Une priorité forte est donnée aux formations diplomantes, et aux titres professionnels. Dans l’inconscient paritaire et gouvernemental “former mieux“, signifie concrètement diplômer et obtenir des certifications via des formations longues ou des VAE.
Cette orientation est tout à fait défendable. Et permettra de limiter les excès de la stagification, conséquence de la loi de 1971. Mais le “tout qualifiant“ n’est pas non plus la solution. Les entreprises ont davantage besoin de perfectionner en permanence leurs salariés pour qu’ils innovent et soient plus efficaces que de requalifier ou qualifier leurs collaborateurs et, indirectement, les demandeurs d’emploi. Si la France veut être plus compétitive et monter sa production en gamme, il est impératif de continuer à former les salariés les plus performants.
Et former, n’est pas éduquer ! Former, c’est développer des compétences professionnelles pointues, éduquer, c’est faire acquérir des savoirs fondamentaux et des compétences transverses et plus précisément génériques, c’est-à-dire, valables dans différents contextes professionnels et par conséquent transférables. Dans le monde de l’éducation les actions longues et “certifiantes“ s’imposent, dans celui de la formation, ce sont les actions courtes, périodiques, permanentes, disait-on dans les années 1970, qui sont la référence. On ne devient pas un bon professionnel du nucléaire chez AREVA, des rayons “Marée“ ou “Boucherie“ chez CARREFOUR ou un bon opérateur de production chez RENAULT seulement en obtenant en début ou milieu de carrière une quelconque certification. Le professionnalisme se forge à coup d’actions de formations multiples et pointues s’inscrivant dans la durée*.
Réforme de l’éducation et amélioration à la marge du cadre réglementaire éxistant
Confier aux entreprises la responsabilité sociale de la remédiation et de la qualification est un choix politique. Mais avouons qu’il aurait été plus logique de demander à l’Education Nationale de l’assumer. C’est pourquoi, on peut se demander si le Législateur ne s’est pas trompé de réforme. Il y avait certainement mieux à faire en réformant l’Education Nationale qu’en légiférant sur la formation professionnelle une troisième fois en moins de 10 ans. D’autant plus que les réformes de 2004 et 2009 n’avaient pas encore porté leurs fruits. Il était possible d’en améliorer leur efficacité en réalisant quelques modifications à la marge (rendre réellement transférable et partiellement opposable le DIF dans le cadre d’un nouvel ANI, élargir les critères d’imputabilité des actions de formation via une nouvelle circulaire DGEFP, et mettre en place un crédit d’impôt formation aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises dans le cadre du CICE)
Mais le contexte politico-social se prêtait mieux à une réforme de la formation que de l’éducation. Alors attendons 2018 ou 2019 et probablement une nouvelle réforme de la FPC. Peut-être celle-ci finira par répondre aux bonnes questions : comment inciter les salariés et les entreprises** à développer leur capital compétences dans un monde qui se digitalise et se transforme en profondeur. Mais 2018 ou 2019, c’est loin pour relever ce défi… et peut être d’autres questions auront surgi entretemps.