Le sentiment de compétence ou d’efficacité personnelle est un concept majeur, pourtant assez peu connu des praticiens en formation. Il est issu essentiellement des travaux du psychologue socio-cognitiviste Albert Bandura.
Le sentiment d’efficacité personnelle plus important que la compétence elle-même ?
Selon Albert Bandura, le sentiment d’efficacité personnelle, c’est-à-dire la croyance en sa capacité à réussir une tâche est prédictive de la réussite. Maîtriser des compétences pour réaliser une tâche n’est donc pas suffisant, encore faut-il se sentir capable de pouvoir les mobiliser. Selon Jacques Lecompte, traducteur d’Albert Bandura : “des personnes différentes avec des aptitudes identiques, ou la même personne dans des circonstances différentes, peuvent obtenir des performances faibles, bonnes ou remarquables, selon les variations de leur croyances d’efficacité personnelle. Certes le niveau de compétences influe sur les performances obtenues, mais son impact est fortement médiatisé par les croyances d’efficacité personnelle“ (Réf. 1, p. 60).
Se basant sur de multiples études et résultats de recherche, Albert Bandura propose ainsi un modèle de la performance humaine à trois dimensions dont le SEP (Sentiment d’efficacité personnelle) est déterminant.
Une portée essentielle pour la formation
Le concept de SEP nous invite à poser un autre regard sur la question de l’apprentissage au sein d’une entreprise. Se focaliser sur le développement des compétences est nécessaire mais pas suffisant. Il est déterminant de s’interroger également sur la façon dont les personnes construisent leur sentiment de compétences, ou comme le dit Philippe Carré, leur « compétence d’autoréflexion sur leur propre fonctionnement et leur efficacité personnelle »
Autrement dit, l’enjeu de la formation n’est pas seulement de développer les savoirs et savoir-faire des collaborateurs de l’entreprise mais surtout de donner confiance à chacun d’eux dans leur propre capacité à réussir les missions qui leur sont confiés. Bref, de leur permettre de “croire dans leur savoir-faire“.
Pourquoi le sentiment d’efficacité personnelle est-il déterminant ?
Le SEP joue à plusieurs niveaux dans la performance d’une personne.
D’abord, il intervient dans les motivations des personnes. Plus une personne estime qu’elle pourra réussir sa tâche, plus elle sera intéressée par la tâche elle-même. A l’inverse, celles qui manquent de confiance dans la réalisation d’une tâche auront tendance à l’éviter.
Et ceci est vrai à court, mais également à moyen et long terme. Les personnes au SEP élevé vont se fixer des objectifs élevés. Et face à un échec ou à une difficulté, elles sauront mieux gérer leur effort et persévèreront davantage.
Ensuite, les personnes ayant un sentiment de compétence élevé prennent davantage de risque et gèrent mieux le stress et l’anxiété au cours de la réalisation de la tâche. Elles perdent moins leurs moyens et par conséquent “restent compétentes“ même lorsque leur environnement devient hostile.
Enfin, les personnes qui se jugent compétentes pour réussir dans un domaine ne craignent pas de demander de l’aide en cas de difficulté. Et par conséquent, peuvent s’en sortir grâce à un réseau de pairs ou d’experts.
Les 4 sources du sentiment d’efficacité personnelle
Compilant de nombreuses études, Albert Bandura a identifié 4 facteurs favorisant le sentiment de compétences.
Première source : la maîtrise personnelle, c’est-à-dire les expériences réussies précédemment. Plus une personne est dans une dynamique de réussite, plus elle développera son sentiment d’efficacité personnelle. Bref, la réussite pas à pas appelle la performance, le cercle vicieux de l’échec la résignation.
Deuxième source : l’apprentissage vicariant ou l’apprentissage social. Voir des personnes ayant un profil proche du nôtre réussir, nous conduit à nous rassurer et à prendre confiance dans notre capacité à réaliser la tâche.
Troisième source : la persuasion par autrui. Le feed back constructif d’un pair sur sa performance, les encouragements avant de réaliser la tâche… sont autant de conditions qui favorisent le sentiment d’efficacité personnelle.
Quatrième source : l’état psychologique et émotionnel. Le stress et l’anxiété sont un frein au sentiment de compétences. Dans des situations exceptionnelles, à risque, une personne peut perdre ses moyens et s’interroger sur sa capacité à réussir. A l’inverse, dans une situation où la personne est calme et sereine, son sentiment de compétences sera renforcé.
Principes d’action pour le formateur, tuteur ou manager
- Fixer des objectifs proximaux (plutôt que des objectifs vagues et lointains)
- Développer une pédagogie de la réussite (éviter de mettre en échec les apprenants)
- Favoriser le travail en doublon ou en petit groupe afin de développer la comparaison positive entre apprenants ou équipiers (prendre soin de composer des groupes de niveaux relativement homogènes)
- Soigner le feed back et les encouragements
- Développer un esprit de conquête : exigences de résultat élevées, désir de réussir…
- Amener les apprenants à accepter l’échec et à le vivre comme un défi à relever : droit à l’erreur, volonté d’apprendre de ses erreurs…
Principes d’action pour le chef de projet formation
- Elaborer des parcours formatifs permettant aux apprenants de progresser pas à pas (apprentissage distribué plutôt que massé)
- Organiser des étapes d’évaluation formative en cours d’apprentissage
- Multiplier les séquences de travail entre pairs
- Former ou préparer les formateurs, tuteurs, managers à réaliser des feed back constructifs centrés sur la compétence de l’apprenant davantage que sur sa performance
Le sentiment d’efficacité à l’ère de la formation digitale
A première analyse, SEP et formation digitale ne devraientt pas faire bon ménage. Mais la formation digitale ne se réduit pas à la seule consultation de modules de e-learning à distance. C’est aussi les réseaux sociaux et le E-accompagnement. Et dans ce domaine, la formation digitale est bien supérieure que le simple stage pour renforcer le sentiment de compétences des apprenants :
- Occasion d’apprentissages vicariants sur les réseaux sociaux (chacun peut poster sur ses réussites et difficultés et montrer ainsi aux autres la voie)
- Possibilité de bâtir des parcours d’apprentissage parfaitement calibrés et ainsi de favoriser une pédagogie de la réussite (grâce au E-accompagnement)
- Possibilité de faire des feedback constructifs à distance grâce au E-Tutorat
- Etc.
Références pour aller plus loin…
Réf 1 : Autour de l’oeuvre d’Abert Bandura – Revue Savoirs – Hors série 2004. cliquez ici.
Réf 2 : Auto-efficacité d’Albert Bandura, Trad. Jacques Lecomte – cliquez ici.
Réf 3 : Le sentiment de compétence et l’apprentissage chez l’adulte de François Ruph – cliquez ici.
Réf 4 : les clés de la motivation au travail de Laurent Keller, p 49 et suivantes sur le sentiment de compétences – cliquez ici.