Le modelage ou l’apprentissage vicariant (ou encore “modeling” en anglais) trouve son origine dans les travaux du Psychologue Albert Bandura. Le modelage nous permet de mieux comprendre comment une personne peut apprendre par observation. Ce concept est majeur notamment pour toute pratique de tutorat et de binômage de compétences.
Bien plus qu’une simple imitation
Le modelage n’est pas un apprentissage par mimétisme, mais par effet d’observation. Comme le rappelle Philippe Carré : “On entend par modelage tout un travail d’observation active par lequel, en extrayant les règles sous-jacentes aux styles de comportement observé, les gens construisent par eux-mêmes des modalités comportementales proches de celles qu’a manifestées le modèle et les dépassent en générant de nouvelles compétences et de nouveaux comportements bien au-delà de ceux qui ont été observés. “Modeler“, ce n’est donc pas imiter, mais c’est “copier-améliorer“ des personnes de son environnement.
Le modelage a également un effet sur le sentiment d’efficacité personnelle de l’apprenant. Voir des collègues réussir, rassure avant de se lancer. L’apprenant n’est plus en terre inconnu. Il passe à l’action plus aisément.
Les quatre facettes du processus de modelage
Selon Bandura, le processus de modelage comporte 4 facettes :
- L’attention : il s’agit pour l’apprenant de porter son attention sur les “bons“ modèles puis de se concentrer dans l’observation de ces modèles afin d’en tirer le meilleur parti. L’attention porte sur ce que le modèle fait, comment il le fait (quelles astuces, quels outils…), pourquoi il le fait (les motifs de son action et les enchaînements logiques) et quels résultats il obtient (la qualité du résultat proprement dit et la reconnaissance qu’il peut en obtenir).
- La mémorisation : plus l’apprenant sera capable de procéder à des encodages symboliques, mieux il mémorisera et plus il pourra réutiliser ce qu’il a observer dans des situations diverses. Le modelage, c’est tirer parti d’un exemple pour mieux faire et pas seulement imiter ou reproduire à l’identique.
- La reproduction : l’apprenant apprend d’autant mieux qu’il peut lui-même reproduire ce qu’il a observé. Pour ce faire un contexte favorable doit se présenter (sécurisation de la reproduction, accompagnement par un tiers qui permettra de réaliser un modelage correcteur…). De son côté, l’apprenant lui-même doit être capable de pouvoir porter un regard réflexif sur sa pratique (évaluer sa performance avec objectivité, en déduire ses succès et ses difficultés… cf. à ce sujet article sur “le tâtonnement expérimental“).
- La motivation : elle est le fruit d’un renforcement qui peut-être direct (par l’apprenant lui-même qui se fixe lui-même ses propres standards de réussite) ou vicariant (à travers la propre réussite du modèle quand l’apprenant ne peut pas passer par le stade de reproduction du modèle) ou encore par le feed back d’un référent (tuteur, manager, formateur…). Ce renforcement est essentiel pour accroître le “sentiment d’efficacité personnelle“ et par conséquent la performance de l’apprenant à terme.
Le modelage ou comment penser autrement l’intégration des talents
Le modelage est important en formation, mais il l’est encore plus dans des pratiques de tutorat et plus généralement d’intégration au sein des équipes. Savoir que tout nouvel embauché ou tutoré apprend en observant et interprétant comment les gens font autour de lui autant que par la consultation de ressources e-learning ou la participation à des formations conduit à repenser la gestion des talents autour de principes clés tels que :
- La constitution des équipes et le binômage de compétences : intégrer un talent au sein d’une équipe peu performante freinera certainement son apprentissage. A l’inverse, binômer avec les meilleurs le nouvel embauché lui permettra certainement de progresser plus vite.
- Le développement du modelage instructif et correcteur. Former à travers l’observation des meilleures pratiques et accompagner dans “la reproduction“ les apprenants avec des tuteurs ou coachs qui leur fourniront des feedback correcteur est certainement indispensable à un apprentissage réussi.
- Formation au modelage. Apprendre par modelage est naturel, mais il est possible pour en accroître son efficacité d’acquérir des techniques : concentration de l’attention, mémorisation, auto-observation, stratégies de renforcement… Du côté des tuteurs et managers, il est également possible de se former au “modelage correcteur“ (savoir faire des feedback, entretenir la motivation, soigner son exemplarité…).
Principes d’action pour le formateur, tuteur, manager…
- Etre exemplaire car nous avons toujours le risque d’être observé comme modèle
- Soigner ses feedback car ils sont déterminants au cours d’un modelage instructeur
- Bien choisir les modèles (privilégier les vidéos plutôt que les jeux de rôles si vous craignez que les apprenants ne soient pas capables de réaliser correctement une simulation)
- Préparer avant toute observation les apprenants afin qu’ils se concentrent efficacement
- Donner du temps de réflexion après chaque observation pour optimiser les encodages symboliques
- Faire reproduire. Le modelage ne porte pleinement ses fruits qu’après la phase de reproduction.
- Gérer les motivations. Favoriser une pédagogie de la réussite afin de développer le sentiment d’efficacité personnelle.
Principes d’action pour le chef de projet formation…
- Intégrer dans ses architectures pédagogiques les conditions d’un modelage réussi (constitution des équipes, formation des “modeleurs“…)
- Soigner la constitution des groupes d’apprenant. Ne pas oublier que le modelage peut se faire également entre pairs.
Le modelage à l’ère de la formation digitale
Le modelage instructif peut être réalisé à l’aide d’un modèle physique (tutorat / binômage de compétences) mais également à l’aide de vidéos. A l’ère de la formation digitale, ce second type de modelage va probablement se généraliser très rapidement. Pratiquement tous les gestes professionnels techniques ou commerciaux peuvent être filmés et analysés. Il ne reste plus ensuite qu’à les diffuser sur des chaînes YouTube pédagogiques. Cela existe déjà pour les métiers du digital – cliquez ici.
Résumé
Références pour aller plus loin
Apprentissage social de Albert Bandura, trad. J.A Rondal – cliquez ici et ici pour un extrait.
Bandura : une psyschologie du XXIème siècle de Philippe Carré – cliquez ici.