A longueur de livres blancs, de webinar, de publicités ou d’articles de blog, on nous rabâche que la pédagogie moderne, c’est court, c’est ludique, c’est “fun”, c’est captivant… On est en train de passer d’un extrême à l’autre. De la caricature de l’apprentissage dans l’effort, voire la douleur, on tombe dans celle de l’apprentissage sans difficulté, quasiment sans investissement personnel, presque “à notre insu de notre plein gré”, comme disait notre cher Richard au maillot à pois.
Apprendre ce n’est pas mémoriser les solutions adaptées aux situations-problèmes rencontrées
Les tenants d’une “pédagogie de l’immédiateté” font fausse route. Ils confondent résolution de problèmes et apprentissage. Quand je suis face à une difficulté, je pose la question à Google. Il me répond par un Tuto, un post de blog, une page wikipedia. Google ne me laisse jamais dans la panade ! Demain des chatbots feront encore mieux que Google. Ils iront chercher dans de gigantesques bases de connaissances tous les Tutos, toutes les vidéos ou tous les articles d’experts après m’avoir demandé de préciser mon besoin et d’affiner ma demande. Peut-être même me proposeront-ils des solutions avant même d’avoir rencontré le problème.
Est-ce que pour autant je serai plus “sachant” ? Une chose est sûre, si le même problème se représente, je serai capable d’appliquer la même solution. Mais apprendre, ce n’est pas seulement mémoriser les solutions aux problèmes que l’on a rencontré. C’est avant tout acquérir des méthodes d’analyse des situations-problèmes, de raisonnement pour trouver quelles que soient les situations nouvelles rencontrées des solutions adaptées. Apprendre c’est développer une intelligence situationnelle. La vrai compétence ne peut être que transverse. C’est celle qui permet de se sortir de toutes les situations. Cet apprentissage-là nécessite du temps.
Mais qu’est-ce que la lenteur en formation ?
Loin des folies d’une pédagogie productiviste, nous sommes convaincus que prendre son temps, s’inscrire dans des processus long, s’adonner à la sérendipité est souvent le meilleur chemin qui mène aux connaissances les plus solides. Cette lenteur en formation peut se traduire de multiples façons.
- C’est prendre le temps d’apprendre une discipline ou d’aborder un nouveau domaine par le commencement, ses bases. C’est apprendre les théories avant de chercher des trucs et astuces.
- C’est aller au bout d’un MOOC ou d’un livre, même si j’ai déjà appris l’essentiel de ce que je devais apprendre, car cela me permettra d’aller plus loin, de découvrir des choses que je ne cherchais pas…
- C’est, en formation, écouter autant mes collègues que le formateur, participer activement dans les travaux de sous-groupe plutôt que faire des allers-retours sur mes smartphones préférés et de jouer à celui qui est surchargé.
- C’est faire des pauses structurantes dans la journée ou la semaine en se demandant : “qu’est-ce que j’ai appris aujourd’hui ? Cette semaine ? Comment puis-je réutiliser ces apprentissages” plutôt que de passer sans arrêt d’une tâche à l’autre.
- C’est consulter un e-learning ou une vidéo Learning avec un papier et un crayon. Si, si, ce n’est pas très digital, mais cela permet de noter tout ce qui nous passe par la tête. Et surtout de produire des inférences.
- C’est oser faire des détours. C’est s’investir dans des lectures périphériques ou prendre le temps de faire de belles rencontres. Pour revenir plein de nouvelles idées, nouvelles façons de regarder le réel qui nous entoure.
- C’est poser un regard neuf sur des choses déjà vues. C’est oser les remettre en cause et se remettre en cause quitte à devoir tout recommencer.
- C’est se laisser guider de lecture en lecture, de clic en clic. Se noyer dans des univers de connaissances pour peut-être en découvrir une connaissance rare qui peut tout changer.
- C’est s’interroger sur le contenu que je viens d’apprendre, se poser des problèmes, essayer d’y répondre avec ses mots, sa compréhension des choses plutôt que de répondre fébrilement à un quiz sur mon smartphone poussé par une plateforme de ludopédagogie qui me prend pour un vulgaire rat de Skinner ou un chien de Pavlov !