La négociation interprofessionnelle a repris son cours. Si elle ne dérape pas, elle devrait se terminer vendredi 16 février. Probablement, une semaine de plus sera nécessaire. Quoi qu’il en soit l’architecture du futur dispositif est déjà là. Sauf revirement de dernière minute, on peut d’ores et déjà dire que tout va changer, mais rien ne va se transformer.
Tout change…
Les grands changements vont se situer du côté de l’alternance et notamment des contrats d’apprentissage. On gardera bien les deux contrats, mais ils seront harmonisés (limite d’âge et rémunération augmentée pour le contrat d’apprentissage). Une enveloppe globale a priori de 0,85% pour contrats d’apprentissage, contrats de professionnalisation et tutorat. Et surtout un transfert partiel de la gouvernance de l’Education Nationale et les Régions vers les partenaires sociaux. Renforcement du poids des branches dans la carte des CFA et dans l’élaboration des certifications pouvant être suivies dans un contrat d’apprentissage. Bref, l’apprentissage devrait être davantage à la main des entreprises et ses moyens au final accrus (élargissement de l’assiette de cotisation).
Concernant le droit individuel à la formation, la fusion du CIF et du CPF est actée. Mais immédiatement, on recrée un système à trois étages : CPF “droits acquis”, CPF “Co-construit avec l’entreprise ou la branche” et CPF “Long” qui pourrait devenir un CIF amélioré avec l’obligation d’un CEP en amont. Bref, on repassera pour la désintermédiation. Etait-elle possible ? Etait-elle souhaitable ? Nous en avons toujours douté, car “l’achat de formation” nécessite un accompagnement forcément important (difficulté à analyser son besoin, à identifier les offres existantes, à choisir la plus pertinente au regard de son besoin…). Et la meilleure des “applis” n’y pourra rien !
On garde bien une obligation de formation. Celle-ci, d’ailleurs, est davantage la conséquence de la jurisprudence que des textes du code du travail. Mais surprise de dernière minute, cette obligation pourrait être assouplie. Le texte patronal propose aujourd’hui non plus de prendre en compte 2 parmi 3 critères mais 3 parmi 5 pour constater que l’entreprise a bien respecté son obligation au titre de l’entretien professionnel. Et ces 5 critères pourraient être :
- Les entretiens professionnels réalisés,
- Les actions de formation suivies par le salarié,
- Les validations des acquis de l’expérience ou les certifications professionnelles obtenues par le salarié
- Les actions d’accompagnement engagées à l’initiative du salarié,
- Les évolutions professionnelles intervenues.
Concernant la politique de formation, on se dirige vers un poids accru des branches et de nouvelles opportunités de négociation au sein de l’entreprise. Mais il est encore trop tôt pour savoir si ces opportunités seront à saisir pour les entreprises. Nous avons en mémoire la possibilité qui était offerte aux entreprises de négocier, en 2014, un accord CPF et de pouvoir ainsi conserver son financement. Celles qui l’ont fait doivent se compter sur les doigts d’une main. Le diable se cache dans les détails dans ce domaine. Restons prudent.
Enfin, évidemment, il y a de nouvelles dispositions concernant la qualité en formation. Dans le texte de jeudi dernier, le rôle des OPCA a été rappelé. Des bruits courent concernant une simplification de l’offre des labels CNEFOP (il y en a 50 aujourd’hui !). Tout ceci se jouera soit dans la négociation de branche, soit de façon plus probable lors des débats de nuit au Sénat ou à l’Assemblée Nationale. C’est d’ailleurs lors d’une nuit Sénatoriale animée que le Datadock a été indirectement conçu.
… Mais rien ne se transforme !
Voilà donc un nombre non négligeable de changement qui vont occuper au moins pendant les trois prochaines années DRH, responsables de formation, OPCA, FONGECIF (ceux-ci devraient changer de nom : Fonds de gestion des Congés Individuels de Formation, ce n’est plus trop d’actualité), FPSPP, COPANEF (ces deux derniers pourraient fusionner), CNEFOP, COPAREF, CREFOP, Observatoires des métiers et des qualifications, Service formation de Pôle Emploi et des Régions, Missions locales et, bien entendu, organismes de formation et salariés souhaitant se former (attention à la période transitoire ! il va falloir être expert pour tirer les ficelles entre anciennes et nouvelles dispositions). Et ne le nions pas, consultants en Droit et management de la formation et journalistes spécialisés ne devraient pas s’ennuyer non plus !
Mais au-delà de tous ces changements, on a du mal à voir en quoi le système de formation professionnelle se transforme. Certes les versements vont changer au 28 février prochain, les co-financements seront modifiés, certains qui avaient du pouvoir vont en perdre, d’autres en gagner. Mais les fondement sont toujours là. Depuis les lois Debré de 1959, cela fait quasiment soixante ans qu’on érige, polit, peaufine, adapte, modifie à la marge un système de formation qui repose sur 4 piliers bien ancrés dans la roche :
- Des contrats d’intégration financés collectivement à partir d’une taxe permettant d’inciter les entreprises à embaucher et les jeunes ou moins jeunes à bénéficier d’une formation quasi gratuite, venant pallier aux déficiences d’un système éducatif à bout de souffle qui laisse sur le carreau 140 à 160000 jeunes par an.
- Une obligation de former plutôt qu’une incitation à se former, reposant sur les entreprises et non pas sur le salarié lui-même qui pourrait bénéficier d’un crédit d’impôt et d’une véritable reconnaissance de ses compétences par les entreprises,
- Un droit individuel à la formation pour les salariés plus ou moins financé et garanti collectivement au lieu d’un vrai droit à l’orientation et à la reconnaissance de ses compétences (cf. point précédant).
- Un marché de la formation relativement libre d’accès mais dont les opérateurs sont régulés paritairement. Ne pourrait-on pas imaginer un système où le contrôle de la qualité de la formation porterait davantage sur la certification des formateurs que sur la labellisation des organismes de formation, comme c’est le cas dans tous les métiers à risque ou de la relation client ?
Bref, comme le disait Alphonse Karr, pamphlétiste qui a connu son heure de gloire au 19ème siècle, “Plus ça change, plus c’est la même chose !” Et pour la vrai transformation, il faudra probablement attendre un autre quinquennat…
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