Et voilà, lundi dernier Muriel Pénicaud a lancé son « Big Bang » de la formation, remettant en cause l’ANI fraîchement conclu le 22 février dernier. Refonte de tous les versements, création d’un « CPF-Caisse des dépôts » accessible d’un clic via une appli qui monétise les heures CPF… Nous n’allons pas répéter ici la liste des 12 travaux de Mme Pénicaud, elle tourne en boucle sur les réseaux sociaux… Ceux qui auraient oser exercer leur droit à la déconnexion depuis une semaine peuvent se rattraper ici. L’objet de ce post est plutôt d’entrevoir ce qui pourrait se passer pour les responsables de formation en entreprise dans les mois et années à venir.
Vous avez dit « Big Bang » ?
Les annonces de Mme Pénicaud vont-elles accoucher d’un nouveau monde de la formation professionnelle ? Très probablement. Ce monde sera-t-il meilleur ? Nous nous garderons bien d’y répondre ici. Car ce n’est pas l’objet de ce blog de prendre des positions sociétales sur le monde de la formation en entreprise. Une chose est sûre, c’est que beaucoup de choses vont changer.
Le “Big Bang” dans la petite entreprise
Concrètement, une petite entreprise (moins de 300 salariés) devrait avoir beaucoup plus de moyens qu’hier pour former ses salariés :
- Elle garde les fonds mutualisés gérés par les OPCA qui avaient résisté en 2014 à la fin de l’obligation fiscale (respectivement, 0,55%, 0,3% et 0,1% pour les entreprises de moins de 11, de 11 à 49 et de 50 à 299).
- Elle bénéficie même d’une fongibilité asymétrique des grandes entreprises (+ de 300) vers les petites (le montant reste à définir).
- Elle pourra bénéficier de l’aide des OPCA (« opérateurs de compétences ») pour monter leurs plans et procéder à des achats mutualisés de formation
- Elle pourra inciter ses salariés à utiliser le « CPF-Caisse des dépôts » et abonder si besoin.
Est-ce que cela sera plus simple ? Oui, si l’appli fonctionne et si les OPCA ont les moyens de financer leur mission d’opérateur de compétences (ce qui reste à vérifier comme l’a déclaré à Newstank RH J-M Pottier, négociateur CPME « il y a tous les ingrédients d’un accident industriel de type RSI »).
Concernant l’alternance, le tarif des contrats d’apprentissage risque d’augmenter sensiblement si la facturation est réalisée totalement au contrat. Mais des simulations restent à faire dans ce domaine.
Le “Big Bang” dans la grande entreprise
Qu’en est-il maintenant de la grande entreprise ? La tendance est au pessimisme pour les co-financements de la formation des salariés en poste.
La période de professionnalisation est supprimée et le « CPF-Caisse des dépôts » n’a pas du tout l’attrait du CPF-2014. Ce dernier présentait l’avantage pour l’entreprise de pouvoir co-construire le départ en formation avec son salarié. L’entreprise incitait le salarié à se former en lui prenant en charge le plus souvent le temps de formation et bénéficiait de co-financements très généreux de la part de son OPCA. Elle pouvait ainsi monter des formations certifiantes d’une durée de 70 à 200 heures environ. Certes, la charge administrative n’était pas négligeable et les listes CPF une contrainte réelle, mais dans l’ensemble de très beaux programmes ont pu voir le jour. Tout ceci est, sauf revirement de dernière minute, l’histoire du passé. Le « CPF-Caisse des dépôt » est avant tout une histoire personnelle du salarié. On retrouve un peu la logique du CIF sauf que cette fois-ci la formation sera systématiquement hors temps de travail.
Pour l’apprentissage et les contrats de professionnalisation, les moyens semblent sauvegardés et comme nous l’avons dit dans un autre post, il sera possible peut être de saisir quelques opportunités pour les très grandes entreprises en créant leurs propres centres de formation en apprentissage.
Après le “Big Bang” : une transformation radicale des missions du responsable de formation
Le responsable de formation qui a bâti sa légitimité sur sa capacité à mettre en place un système optimisé de gestion des fonds de la formation va devoir repenser son rôle et ses missions. L’art des co-financements n’est plus un talent à développer. Après 2014, et la fin de l’obligation fiscale, et 2018, et la fin de la période de professionnalisation et probablement du “CPF co-construit”, le responsable de formation n’aura plus beaucoup de grain à moudre. Si on ajoute la tendance forte à la remise en cause du plan de formation que lui restera-t-il de ses fonctions administrativo-financières ?
Il va pouvoir enfin se concentrer sur l’essentiel :
- L’accompagnement des managers dans l’organisation des apprentissages de leurs équipes et notamment le développement de la FEST (formation en situation de travail).
- L’accompagnement des talents par toutes formes d’action de développement et non plus seulement de formation : coaching, co-développement, analyse de pratique, parrainage, reverse mentoring, groupes de pairs, digital Learning open bar…
- L’accompagnement des transformations de la culture d’entreprise : animation de communautés d’apprentissage, création d’événements (Hackathon, Barcamp…), Focus Group et groupes de progrès…
- L’accompagnement des experts dans la diffusion des “savoir-faire maison” : aide à la création de MOOCs thématiques internes ou de chaines TV du savoir. Par exemple en créant un studio interne de production et en formant les experts à réaliser eux-mêmes leurs modules de Digital Learning…
Cette transformation des missions du RF nous l’entrevoyions déjà après la réforme de 2014. Celle de 2018, va probablement l’accélérer considérablement. La question qu’il faudra alors se poser est : comment accompagner non seulement les responsables de formation, mais également leurs équipes qui demain n’auront plus à gérer des plans de formation remboursés par des OPCA mais à jouer pleinement leur rôle de “Learning Partner” de l’entreprise ?