Le Big Bang annoncé le 5 mars par Muriel Pénicaud rebat les cartes du marché de la formation professionnelle. D’un marché essentiellement régulé paritairement, on va passer à 5 marchés ayant chacun leur propre logique. Derrière la simplification annoncée, c’est la multiplication des logiques de financement qui apparaît. Aux organismes de choisir leur bon positionnement. Chercher à investir tous les marchés, c’est risquer l’éparpillement.
- Le marché des TPE-PME passera toujours par les OPCA
- Le marché du CPF co-construit et/ou de transition professionnelle reste bien incertain
- Le marché du CPF-Caisse des dépôts : pas aussi simple qu’on voudrait nous le présenter
- Le marché de l’apprentissage : probablement de nouvelles opportunités
- Le marché des « grandes » entreprises : vers un marché libre
Le marché des TPE-PME passera toujours par les OPCA
Ce marché va rester régulé paritairement. Il sera géré par les futurs OPCA de filières. Il pourrait être en forte croissance car Muriel Pénicaud a annoncé une fongibilité asymétrique. Derrière ce terme technique se cache un transfert d’une partie du 1,68% de versements obligatoires des entreprises de plus de 11 salariés vers les moins de 50 salariés. Des bruits courrent que le montant de fongibilité asymétrique pourrait s’élever jusqu’à 0,1% de la masse salariale, ce qui représenterait 440 Millions d’euros, soit au total 1 Milliards d’euros.
Ce marché devrait être un marché de volume à faible marge. Les OPCA, rebaptisés « Opérateurs de compétences » joueront le rôle de place de marché. Ils exigeront de la part des organismes de formation des remises tarifaires qui au fil du temps conduiront à une baisse sensible des tarifs. Certains OPCA sont déjà engagés dans cette voie.
Les organismes de formation devront également satisfaire aux exigences du datadock nouvelle version et se soumettre au contrôle qualité des « Opérateurs de compétences ». 800 contrôles vont démarrer dans les semaines à venir. Ce n’est qu’un début. L’heure de vérité « Qualité » va réellement sonner !
Les organismes de formation qui s’engageront dans cette voie devront avoir optimisé leurs processus de gestion et de marketing de la formation. La taille sera un critère de survie. Sinon, les coûts marketing et de gestion seront tels qu’ils rogneront les faibles marges inhérentes à ce type de marché piloté par des donneurs d’ordre puissants.
Le marché du CPF co-construit et/ou de transition professionnelle reste bien incertain
Ce marché restera également à la main des OPCA ou plus exactement des branches professionnelles. A l’heure actuelle, il est relativement incertain. Il faudra attendre la loi pour savoir la part qui restera dévolue au CPF de transition et ses conditions d’accès. Quant au CPF co-construit, tout dépendra des pontages possibles entre le CPF « Caisse des dépôt », celui de « l’appli CPF », et les fonds conventionnels des branches.
Il faudra attendre une bonne année avant de savoir si ce marché existera réellement. Que feront les branches en terme de financement conventionnel ? Certaines branches ont déjà annoncé qu’elles n’iraient pas. D’autres attendent de voir comment les OPCA pourront gérer la collecte sans faire exploser les frais de gestion. Si les versements obligatoires de formation sont Urssafisés, il est peu probable que les OPCA auront les moyens de gérer à moindre frais des versements de 0,1% ou 0,2% de la masse salariale des entreprises. Comment pourront-ils conserver des équipes de collecte et de conseils sans moyen ?
Le marché du CPF-CDC : pas aussi simple qu’on voudrait nous le présenter
Pour certains cela représente le nouvel Eldorado. 1,3 à 1,5 milliards d’euros sont en jeu et à la main des personnes elles-mêmes. « Du bout des doigts » pourrait-on dire, puisqu’il suffira de quelques clics pour déclencher le financement de son appli CPF. « 1, 2, 3, TOSA ou 1, 2, 3 TOIC » comme me l’a soufflé un bon expert de la formation, il se reconnaîtra.
Mais attention ! n’importe qui ne pourra pas aller sur ce marché.
- D’abord, il faudra respecter quelques critères qualité. Il faudra être labellisé par un organisme lui-même accrédité Cofrac.
- Ensuite, il faudra proposer des actions de formation certifiantes. Certes, il n’y a aura plus de liste CPF, mais ce n’est pas non plus la belle époque du DIF où toute formation était éligible. La formation devra permettre d’obtenir essentiellement une certification à l’inventaire ou au répertoire. Mais tout le système de certification piloté par la CNCP sera revu dans les 3 à 5 ans. Le gouvernement comme les partenaires sociaux veulent « mettre de l’ordre dans le magma des certifications ». Les organismes de formation pourront-ils encore déposer des certifications ou seront-elles à la main des Ministères et des Branches ? L’enjeu est colossal. Les organismes de formation non alignés sur des branches ou des Ministères pourront-ils avoir accès à ce marché ? Ou sera-t-il, par le truchement des règles d’accès aux certifications CNCP, réservé à l’AFPA, aux Greta et aux services de formation continue des Universités et des Ecoles ?
- Par ailleurs, ce marché sera inéluctablement un marché BtoC. Ce qui suppose la capacité de proposer une offre « grand public » et non pas forcément professionnelle. On imagine déjà les petits malins se trouvant sur des marchés à la frontière du professionnel et du loisir faire des offres de certifications CPFisables. Pourquoi pas des CPF « Master Chef » ou « Théâtre d’impro » ou « Maître Kendo » ? Serait-ce le retour des fameuses « formations Macramé » ?
- Enfin, qui dit « Grand public », dit aussi « notoriété ». Seuls les grands organismes de formation seront capables d’avoir la crédibilité pour être retenu par des clients devenus des salariés. Les responsables de formation ne joueront plus le jeu d’intermédiation sur ce marché qui ne les concernera qu’à la marge. Une question d’ailleurs subsiste dans ce domaine. Quelles seront les règles pour arriver en tête du moteur de recherche de l’appli CPF ? On sait qu’il vaut mieux éviter de se retrouver sur la page 2 de Google. L’appli CPF sera-t-il le nouveau Google des organismes de formation ?
Le marché de l’apprentissage : probablement de nouvelles opportunités
L’apprentissage pourrait devenir le second Eldorado des organismes de formation. On nous annonce la facilité d’ouverture des CFA, un moindre contrôle des Régions et de l’Education Nationale, une facturation au contrat et non pas à la dotation. Bref, il faut rester prudent, car les annonces du printemps ne sont pas forcément les réalités de l’automne. Mais de grands organismes de formation pourraient voir dans l’apprentissage une source de diversification. Les grandes entreprises également qui pourraient ainsi récupérer une partie des fonds versés. Mais pour l’instant tout ceci n’est que supputation.
Le marché des « grandes » entreprises : vers un marché libre
A l’inverse, il est quasiment arrêté que le marché des grandes entreprises va devenir un marché libre. La loi de 2018 va finir le travail des réformes de…
- 2009 : création du FPSPP qui s’est traduite par le transfert d’environ 0,15% de la masse salariale des entreprises vers le financement de la formation des demandeurs d’emploi,
- 2014 : fin de l’obligation fiscale sur le plan de formation
- 2018 : fin de la période de professionnalisation et probablement, comme nous l’avons vu plus haut, du CPF co-construit. Nouvelle définition de l’action de formation qui permettra d’intégrer tous types de modalités : FEST et FOAD notamment.
Les entreprises libérées des obligations de formation légales vont probablement s’orienter vers d’autres prestataires de développeur des compétences. Cabinets d’accompagnement du changement, de coaching, prestataires de conseils, d’information et de veille seront beaucoup plus attractifs une fois que les grandes entreprises ne joueront plus à la chasse au co-financement formation.
Conséquence : les organismes de formation devront faire valoir de nouveaux arguments : l’expertise métier, la proximité client, la réelle qualité de leur pédagogie et de leur accompagnement (et non pas la seule qualité administrative telle qu’elle a été imaginée jusqu’à présent dans les démarches « qualité formation »).
Ce sera probablement le plus gros marché de formation. Aujourd’hui, il s’élève à :
- 2 milliards de formation externe financées par les entreprises hors OPCA.
- 1 milliard au titre de la période de professionnalisation que les entreprises devront dorénavant financer seules.
- 1,8 milliards au titre du plan de plus de 50 salariés que les entreprises versent aux OPCA de façon obligatoire, conventionnelle ou libre et qu’elles continueront ou pas à verser, mais qu’elles devront financer compte tenu des besoins énormes de formation.
- 1,2 milliards qu’elles investissent directement en formation interne. Ce dernier chiffre issu du Jaunes Budgétaires comprend à la fois des investissements matériels, de l’animation de formation par des formateurs internes et une large part de rémunération des stagiaires.
Au final, il est raisonnable d’imaginer que ce marché libre de la formation des entreprises de plus de 50 salariés représentera entre 5 et 6 milliards d’euros pour les organismes de formation. Se focaliser sur le CPF Caisse des dépôts n’est peut-être pas l’enjeu crucial pour certains organismes de formation ?
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