C’est en creux dans la future loi formation qui est en cours d’examen au Conseil d’Etat : le modèle d’une « formation budgétée et planifiée » va céder la place à un modèle de type « entreprise apprenante ». Cette transformation profonde des pratiques de formation va conduire les entreprises françaises à s’aligner sur leurs homologues étrangères, notamment anglo-saxonnes.
La fin du plan de formation et des co-financements
La loi dite « Delors » de 1971 est définitivement morte et enterrée. Il aura fallu 3 lois successives (2009, 2014, 2018) et trois gouvernements sous trois présidences différentes (Sarkozy, Hollande, Macron) pour en venir à bout. Mais cette fois-ci « l’exception pédagogique française » n’a plus lieu d’être.
La loi Delors avec son obligation fiscale de dépense nous avait habitué à faire de la formation, la solution à tous les problèmes de développement des compétences. Dans les années 1950 et 1960, le compagnonnage, le TWI (Training within industry) ou encore les approches d’accompagnement terrain pour les vendeurs étaient courantes. La loi Delors a institué un « modèle séparatiste de la formation », comme le dit si bien l’expert en Droit Social, Jean-Marie Luttringer.
Conséquence, le modèle unique de référence est devenu le stage. On a créé des services dédiés à la gestion de ces stages, un marché de la formation s’est développé, d’abord lentement dans les années 1970 puis beaucoup plus rapidement au tournant des années 1980 / 1990. Avec les réformes de 1995 puis surtout de 2004, 2009 et 2014, les co-financements sont devenus de plus en plus importants (7 milliards rien que pour les OPCA et FONGECIF).
Les responsables de formation sont devenus des gestionnaires : excellents acheteurs et redoutables ingénieurs en co-financements. La plupart d’entre eux n’ont même plus le temps d’animer une formation ou d’épauler un manager dans l’analyse d’un besoin de formation.
Ce monde-là est révolu. Avec la loi qui se profile, les co-financements vont quasiment disparaître du paysage de la formation des entreprises de plus de 50 salariés. Fini la période professionnalisation, exit le CPF satellisé à la Caisse des dépôts. Il ne restera plus que le PIC et la taxe d’apprentissage pour faire de la formation co-financée. Mais encore faudra-t-il embaucher des profils adaptés pour en bénéficier.
Là-dessus, le digital rebat les cartes pédagogiques et l’AFEST, « action de formation en situation de travail » telle que la future loi devrait la nommer, s’introduit dans le paysage.
Le modèle de « l’entreprise apprenante » va pouvoir enfin se développer en France
Dans les années 1990, pendant que nos entreprises françaises multipliaient les services de gestion administrative de formation, leurs consœurs américaines, anglaises, européennes du Nord développaient des approches d’entreprise apprenante.
L’entreprise apprenante repose sur une culture de l’apprentissage permanent. « Les entreprises leaders sur leur marché sont celles qui ont la capacité d’apprendre plus vite que leurs concurrents » écrivait dans un livre fondateur, le Professeur Chris Argyris. Le développement des compétences est un flux qui doit s’auto alimenter et non pas un stock que l’on doit gérer.
Si la formation est une denrée rare dans une logique administrée du plan de formation, les compétences sont à profusion dans une entreprise apprenante qui met tout en œuvre pour les partager.
L’entreprise apprenante, ce n’est pas former pour former, mais créer des environnements apprenants où chacun contribue directement ou indirectement aux développements des compétences de chacun et du collectif. Dans une entreprise apprenante, l’homme clé est le manager qui est invité à évaluer et accompagner ses collaborateurs en permanence et à organiser les apprentissages au sein du collectif de travail.
Au fil du temps, les entreprises ayant déployé ce type d’approche ont développé tout un ensemble d’outils (techniques de facilitation et de co-développement, groupes de progrès et d’analyse d’incident, parcours de formation terrain, mentorat, reverse mentorat…). Elles ont créé de nouvelles missions, voire de nouveaux emplois : facilitateurs, coach internes, experts Lean Management. D’une certaine manière, la mission de référents AFEST qui a vu le jour à travers les expérimentations DGEFP sur la formation en situation de travail en fait partie.
Les succès de Solvay, General Electric, ou Motorala à une certaine époque… ont montré tout l’intérêt de cette démarche. Mais les entreprises françaises, notamment les plus grandes, biberonnées aux co-financements et à l’obligation sociale et fiscale du plan de formation, n’y ont jamais vraiment pris goût.
Quand la perfusion va être débranchée, dès le 30 septembre 2019 voire dès septembre 2018, les entreprises seront condamnées à réinventer un nouveau paradigme pour la formation. Et « l’entreprise apprenante » sera probablement l’approche qu’elles privilégieront. Car, associée à des démarches de digitalisation de contenus, de communautés d’apprentissage et de déploiement d’actions de formation en situation de travail, elle est une réponse pragmatique et efficace aux besoins en développement des compétences qui sont en train d’exploser.
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