La future loi “Pour la liberté de choisir son avenir professionnel” sonne indirectement le grand retour des managers dans le développement de la formation des entreprises de + de 50 salariés. Aucun article de la loi n’y est consacré, mais en supprimant les co-financements et en redéfinissant la notion d’action de formation, les responsables de formation sont invités à se libérer de leurs vieux modèles issus de la loi Delors. Exit le stage, finie la formation administrée, terminées l’obsession d’une approche budgétaire de la formation. Si les entreprises veulent passer le cap de la réforme, elles doivent changer leur modèle de formation et remettre au coeur de leur système de formation (ou plus exactement de montée en compétences) les managers.
Changer de regards sur les managers et la formation
Beaucoup trop de professionnels de la formation estiment que les managers sont trop peu sensibles aux questions de formation. Ils ont acquis la croyance que les managers ne sont pas capables de penser la formation de leurs équipes. Il est vrai que la loi de 1971, n’a pas aidé. Un problème de compétence = un stage. Et les managers étaient peu enclins à laisser partir leurs collaborateurs 2 ou 3 jours, voire beaucoup plus en formation à l’extérieur. Les décideurs de la formation en entreprise (RF, DRH, chef de projet en formation…) en ont un peu vite déduit que les managers étaient contre le développement de leurs collaborateurs et qu’ils avaient une vision “courtermiste” de leur management des équipes.
En fait, notre expérience et nos enquêtes de terrain auprès de managers nous amènent à nuancer fortement ce constat caricatural. A l’inverse de ce que croient les décideurs de la formation, les managers sont généralement très soucieux du développement de leurs équipes. C’est pour eux, avec la motivation et l’optimisation des processus de travail, le levier principal de la performance de leur équipe. Ce n’est pas parce que les managers refusent d’envoyer des collaborateurs en formation qu’ils ne souhaitent pas les aider à développer leurs compétences. C’est tout simplement que” la formation = stage” (ou module de E-learning, d’ailleurs) n’est pas pour eux la bonne réponse.
Quand on observe concrètement ce qu’ils font ou qu’on organise des grandes manifestations type Barcamp sur le sujet avec des managers, comme nous venons de le faire récemment à la Société Générale, on est agréablement surpris par leur capacité à organiser par eux-mêmes la montée en compétence de leurs équipes.
Certains créent des rituels de formation, d’autres des plans d’intégration très sophistiqués, d’autres mettent en oeuvre des groupes d’analyse de pratique qui n’en ont pas la méthodologie orthodoxe mais qui s’en inspirent très fortement. Chez Air France, lors d’un Barcamp organisé en juin 2016, c’est pas moins de 85 façons d’apprendre sans aller en formation différentes que les managers nous avaient livrés ! Mais tout ceci, jusqu’à présent, à cause du “Tout imputable” et du “Tout co-finançable” relevait de la “formation grise”. Jamais prise en compte par les responsables de formation, cette formation n’était dans aucun tableau de bord qu’il soit social ou budgétaire. Et pour cause, elle ne nécessite aucun “cash out”.
Si les entreprises veulent continuer après la réforme à investir dans la montée en compétence de leurs collaborateurs, elles ont tout intérêt à changer de regard sur leurs managers et à capitaliser sur toutes ces belles innovations de terrain.
Quatre priorités pour remettre le manager au coeur de la formation
- Identifier et partager les meilleures pratiques des managers dans le domaine de la montée en compétence. Aujourd’hui, comme nous l’avons vu précédemment, chaque manager trouve par lui-même les solutions à ses problèmes de management des compétences. L’amener à les partager via un réseau social dédié, des événements type Barcamp ou Hackathon (“hackons le stage !”), la mise en place de pratiques de type “réseau d’échange de savoirs”… sont des initiatives à prendre pour mobiliser tous les managers sur ce nouvel enjeu.
- Intégrer dans les programmes de Management, le développement de la compétence des équipes comme compétence clé. En complément du partage d’expérience, il est souhaitable de mettre en avant le management de compétences des équipes dans le cadre plus formel des programmes de développement managérial.
- Remplacer l’entretien annuel individuel par une démarche collective d’analyse du risque compétences. Les entretiens annuels ont tendance à trop individualiser le management. Ils amènent à raisonner en terme de talent ou potentiel individuel avant de penser collectif de travail, partage de connaissances et risque compétence. Une démarche d’analyse des compétences avec l’ensemble de l’équipe et d’échanges réciproques de savoirs est bien plus pertinente. Elle permet d’identifier le niveau de risque “compétence” de l’équipe* et de mettre en place des plans collectifs de montée en compétences.
- Valoriser les efforts de managers dans la montée en compétence de leurs équipes. Les managers doivent être évalués sur des critères de développement des compétences au moins autant que sur des indicateurs de performance à court terme. Le niveau de compétences d’aujourd’hui est le résultat de demain. Pour conforter leur mobilisation dans la montée des compétences, la direction doit reconnaître l’investissement des managers dans le domaine.