Le projet de décret relatif au référentiel national de la qualité en formation est destiné aux organismes de formation, c’est-à-dire la formation externe. Il fixe de nouvelles exigences dans ce domaine et vient renforcer la logique initiée dès 2009, et déployée en 2014/2017, à travers le Datadock. La formation interne n’est a priori pas touchée par ce nouveau décret. Mais les prises de position des co-financeuers sur l’AFEST pourrait rebattre les cartes entre formation externe et interne. Et faire émerger une troisième modalité de mise en oeuvre de la formation dite “Externe-Interne”
Ce que nous dit le cadre légal et réglementaire concernant la qualité en formation
La loi du 5 septembre 2018 prévoit qu’à compter du 1er janvier 2021, les co-financeurs « s’assurent, lorsqu’ils financent une action de formation professionnelle de la capacité du prestataire de formation mentionné à l’article L. 6351-1 à dispenser une formation de qualité ».
Or l’article L.6351-1 stipule que « Toute personne qui réalise des actions prévues à l’article L. 6313-1 dépose auprès de l’autorité administrative une déclaration d’activité, dès la conclusion de la première convention de formation professionnelle ou du premier contrat de formation professionnelle ». Autrement dit le nouveau « décret qualité » ne s’applique qu’à la formation dite « externe », celle fournie par un organisme de formation dûment déclaré et, en 2021, par conséquent certifié.
Deux cas de figure pour la formation interne
A priori la formation interne n’est donc pas touchée par ce décret. En fait, deux cas peuvent se présenter.
- Cas n°1 : la formation interne est réalisée via une école interne de formation (université, académie, institut, campus interne…). C’est le cas généralement dans les grands groupes. Ces écoles sont le plus souvent déclarées auprès de la préfecture. Et par voie de conséquence, le décret qualité s’appliquera à ces écoles. La formation interne devient en fait d’un point de vue juridique une formation externe. Des conventions entre entités sont d’ailleurs réalisées.
- Cas n°2 : la formation interne est réalisée par des formateurs permanents ou occasionnels rattachés aux différentes directions. Le décret qualité ne s’appliquera pas à ces pratiques de formation, puisque la formation n’est pas organisée autour d’un organisme de formation déclaré.
Le risque d’une qualité de la formation à deux vitesses
Le futur décret Qualité pourrait ainsi avoir de lourdes conséquences sur les pratiques de formation. Il pourrait conduire à un système à deux vitesses. Toute formation mise en œuvre via un organisme de formation déclarée verra ses exigences qualité renforcées. Et la formation interne, passera à travers ces exigences et pourrait devenir le parent pauvre de la formation.
Cette non prise en compte de la formation interne dans le décret qualité est d’autant plus problématique qu’au même moment, le gouvernement favorise l’AFEST. Si on n’y prend garde, l’AFEST pourrait devenir le moyen d’échapper aux contraintes qualité, devenant une vulgaire formation sur le tas réalisée par des formateurs internes ni formés, ni certifiés.
Ce n’est pas notre position chez C-Campus, depuis le début des expérimentations nous défendons une AFEST reposant sur une action formelle de formation, encadrée par des référents AFEST eux-mêmes formés et certifiés, afin de garantir une égalité d’accès à la formation de qualité. Heureusement, nous ne prêchons pas dans le désert et, à y regarder de plus près, tout semble aller dans ce sens.
Deux éléments rassurants
Deux éléments peuvent effectivement nous rassurer : les prises de position des financeurs dans un passé récent et certains indicateurs du décret qualité lui-même.
Les positions des financeurs récentes
La question du financement de la formation interne ne date pas d’aujourd’hui. Depuis la loi de 1971 les positions des FAF, puis des OPCA et aujourd’hui des OPCO ont évolué. Pour faire simple, on est passé d’un quasi refus à une tolérance bien encadrée. Les organismes paritaires ont incité ces dernières années les entreprises à créer leurs propres organismes de formation déclaré afin de faire entrer la formation interne dans une logique de formation externe. Cela a plutôt bien fonctionné pour les grandes entreprises.
Pour les plus petites, cela n’était pas faisable. Les OPCA/OPCO ont proposé alors à ces entreprises de se faire épauler par des organismes de formation externes. Deux dispositifs expérimentaux ont permis de vérifier la validité de ce modèle. Il s’agit du « ProDiat » d’OPCALIA et de « Vision Pro » chez Agefos-PME. Ces deux dispositifs ont favorisé la mise en place de contrats de professionnalisation dans les TPE-PME qui préfigurent ce que pourrait être l’AFEST dans les petites entreprises demain. Une formation architecturée et pilotée par un organisme externe et un accompagnement terrain réalisé au sein même de l’entreprise.
La logique du futur décret qualité
Ce principe d’ingénierie de formation externe et de déploiement interne semble être inscrite dans le futur décret qualité. L’indicateur 28 va dans ce sens et fait échos à cette vision de l’AFEST. Pour, rappel voici le contenu de cet indicateur dans le projet de décret :
“28) Lorsque les prestations dispensées au bénéficiaire comprennent des périodes de formation en situation de travail, le prestataire mobilise son réseau de partenaires socio-économiques pour co-construire l’ingénierie de formation et favoriser l’accueil en entreprise”.
L’indicateur 13 consacré à la formation en alternance va également dans le même sens :
“13) Pour les formations en alternance, le prestataire, en lien avec l’entreprise, anticipe avec l’apprenant les missions confiées, à court, moyen et long terme, et assure la coordination et la progressivité des apprentissages réalisés en centre de formation et en entreprise”.
Enfin, les articles 17, 18 et 21 ne visent pas forcément l’AFEST ou la formation interne, mais stipulent que les prestataires ne sont pas contraint de travailler qu’avec leurs propres ressources. Ils peuvent mobiliser des ressources externes et par conséquent pourquoi pas les ressources de l’entreprise cliente.
“17) Le prestataire met à disposition ou s’assure de la mise à disposition des moyens humains et techniques adaptés et d’un environnement approprié (conditions, locaux, équipements, plateaux techniques…).
18) Le prestataire mobilise et coordonne les différents intervenants internes et/ou externes (pédagogiques, administratifs, logistiques, commerciaux …).
21) Le prestataire détermine, mobilise et évalue les compétences des différents intervenants internes et/ou externes, adaptées aux prestations”.
La parole aux opérateurs et acteurs de terrain
Au final, le futur décret qualité pourrait conduire indirectement à revoir les catégories de formation. Plutôt que d’opposer formation externe et formation interne, il pourrait conduire à intégrer les deux approches. On pourrait assister ainsi à l’émergence d’un nouveau concept de formation dit « Externe / Interne ». L’architecture et le pilotage serait réservé à des professionnels de la formation au sein d’organismes respectant les contraintes qualité et le déploiement sur le terrain serait mis en œuvre par des formateurs terrain ou accompagnateurs AFEST eux-mêmes encadrés par l’organisme externe, et par conséquent d’une certaine manière sous assurance qualité.
La balle est maintenant dans le cas des financeurs, les OPCO évidemment, mais également Pôle Emploi et les Régions qui vont eux-mêmes promouvoir l’AFEST pour leurs publics spécifiques. Les premières prises de position de ces co-financeurs et notamment des OPCO seront déterminantes. Voici un terrain de jeu à la main des paritaires. A eux de s’en emparer. Les lois et décrets ne disent pas tout, les pratiques sont l’affaire des opérateurs et acteurs de terrain.