On nous demande souvent notre avis sur les tendances de la formation en entreprise. Que pensez-vous du micro learning ? Le social learning va-t-il décoller ? L’IA va t’elle tout chambouler sur son passage ?
Voici ce que nous avons l’habitude de répondre en sachant que nous risquons d’être démenti dans l’avenir, et que nous pourrions être critiqué pour avoir choisi arbitrairement les tendances. Mais c’est la règle du jeu lorsqu’on évalue des tendances.
Dernière précision : les notes que nous distribuons prennent en compte deux critères essentiels :
- La tendance va-t-elle fortement s’amplifier dans les années à venir ou sommes-nous déjà au sommet de son développement ?
- La tendance est-elle réellement bénéfique pour l’efficacité de l’apprentissage ou s’agit-il d’un énième gadget poussé par les marketeurs de la formation ?
Gamification ou ludopédagogie… 5/10
La gamification ou en français la ludopédagogie est très tendance dans le monde de la formation. Pour engager des apprenants, nous dit-on, il faut les faire jouer. Le jeu captive, le jeu mobilise notre esprit, le jeu motiverait donc.
C’est vrai et c’est faux à la fois. Le jeu attire l’attention, c’est évident. Il nous évite de bailler aux corneilles ou de lire nos notifications. Mais le jeu engage-t-il réellement dans autre chose que le jeu ? En clair, le jeu engage à jouer et à gagner, mais engage-t-il à apprendre ? On peut en douter. Quand notre cerveau est mobilisé pour gagner, il n’est pas mobilisé pour structurer les connaissances acquises. Alors oui, le jeu peut-être utile pour des apprentissages superficiels (apprendre de nouvelles offres, des principes généraux simples…) mais pour des apprentissages profonds, une pédagogie par projet ou expériencielle est plus pertinente.
Autre facteur qui nous as fait mettre 5/10 à la ludopédagogie, c’est l’aspect “novateur”. Honnêtement, le jeu n’a rien de nouveau en pédagogie. Depuis que la formation en entreprise est ce qu’elle est (disons, les années 1950 en France), le jeu a toujours était là (photolangage, jeu de Lego, jeu de rôles, jeux plateaux inspirés des jeux de société, quiz match…). La nouveauté réside essentiellement dans le fait que l’on peut jouer sur son smartphone !
Micro-learning, Mobile Learning, ou encore Adaptative learning, curation de contenus… 5/10
Le mobile va remplacer l’ordinateur pour apprendre. On va pouvoir apprendre à tout moment : “ATAWADAC“, disent les anglo-saxons. ça fait penser à un nom de guerre. ça a quelque chose de magique.
Pourquoi pas ! C’est vrai que le smarphone ou la tablette est plus facilement transposable et que pour des techniciens de maintenance ou des vendeurs, par exemple, c’est bien utile d’avoir à porter de main les informations nécessaires pour exercer correctement son métier. Mais est-ce réellement de la formation ou simplement de l’aide en ligne ou du support technique ?
On nous dit aussi qu’on a encore rien vu et quand les bibliothèques de vidéos ou micro-learning seront pleines, on va pouvoir rajouter une couche de curation de contenus et d’adaptative learning. En clair, comme sur Youtube, Amazon ou Netflix quand vous aurez “vu-ça” ou “aimé-ça” ou que des gens ayant le même profil que vous auront “aimé-ça” et bien on vous proposera de “regarder-ça” ! Autrement dit, votre apprentissage sera tracé par des algorithmes. Cela nous fait gentiment penser au télécran de 1984. Pas sûr que les théories de la motivation s’en remettent ! Au secours Deci & Ryan, ils sont devenus fous !!! (NDLR : si vous ne connaissez pas ces théories de la motivation allez consulter le formidable site de Fabien Fenouillet, professeur de psychologie à l’Université Paris Ouest. Ce site est une mine d’or et vous apprendrez peut-être plus de choses sur l’efficacité des apprentissages qu’en consultant la littérature sur les neurosciences).
On a mis 6/10 au final, davantage pour l’aspect utilité du vidéo learning (il pourrait franchement remplacer à terme le E-Learning, notamment avec les solutions de vidéo interactive, telles que Kumullus) que pour le côté “adaptative learning”.
VR et IA… 7/10
Nous mettons ensemble VR (ou réalité virtuelle en français) et IA (Intelligence Artificielle) en sachant pertinemment qu’il s’agit de deux innovations totalement différentes. La première permet de simuler le geste professionnel dans un univers immersif, l’autre permettra à terme d’apprendre avec des robots ou de dialoguer avec des banques de connaissances.
Nous les avons regroupé car au regard de l’évaluation de ces tendances, nous avons le sentiment qu’elles sont à peu près au même point. Les premières expérimentations sont-là. De premières démonstrations et mêmes de véritables retour d’expériences convaincants ont eu lieu, mais les technologies ne sont pas encore abouties. Et dans ce domaine, c’est vrai qu’on a probablement encore rien vu.
Cela nous fait étrangement penser à l’histoire du E-Learning. Ses premiers vrais développements datent de la fin des années 1990. Pendant 10 à 15 ans, il ne s’est pas passé grand chose. Et la diffusion grandeur nature, s’est produite vraiment dans le courant des années 2010, notamment grâce aux MOOCs. Peut-être vivront nous le même cycle, mais plus rapidement avec la VR et l’IA. La tendance est lourde et probablement bénéfique pour les apprentissages, mais nous n’en sommes qu’au début. Le déploiement pourrait attendre un peu.
Social learning : communautés d’apprentissage, banques de compétences, organisation apprenante voire AFEST… 8/10
Nous le reconnaissons, nous avons regroupé un grand nombre de pratiques proches tout en étant différentes dans cette quatrième tendance. Nous employons ici le terme “Social learning” dans son acception anglaise relative aux théories de l’apprentissage social (Cf. Lev Vytgosky, Albert Bandura, J.S.Bruner…) et non pas dans son utilisation réductrice de réseaux sociaux telles que Facebook, Linkedin, Instagram l’ont popularisé.
Nous avons mis une note élevée (8/10) car nous avons le sentiment que tout ce qui tournera dans les prochaines années autour de l’apprentissage entre pairs, apprentissage organisationnel, apprentissage en réseau, apprentissage en situation de travail… va se développer aux dépens d’une formation très formelle et administrée via des stages et des plans de formation.
L’AFEST est une vraie innovation. Elle ne remplacera pas tout, mais fera bouger les lignes et changera en profondeur les représentations des directions et services RH-Formation.
L’organisation apprenante et le knowledge management qui ne date pas d’hier, loin de là (déjà très en vogue dans les années 1990), devrait vivre dans les mois et années à venir son deuxième décollage comme on l’a décrit plus haut pour le Digital Learning ou l’IA et la VR. Des solutions digitales (Beeshake, ProSapiens, Degreed…) devraient permettre de “tangibiliser” les beaux principes qui ne sont pas toujours simples à mettre en oeuvre (partage d’expérience, créativité collaborative…).
Tout ceci devrait être accéléré par le fait que les entreprises de + de 50 salariés n’auront plus de moyens de financer la formation de leurs salariés en poste autrement que part leurs budgets. On n’innove bien que sous la contrainte !!!
Personnalisation, hybridation ou multimodalité, Learning Centric, experience learning, certification… 8/10
A l’opposé d’un apprentissage en flux permanent au plus proche du travail, les salariés auront besoin, dans les années futures, de se “ressourcer pédagogiquement” et de prendre le temps de se former pour faire face aux changements profonds de technologies et de “business model”.
Quand ils retournent en formation, il n’est plus question de leur faire vivre un “stage à la papa”. La multimodalité ou hybridation des parcours, l’orientation apprenant et non plus formateur, l’exigence de certification et surtout la personnalisation des parcours de ces formations formelles devraient être une tendance forte.
Ces pratiques apparaissent déjà dans certaines offres d’Université d’entreprise. Certains CFA expérimentent également des parcours personnalisés. Nous n’en sommes qu’au début. Mais les premiers résultats sont encourageants pour l’efficacité des apprentissages (flexibilité, motivation, développement des capacités d’autonomie…).
Nous identifions cependant un risque majeur au développement de ces pratiques de personnalisation et de “Learning Centric” ou “orientation apprenant”, c’est de tomber dans une formation individualisée à l’excès. Si chacun suit son propre parcours en dehors de toute référence à un groupe ou une promotion, les bénéfices des apprentissages sociaux seront perdus. Dynamique de groupe, conflit sociaux cognitifs, modelage… ne sont pas à sous-estimer dans un apprentissage de qualité. Trop d’individualisation pourrait nuire dangereusement à la formation !