Ne confondons pas tout ! Passer une formation présentielle en classe virtuelle via Zoom, Teams, Google Meet ou Livestorm, n’est pas digitaliser et distancialiser sa formation. Cela a pu être une solution du moindre mal pendant le confinement, mais il est impossible de la considérer comme une solution pédagogique durable.
Un amalgame qui arrange tout le monde
Il y a en ce moment, dans le monde de la formation, et encore plus dans celui de l’éducation (cf. l’article paru cette semaine dans Le Monde sur le ras-le-bol des cours en ligne), une grande confusion qui arrange à la fois les détracteurs de la formation à distance et ses promoteurs à moindre effort.
Pour les premiers, réduire la formation à distance à la réalisation de cours classiques en classes virtuelles, c’est :
- Argumenter facilement sur la perte d’efficacité pédagogique. Comment nier qu’animer une classe virtuelle c’est plus fatiguant d’un point de vue cognitif pour les apprenants et les formateurs, c’est perdre la qualité des interactions (surtout quand on dépasse 9 personnes et que la bande passante empêche toute visio), c’est supprimer une grande part des relations informelles autour de la formation (pause café ou déjeuner) et par conséquent tomber dans le travers d’une formation simplement techniciste et non plus vecteur de création d’identité culturelle.
- Expliquer sans difficulté que tout cela renforce la fracture numérique. Comment ne pas être d’accord avec le fait que tous les apprenants n’ont pas tous des espaces-temps de formation propices à la formation (pièce au calme, connexion internet de qualité, wifi non saturé, casque audio de qualité…) et qu’apprendre à distance nécessite quelques prérequis ?
Pour les seconds, souvent offreurs de formation, c’est le moyen le plus simple pour…
- Proclamer haut et fort qu’ils sont agiles et déjà prêts pour relever le défi de la transformation de l’offre de formation. Mais comment les croire quand on sait qu’il y a encore 3 mois, ils étaient souvent les premiers pourfendeurs de la formation à distance, tenant des propos rappelant une pub célèbre de Renault : « ça ne marchera jamais ! »
L’enjeu, c’est un changement de paradigme pédagogique
En réalité, le passage à la distance est une transformation en profondeur de l’impensé pédagogique. Derrière ces discours qui tournent en rond, se cache une représentation fausse de ce qu’est l’acte d’apprendre. Je dis bien « d’apprendre » et non pas « former ». Car, comme le dit si bien le Professeur Philippe Carré : on ne forme personne, c’est la personne qui apprend !
Mais ce principe de « l’apprenant sujet de sa formation » est loin d’être partagé dans le monde de la formation. Ce qui prévaut encore, trop souvent, c’est le formateur qui forme le stagiaire. Ceci n’est même pas discuté par la plupart des décideurs de la formation. C’est une croyance, une valeur on pourrait dire, une prémisse à n’en pas douter.
Et partant de là, alors oui, passer à la formation à distance peut se résumer à faire des exposés via un logiciel de réunion à distance. Les mots ont leur sens, on appelle cela « classe virtuelle ». La classe est juste mise à distance via les réseaux.
Mais, si comme nous, vous partez du principe que vous ne formez personne, mais que chacun est capable de cheminer vers « son » savoir à condition d’y être accompagné, alors la formation à distance est beaucoup plus riche qu’un simple passage de la classe sur un nouvel outil, fut-il numérique.
La formation à distance ouvre alors de nouveaux horizons pédagogiques :
- Elle permet la personnalisation. En combinant auto formation via des ressources digitales et formation collectives via des classes virtuelles à partir d’un positionnement en début de parcours de qualité, elle devient une formation juste assez, juste à temps.
- Elle facilite l’ancrage mémoriel. En distribuant les apprentissages (2 ou 3 heures par semaine sur 3 ou 4 semaines par exemple), elle est bien plus efficace qu’une formation présentielle massée (2 jours d’affilée, par exemple),
- Elle favorise un aller-retour entre acquisition de savoir et mise en pratique. En permettant pendant les intersessions entre les classes virtuelles d’appliquer sur des cas réels, elle se combine parfaitement à l’AFEST.
- Elle donne accès à une évaluation de qualité. Pour toutes les raisons précédentes, un apprenant en formation à distance, n’acquière plus simplement des connaissances, mais développe des compétences. Et c’est facile alors pour le manager ou le commanditaire d’évaluer l’élévation du niveau de compétences.
Une formation exigeante
Pour tirer tous les bénéfices d’une formation à distance, trois conditions sont à réunir :
- Un équipement de qualité et bien utilisé. Débit, caméra et son de qualité pour les classes virtuelles, plateforme de partage de données tels que One Drive ou Google Drive, messagerie et groupe de discussions sont des prérequis essentiels pour une formation efficace. Mais ils ne sont pas suffisants. Encore faut-il que formateur et apprenants maitrisent ces outils. C’est pourquoi les accompagner dans leurs premières utilisations n’est jamais du luxe.
- Une scénarisation des parcours. La formation à distance est avant tout une affaire de conception pédagogique. Plus qu’en présentiel, il est nécessaire de soigner l’expérience apprenante. Combiner au mieux temps d’auto formation, mise en pratique sur le terrain, travail en sous-groupe pendant les classes virtuelles ou en intersession, retour d’expérience en classe virtuelle est la clé du succès d’une formation à distance. Cela nécessite une expertise en ingénierie pédagogique et du temps pour le faire ,
- Des ressources pédagogiques variées et de qualité. Pour éviter les longs exposés en classe virtuelle, généralement bien moins efficaces qu’en présentiel, il est indispensable d’imaginer des séquences de découverte en amont et d’approfondissement en aval. Et pour cela, il faut impérativement flécher vers des ressources pédagogiques digitales. Sans bibliothèque fournies de modules d’auto formation, la formation en distance se résume à de simples cours en visio. Mais malheureusement, créer sa bibliothèque ne s’improvise pas. Cela nécessite bien plus d’investissement que de prendre un abonnement premium chez Zoom !
Passer à la formation à distance ne se fait donc pas en claquant des doigts. Un haut niveau d’investissement et de professionnalisme sont indispensables. La formation à distance ne doit surtout pas être une formation low cost.
C’est pourquoi, loin des discours réducteurs sur la formation à distance, les professionnels de la formation se doivent aujourd’hui de réaffirmer haut et fort ce qu’est cette « nouvelle » modalité de formation. Nous mettons « nouvelle » entre guillemets, car ne l’oublions pas, la FFFOD, pionnier de la formation ouverte et à distance, fêtera ses 25 ans cette année ! Ils doivent clairement en expliciter ses avantages, mais aussi ses limites quand les conditions ne sont pas requises. Comme pour l’AFEST, c’est aux acteurs de la formation de prôner une formation de qualité. Et cela passe non pas par un débat de cours d’école ou de café du commerce autour de « c’est bien ou c’est mal », mais par le déploiement de démarches, de techniques et surtout d’une nouvelle vision de la formation, centrée sur l’apprenant et non plus sur le formateur.