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L’apprenance, l’angle mort du CPF !

Le CPF 2018, à l’inverse du DIF et du CPF 2014, semble prendre un envol rapide. Les chiffres bruts sont à cet égard très encourageants : 1,185 millions de dossiers acceptés au 31/12/2020, 1,44 Milliards d’euros engagés pour un investissement moyen par dossier de 1216 euros, selon le bilan de la CDC.

Mais comme nous l’avons indiqué dans un précédent article, ces chiffres sont peut-être l’arbre qui cache la forêt. Et la forêt prend aujourd’hui la forme d’une marchandisation à outrance des prestations CPF. Des organismes de formation, souvent de nouveaux entrants, ont mis au point des stratégies bien rodées : centre d’appel pour contacter en direct les futurs bénéficiaires, réponse formation qui satisfait à la fois des aspirations à la frontières du pro et perso comme les formations en langues ou en bureautique mais également de plus en plus souvent des formations plus originales comme la décoration d’intérieur, la cuisine, et même le coaching sportif.

Alors quoi faire face à cette dérive de la marchandisation des prestations CPF, loin des idées de base qui avaient présidées en septembre 2018 à la mise en oeuvre de ce dispositif ?

Pour rappel le double objectif de la loi “Avenir Professionnel” extraits des motifs de la loi :

“L’objectif est double : 1) donner de nouveaux droits aux personnes pour leur permettre de choisir leur vie professionnelle tout au long de leur carrière. Il s’agit de développer et de faciliter l’accès à la formation, autour des initiatives et des besoins des personnes, dans un souci d’équité, de liberté professionnelle, dans un cadre organisé collectivement et soutenable financièrement… 2) renforcer l’investissement des entreprises dans les compétences de leurs salariés, par une simplification institutionnelle et réglementaire forte et le développement du dialogue social et économique. Le cadre législatif doit également simplifier et adapter les outils d’insertion professionnelle pour les publics les plus fragilisés, tout particulièrement les travailleurs handicapés”.

1) Faire la chasse à tous ceux qui s’engouffrent dans la brèche ouverte ?

C’est une réaction évidente et logique mais vaine. Car les solutions pour s’attaquer à tous les organismes de formation qui se sont orientés sur ce nouveau marché sont loin d’être simples.

Comment faire par exemple pour lutter contre les opérateurs de formation qui appellent sans relâche les bénéficiaires du CPF appâtés par les sommes rondelettes de leurs crédits sur le compte de la CDC ? Interdire le démarchage en formation ? Mais dans ce cas, il faudrait, comme pour les professions d’avocat ou d’huissier, l’interdir pour toute prestation de formation. Ce qui n’apparait pas raisonnable vu le niveau de concurrence du marché de la formation B to B.

Autre solution : refermer le champ des prestations éligibles au CPF aux seules formations certifiantes RNCP. Et supprimer ainsi les certifications au répertoire spécifique. La solution là aussi est séduisante et nous aimerions pouvoir la retenir. Mais dans ce cas, il faudrait trouver de nouvelles ressources pour le CPF. A 1200 euros en moyenne par formation acceptée, les fonds du CPF sont déjà au bord de l’épuisement. Si on ne retenait que des formations certifiantes RNCP, on passerait probablement à 5.000 euros par formation acceptées, ce qui reviendrait à pouvoir financer seulement 200.000 formations par an. En prenant comme base 30 millions d’actifs, la chance de pouvoir se former via le CPF ne se renouvellerait que tous les 150 ans !

Dernière solution qui peut venir à l’esprit : exiger un lien direct entre formation et certification afin d’éviter le biais des certifications génériques telles que celles qui sont utilisées pour les langues (TOEFL) et la bureautique (TOSA). Mais dans ce cas, il faudrait une armée de contrôleur pour étudier les demandes de dossiers. On reviendrait alors à une logique du type CIF ou CTF. Bref, l’inverse de ce que le Législateur souhaitait en créant le CPF en 2018. N’oublions pas les annonces de la Ministre du travail de l’époque, Muriel Pénicaud, qui faisait le pari d’une inscription facilitée grâce à l’appli CPF (cf. les propos tenus lors du lancement de l’appli CPF en novembre 2019 – cliquez ici).

2) Développer les capacités d’apprenance des futurs formés

Finalement, la seule solution crédible se trouve du côté non pas de l’offre mais de la demande. Avec le CPF 2018, on a “solvabilisé” la demande sans avoir pris soin de lui expliquer comment se servir de ce nouveau capital. C’est un peu comme si on avait dit aux salariés : “On vous a versé 1.000, 2.000, et bientôt 5.000 euros sur votre compte et vous pouvez en faire ce que vous voulez !”

Le chèque cadeau est conséquent. Ce n’est pas un simple chèque vacances ou une dizaine de tickets restaurants. Il devrait engager tous ceux qui le reçoivent.  Mais leur a-t-on expliqué ce que c’est que se former ? Quels sont les bénéfices que l’on peut en retirer, les efforts et investissements qu’il faut consentir pour retirer ces bénéfices, les techniques qu’il faut mettre en oeuvre pour tirer profit des formations suivies. Bref, on a donné l’argent comme la mamie le donne à son petit-fils adolescent à Noël, espérant qu’il s’achètera des livres avec et qui, dès le dos tourné, va s’acheter le dernier jeu vidéo à la mode !

Ce qui manque au CPF 2018, c’est le mode d’emploi qui permettrait à chacun de l’utiliser au mieux. Et ce mode d’emploi n’a rien de simple. Nous pouvons lui donner un nom : “l’apprenance”.

L’apprenance en psychologie de la formation, c’est la capacité qu’a une personne à se former. Elle comprend trois dimensions :

  • Une dimension conative, c’est-à-dire le projet d’apprendre : identifier les raisons qui nous conduisent à nous former afin d’identifier des formations réellement utiles pour soi. Et ainsi rester motivé tout au long de son parcours de formation. Car l’engagement en formation est avant tout une affaire de projet professionnel clair et précis.
  • Une dimension affective, c’est-à-dire prendre du plaisir à se former. Là aussi pour rester motivé et aller au bout de son projet de formation et obtenir sa certification. Ce qui veut dire que tout apprenant doit bien choisir ses modalités pédagogiques (et pas seulement que ses objectifs pédagogiques). Mais cela signifie aussi que l’apprenant est conscient de ses capacités et qu’il a développé un niveau de sentiment d’efficacité personnelle suffisamment élevé pour pouvoir resté engagé tout au long de sa formation.
  • Une dimension cognitive. Apprendre nécessite de maîtriser des techniques d’apprentissage. Cela va de choses aussi simples que la lecture rapide jusqu’à savoir se préparer mentalement à un examen, en passant par savoir noter, annoter, résumer un contenu pédagogique ou encore savoir expérimenter sur le terrain de nouvelles connaissances.

Bref, se former ce n’est pas, à l’inverse de ce que pourrait le laisser croire l’appli CPF et notamment sa dernière évolution avec son système de notation des organismes de formation, suivre une série sur Netflix ou passer une nuit dans un hôtel réservé sur Booking.com. Cela nécessite des savoirs et savoir-faire pour en profiter. Or, ces savoirs et savoir-faire s’acquièrent en partie avec le niveau d’étude, d’où le risque de creusement des inégalités via le CPF, s’il se résume à un chèque cadeau sans mode d’emploi.

Les efforts de la CDC devrait être orientés aujourd’hui sur cette question fondamentale de l’apprenance des bénéficiaires du CPF. Loin de nous, l’idée de rétablir un permis de se former pour bénéficier des crédits du CPF, comme cela existait d’une certaine façon avec l’ex-CIF. Mais compte tenu des moyens et objectifs en jeu ne pourrait-on pas imaginer quelques solutions ou garde-fous pour développer l’apprenance des personnes s’engageant dans un parcours CPF ? Cela pourrait prendre la forme a minima d’un questionnaire au moment de l’inscription pour confirmation des choix réalisés. Ce questionnaire pourrait porter sur son besoin, ses modes d’apprentissage privilégiés, sa disponibilité et ses capacités à réussir les épreuves exigées, etc.

Mais cela pourrait passer également via des mini formations gratuites pour développer des techniques de type “apprendre à apprendre”. Ou encore un système d’aide au choix sur sa formation via des chatbots.

Il existe certainement un grand nombre de solutions simples pour prendre en compte la question de l’apprenance des bénéficiaires du CPF. Il suffit de se pencher sur le problème pour trouver les solutions. L’énergie ainsi mobilisée pourrait rapporter gros. Car ne le nions pas, un jour le bilan du CPF 2018 sera véritablement réalisé. Et le constat fera mal : le CPF aura permis de faciliter l’accès à la formation, mais pour quoi faire ? Pour quel résultat ? Pour quelle élévation du niveau des compétences des actifs en France ?  Pour quelle émancipation par la formation ?

 

Marc Dennery

Marc Dennery

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