En janvier dernier, nous évoquions avec les dirigeants de Espace Propreté et Forma-Pro , en quoi l’AFEST permettait une insertion durable dans l’emploi pour des agents de propreté. Dans cette seconde partie, nous découvrons d’autres effets concrets de l’expérience et un modèle de formation multi-modal dessinant potentiellement les contours de ce qui ressemble à une organisation apprenante.
L’AFEST ne concurrence pas l’offre classique de formations, elle fait entrer la formation au cœur de l’entreprise…
Henri Occre : Gaël, en tant que dirigeant d’un Organisme de Formation, l’AFEST vient-elle en concurrence de votre offre de stages ?
Gaël Malinowski : Au contraire, l’AFEST donne plus de vie aux projets multi-modaux de formation. On ne fait pas moins de formations, c’est l’inverse ! Et la formation, grâce aux mises en situation AFEST, rentre plus en profondeur des équipes, au cœur de l’entreprise. L’AFEST implique aussi davantage l’encadrement de proximité, qui lui-même progresse en pédagogie et prise de recul sur le travail.
Pascal Gahéry : J’ajouterais que l’AFEST étant à la conjonction de la production et de la formation, notre référente AFEST interne est là pour veiller à ce que la production et ses impératifs ne prennent pas trop l’ascendant sur la formation. Cela signifie clairement pour moi qu’un référent AFEST en PME doit être positionné au niveau de la direction de l’entreprise (notre référente est aussi notre directrice adjointe) ou qu’il a un pouvoir décisionnel face aux cadres de l’exploitation.
100% de réussite des apprenants au CQP !
HO : Concrètement quels sont les résultats de vos 1ers candidats au CQP de branche ?
GM : Sur la première promotion présentée au CQP par Espace Propreté, les 14 candidats ont validé le certificat donc 100% de réussite. Cela nous encourage pour la suite !
De l’AFEST à l’organisation apprenante…
HO : Pascal et Gaël : quels effets et bénéfices constatez-vous sur vos collaborateurs : pédagogiques au niveau des apprenants – tuteurs et plus globalement dans la structure Espace Propreté ?
GM : L’AFEST dans la multi-modalité permet de structurer les apprentissages, de les cadrer, de leur donner une ligne directrice. Dans le cadre de la certification CQP visée, cela permet également de mieux préparer les apprenants aux épreuves. Avec le recul d’une année, on constate qu’ils font mieux le lien entre les apports en présentiel et distanciel et les mises en situation AFEST. Dans les phases réflexives avec les tuteurs, ce point est intéressant. Nos publics du secteur de la propreté ont besoin de « vivre et imaginer la réalité » pour réussir à transposer les apports de la formation en salle/ en ateliers. La mémorisation globale est également facilitée par l’association des modalités. On associe par exemple des photos et vidéos et des mises en pratiques sur le terrain, entrecoupées de séquences où les apprenants réfléchissent et prennent du recul. Ils comparent ce qu’ils ont fait avec les modèles en images. Les 3 modalités pédagogiques qui se complètent, expliquent l’excellent taux de réussite final.
PG : Espace Propreté est devenue une organisation apprenante où chacun à son niveau est contributif. Cela donne plus de « force et de chance » à l’action quotidienne. Pas uniquement chez les tuteurs : y compris dans l’équipe administrative, heureuse et fière du succès collectif. Le regard sur eux-mêmes de nos encadrants a changé : avant ils se voyaient comme des garants de la production. Aujourd’hui ils s’auto-valorisent davantage comme des transmetteurs et des accompagnateurs dans l’apprentissage. Ils se sont aussi interrogés sur leurs propres méthodes et façons de faire, sur l’harmonisation des processus de production. Ce parcours de formation redonne concrètement un second souffle à toute notre équipe et un fort sentiment d’appartenance.
Finalement, nos salariés en insertion trouvent un emploi durable ! Souhaitons que ces salariés retrouvent aussi dans leur entreprise d’accueil une forme de continuité en formation. Nous gardons en tête à cet égard que nous devons aussi préparer nos apprenants à la réalité des entreprises classiques…
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HO : Y-a-t-il eu aussi des effets mesurés dans la performance opérationnelle des apprenants ?
PG : Les effets sont sensibles mais pas encore mesurés. Par exemple, je constate que nous déclenchons moins d’avoirs comptables aux clients suite aux prestations de nos salariés. Avant d’aller sur la mesure précise, nous avons encore besoin de stabiliser notre organisation. Nous devons par exemple réduire l’absentéisme, né de la fragilité intrinsèque de nos publics. Nous y travaillons en intégrant une responsable d’exploitation.
Rigueur dans la méthodologie AFEST et bienveillance collective dans la durée
HO : A tous les 2 : justement à quels difficultés ou points de vigilance avez-vous été confrontés dans l’AFEST ?
PG : La 1ère vigilance porte sur la rigueur dans la méthode AFEST. La production est prioritaire mais les espaces temps réflexifs sont aussi prioritaires. Si on ne respecte pas (en les planifiant) ces temps de “respiration”, l’AFEST ne peut pas fonctionner. Comme notre responsable d’exploitation est guidée par la production, il faut une référente AFEST au même niveau, comme garante de la formation (notre référente est directrice RH et administrative)
GM : La volonté de l’équipe de direction chez les employeurs est essentielle. Il faut aussi changer les codes sur la formation professionnelle. Il ne s’agit plus tellement pour l’encadrement, d’envoyer ses salariés en stage pendant 1, 2 ou 3 jours. Il faut prévoir des temps dédiés, presque chaque jour, pour apprendre dans l’entreprise. Il faut donc distribuer l’apprentissage dans le parcours au long des mois et non former en une seule fois, comme avant. Les temps dédiés à l’apprentissage doivent donc obligatoirement être intégrés aux temps de production, pour amener progressivement à la réussite.
Le management de l’AFEST, c’est comme le management en général…Outils – Méthodes – Posture !
PG : Le management de l’AFEST c’est comme le management d’une organisation en général : Outils – Méthodes – Posture ! Sinon c’est vouée à l’échec. Les rôles et objectifs doivent être définis. Ainsi que la méthode, pour parvenir au succès. Bien entendu, nous ne sommes pas dans un monde idéal. La méthode sera altérée par les urgences du quotidien. Mais elle doit rester un guide pour nous. Nous n’y sommes pas encore totalement parvenus, mais on s’améliore ! Par exemple nous comptons mettre en place un livret individuel d’accompagnement AFEST avec des temps quantifiés et des jalons identifiés pour les évaluations.
GM : L’AFEST c’est aussi de la bienveillance dans le temps. Chacun à son niveau doit s’inscrire dans une bienveillance vis-à-vis des autres. Sinon la formation peut vite devenir un sujet de préoccupation ou de tensions au sein du collectif. Ce qui finirait par ralentir “l’outil de production”, ce serait un comble ! On ne transforme pas en un seul coup, un « sachant » ou un chef d’équipe en tuteur-accompagnateur AFEST. Il faut du temps et de la bienveillance. Donc faire aussi avec l’équipe d’encadrement qu’on a. Si on procède de cette manière, on récolte à la fin de la joie et de la fierté des encadrants.
PG : Je voudrais apporter une précision : la formation chez nous est stratégique car dans le projet d’entreprise. Nous avons cultivé ce projet pour que tous y adhèrent. Si je me mets à la place des autres entreprises, quid si la formation est juste une préoccupation du service RH ou du responsable formation ? A mon avis l’AFEST ne sera pas bien comprise. Je recommande a minima une sensibilisation forte de l’équipe ainsi que le portage par la direction, de ce choix pédagogique délibéré qu’est l’AFEST. Si c’est le projet de la direction, on évitera les agacements et tensions entre les productifs et les fonctions support.
Pas d’AFEST en dilettante !
HO : Je confirme votre propos : pour avoir mené une étude sur les premières mises en œuvre d’AFEST en PME-TPE, celles qui ont un portage par la direction réussissent à installer cette modalité dans la durée. Dernière question : selon vous peut-on massifier l’AFEST dans les entreprises ?
PG : J’avais un dessein en ce qui concerne l’AFEST. Mais créer une culture de formation interne, cela prend du temps et cela nécessite un investissement. Il faut, je me répète, amener des outils, de la méthode et une posture adaptée aux encadrants-tuteurs. Ça ne se décrète pas, ça s’accompagne. Je répondrais oui mais il faut veiller aux étapes nécessaires pour réussir.
Professionnaliser les référents AFEST et tuteurs
GM : Les entreprises ne peuvent pas se lancer en AFEST en mode amateur. Il faut de l’envie partagée, du sérieux, professionnaliser les référents et tuteurs. J’insisterais aussi sur la collaboration entre l’organisme de formation et l’entreprise. En tant qu’OF nous souhaitons inscrire cette collaboration dans la durée. Pour cela nous analysons au fil de l’eau ce que nous faisons et nous l’améliorons au fur et à mesure. Nous visons d’abord la qualité dans la modalité pédagogique, avant de viser la quantité d’apprenants formés. Même si ce que nous expérimentons avec Espace Propreté, nous amène déjà à évoluer avec d’autres clients.
PG : Les entreprises rencontrent des difficultés croissantes à recruter. Or nous voyons arriver chez Espace Propreté des publics encore plus fragiles qu’avant et encore plus loin de l’emploi. Il va donc nous falloir nous interroger sans cesse sur l’évolution et l’adaptation de l’AFEST par rapport à ces personnes. La poursuite du projet va aussi nous aider à grandir nous-même.