Trois ans après la loi instituant les AFEST, les expériences de mise en œuvre ne manquent pas. Directions L&D et organismes de formation ont multiplié les déploiements. Ahmed Kabèche, directeur de l’école des métiers techniques d’Orange croise son regard avec Marc Dennery, co-fondateur de C-Campus, pour nous livrer retour d’expérience et vision prospective sur cette modalité pédagogique originale.
Cet article a été publié dans l’excellente revue MagRH numéro 16.2 – Tech & Learn – mars 2022 que vous pouvez retrouver en cliquant ici.
Quel bilan tirez-vous à date de l’AFEST ?
Ahmed Kabèche – Orange : Notre bilan de l’AFEST à date est contrasté. Tout dépend de l’appropriation qui en est faite par le terrain. Pour certains et, heureusement ils sont les plus nombreux, c’est un formidable moyen pour repenser sa façon de former. C’est bien plus qu’une nouvelle modalité pédagogique. L’AFEST s’avère être le premier élément tangible d’une entreprise apprenante.
Chez Orange, nous sommes convaincus de la pertinence du modèle 70-20-10 où 90% du développement des compétences est réalisé en dehors de la formation formelle en salle, en Visio ou via des E-learning. Et pourtant, nos efforts ont longtemps été dirigés vers ces 10% de formation formelle. Aujourd’hui, quand les équipes opérationnelles s’approprient l’AFEST, elles s’organisent mieux et développent tout ce qui relève de la formation informelle. L’AFEST nous permet de nous focaliser enfin sur les 90% du modèle 70-20-10.
Mais soyons réalistes, si le management n’en est pas convaincu et ne s’approprie pas le développement des compétences au jour le jour des équipes, l’AFEST est perçue comme un carcan bureaucratique, compliqué à mettre en œuvre.
Marc Dennery – C-Campus : ce constat nous le faisons également avec nos clients entreprises et organismes de formation. L’AFEST ne peut être imposée de l’extérieur ou d’en haut. Les projets d’AFEST qui portent leurs fruits, proviennent toujours à l’origine d’une demande forte du terrain. Si le manager, les experts et les « collaborateurs-apprenants » n’attendent pas grand-chose, il vaut mieux passer son chemin.
La demande n’est jamais exprimée sous la forme « je veux faire de l’AFEST », car les opérationnels ne savent pas ce qu’est l’AFEST. Mais ils ont toujours un véritable enjeu, soit d’intégration de nouveaux embauchés, soit de perfectionnement des collaborateurs en place. Quand on leur explique alors que l’AFEST peut leur permettre de mieux organiser cette montée en compétence, ils « achètent » tout de suite. Ce qu’ils apprécient tout particulièrement dans l’AFEST, ce sont ses deux fondements méthodologiques : l’analyse du travail préalable et les séquences réflexives. Pour le premier, c’est l’intérêt de travailler à l’identification des compétences critiques de leurs équipes. Pour le second, c’est le fait de mettre en place des rituels de formation ou d’apprentissage, au cours desquels leurs collaborateurs apprennent grâce à des techniques comme le questionnement réflexif, le feedback, le modelage, les groupes d’analyse de pratique, etc.
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Quels sont les bénéfices de l’AFEST pour une entreprise ? pour un organisme de formation ?
Ahmed Kabèche – Orange. Les bénéfices pour une entreprise, Marc vient de les dire. Je rajouterai aussi et surtout, le transfert des savoirs organisés et valorisés. Nous vivons dans notre entreprise, comme dans beaucoup d’autres, un remplacement générationnel. L’AFEST nous permet d’amener les « sachants » qui vont bientôt partir à la retraite, à transférer leur savoir-faire aux « nouveaux entrants ». Il y a une sorte de passage de témoin. Et celui-ci peut aller d’ailleurs dans les deux sens, dans une logique de reverse mentoring où certains entrants peuvent aussi apporter beaucoup aux quadras et quinquas qui doivent renouveler leurs compétences. Je voudrais d’ailleurs insister sur un point : il n’y a pas que le bénéficiaire de l’AFEST qui se forme lors d’une AFEST. L’accompagnateur aussi, car il est amené à formaliser son expertise avant de la transférer.
Autre point, le manager affirme son rôle de coach et de développeur de talent. Nous le constatons tous les jours, quand la mayonnaise AFEST prend, l’équipe est plus engagée, plus motivée. L’AFEST n’est pas une action de formation esseulée, c’est une dynamique de formation permanente et croisée. C’est pour cela que nous la vivons comme une première marche vers un modèle d’organisation apprenante.
Marc Dennery – C-Campus. Les bénéfices pour un organisme de formation sont évidemment assez différents de ceux pour une entreprise. Nous avons certifié à date plus de 400 référents AFEST. La majorité d’entre eux sont Consultants-Formateurs indépendants ou Consultants formateurs de petites structures de formation (N’oublions pas qu’ils représentent la moitié des opérateurs de formation puisque la médiane du marché de la formation est à 250.000 € de CA seulement). Pour ce public, l’AFEST représente un nouveau marché. Les PME, et même certaines TPE, sont aussi très intéressées par l’AFEST car elle permet de former sans faire partir en formation. Les opérateurs qui interviennent à la fois en conseil RH-Management et en coaching voient dans l’AFEST une façon de se distinguer sur le marché, avec des outils très puissants et originaux comme l’analyse du travail et la pédagogie réflexive.
Concernant les plus gros offreurs de formation, ceux qui sont sur le marché classique de la formation courte, ils n’en ont pas encore saisi toutes les opportunités car ils ont été trop fortement secoués par la crise sanitaire. Leur priorité était de « distancialiser » la formation pour survivre, l’AFEST étant assez loin de leur préoccupation première.
Il en est de même pour les opérateurs évoluant sur le marché de l’éducation professionnelle, ceux qui forment des contrats de professionnalisation et d’apprentissage. Là aussi, la priorité n’était pas l’AFEST ces derniers mois. Il fallait face à la demande et gérer les changements de règles financières. Mais pour ces opérateurs, l’AFEST deviendra à moyen terme un enjeu crucial pour flexibiliser leurs parcours de formation. Reste à lever l’ambigüité juridique autour de l’AFEST dans le contrat d’apprentissage.
Enfin, n’oublions pas le dernier opérateur : les universités et écoles d’entreprise. Là, elles sont très intéressées et voient cette nouvelle modalité comme un moyen de développer l’organisation apprenante. Ahmed Kabèche en témoigne ici pour Orange.
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Quelles sont les difficultés à surmonter pour passer l’AFEST à l’échelle ?
Ahmed Kabèche – Orange : Nous devons rendre l’AFEST plus agile en éliminant certains irritants en lien avec les outils. Cela passe par la mise en place d’une application sur mobile facilitant la traçabilité des parcours et remontant les données vers nos SI-RH.
Ensuite, nous devons accompagner les accompagnateurs ! Ceux qui portent l’AFEST doivent rester engagés dans la durée et nous nous devons de les aider, les « supporter » au sens anglais du terme. Cela nécessite une attention toute particulière au déploiement des AFEST, en impliquant au premier chef le manager d’équipe.
Marc Dennery – C-Campus : Pour passer à l’échelle, les entreprises doivent intégrer l’AFEST dans leur quotidien. Elles doivent pratiquer l’AFEST collective ou l’AFEST au sein de chaque équipe. Et pour ce faire, les représentations autour de la formation doivent changer radicalement. Il faut se battre contre 50 ans de loi Delors. Cette loi a séparé la formation du travail. Les managers, les apprenants, les dirigeants d’entreprise croient encore que tout problème de compétence se résout par un stage, ou, pour faire moderne, des cours en ligne ou des webinaires. Ce qui est complètement faux. L’essentiel des apprentissages se font en situation de travail. Mais pour les optimiser, ces apprentissages doivent être formalisés, d’où l’AFEST. Quand les opérationnels en sont convaincus, ils trouvent toujours des moyens pour l’organiser.
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Pour conclure, quels conseils donneriez-vous à un confrère (entreprise et organisme de formation) avant de s’engager dans l’AFEST ?
Ahmed Kabèche – Orange. Un conseil majeur pour l’entreprise : soigner la communication ! Ce qui signifie concrètement mobiliser tous les acteurs : managers, apprenants, accompagnateurs. Et communiquer cela veut dire aussi être pédagogue et partir des attentes des parties prenantes plutôt que d’imposer un modèle rigide d’AFEST. D’ailleurs, il n’y a pas une AFEST, mais des AFEST. Il n’existe pas une traçabilité et un formalisme d’AFEST, mais des façons de formaliser des AFEST, en fonction de la nature du travail, de la culture de l’entreprise et de la culture de formation. Nous constatons tous les jours cette diversité dans les projets d’AFEST que nous déployons.
Marc Dennery – C-Campus. Pour les organismes de formation, le conseil est de prendre l’AFEST pour ce qu’elle est : une modalité pédagogique de plus ; et la laisser pour ce qu’elle n’est pas : un dispositif de formation qui va tout remplacer. Dans quelques années, tous les organismes de formation feront de l’AFEST, comme ils ont toujours fait du présentiel et font aujourd’hui du distanciel. Donc, il faut l’intégrer très vite dans son offre de formation comme une modalité très utile pour passer de la transmission de savoirs à l’acquisition de compétences. C’est peut-être un détail pour certains, mais cela veut dire beaucoup pour les pédagogues que nous sommes !