« On apprend toujours de ses erreurs » fait partie de ces pseudo-principes, de ces théories tenues pour vraies ou encore de ces allant-de-soi, qui ne se discutent plus aussi bien dans le milieu de la formation que dans celui du développement professionnel. C’est à croire qu’il suffirait de se tromper pour devenir un expert !
Certes se tromper, et même parfois échouer, n’est pas en soi un frein à l’apprentissage et au développement. Mais tout dépend du cas de figure où l’on se trouve et comment l’on réagit et l’on est accompagné.
4 façons de faire, face à une erreur en formation
Lorsqu’on commet une erreur au cours de la réalisation d’une tâche ou d’un exercice, qu’il soit pédagogique ou en situation de travail réel, on peut se retrouver face à 4 situations différentes. Ces 4 situations forment en quelque sorte la “matrice de l’erreur”.
« L’erreur ignorée » (- / -) ou le “mésapprentissage”
Premier cas de figure, nous commettons une erreur et nous ne nous en apercevons pas. Personne ne nous corrige et nous ne sommes même pas capable de voir, que ce que nous faisons n’est pas correct. Conséquence : nous intégrons l’erreur. Nous pouvons aller jusqu’à nous persuader que c’est ainsi qu’il faut agir.
A nos dépens, nous “apprenons”, puisque nous ancrons le geste, mais malheureusement cet apprentissage est mauvais. Nous réalisons ce que l’on peut appeler un « mésapprentissage », c’est-à-dire un apprentissage erroné, à notre insu.
C’est étonnant, mais il y a très peu de littérature sur cette question de pédagogie. Tapez mésapprentissage ou apprentissage erroné dans un moteur de recherche et vous serez surpris du résultat. C’est comme si l’apprentissage était toujours correct et qu’on avait toujours les moyens de corriger ses erreurs.
En fait, si dans votre vie vous avez appris à pratiquer par vous-même un sport ou un art, vous savez qu’en fait il n’en est rien. Seul, sans bénéficier de feedback, vous multiplierez les mésapprentissages. Et il vous sera bien difficile ensuite de désapprendre.
C’est pourquoi, on peut dire, sans même avoir de résultats scientifiques à notre disposition (si vous en avez, merci de nous l’écrire conseil@c-campus.fr), qu’il va de soi que l’erreur n’est pas toujours source d’apprentissage et qu’elle peut même être un obstacle à son développement.
« L’erreur corrigée » (- / +) et le risque de perte d’autonomie
Dans ce deuxième cas de figure, l’erreur que nous avons commise est immédiatement corrigée par la personne qui nous accompagne (formateur, tuteur, accompagnateur AFEST). Nous n’avons pas le temps de l’analyser, tout juste nous l’avons identifié, que notre accompagnateur ou notre environnement nous propose une correction et nous dit comment faire.
C’est un cas typique dans les formations tutorales ou les stages de formation surchargés. Le tuteur comme le formateur, n’a pas le temps d’amener l’apprenant à réfléchir, à chercher par lui-même la solution. Ils préfèrent comme le dit le proverbe « lui donner immédiatement le poisson, plutôt que de lui apprendre à pêcher ».
Résultat des courses : l’apprenant corrige son erreur, ce qui lui évitera probablement de la reproduire ultérieurement. Mais a-t-il pour autant appris ? Rien n’est moins sûr, car l’expérience vécue risque de ne pas être émotionnellement et cognitivement suffisamment marquante. Il peut alors retomber facilement dans le piège. Et une fois face à la difficulté, ne pas forcément (re)trouver comment s’en sortir.
Si vous avez bénéficié de formation à un logiciel informatique récemment, ce cas de figure devrait vous parler. Combien de fois, le formateur vous a dit de cliquer là et puis ici, quand vous n’y arriviez pas. Vous l’avez fait, vous n’avez pas pris le temps de noter. Et vous l’avez oublié. De retour à votre poste de travail, vous n’avez plus qu’à demander à votre collègue comment il fait. Et pour corser le tout, même si vous avez pris le temps de le noter, 9 fois sur 10, la configuration logicielle que vous avez eu en formation n’est pas celle que vous avez lors de la migration sur votre poste de travail. Et vous êtes alors perdu, car vous n’avez rien appris lors de votre formation de ce qu’il fallait faire et surtout pourquoi il fallait le faire. Le formateur vous a simplement dit où il fallait cliquer !
Vous l’aurez compris ce deuxième cas de figure n’est pas beaucoup plus apprenant que le premier. Il peut même avoir également des effets néfastes. A long terme, par exemple dans une relation tutorale, il peut amener l’apprenant se mettre en position de « dépendance pédagogique » vis-à-vis de son tuteur. Plutôt que d’amener l’apprenant à chercher par lui-même les solutions pour corriger ses erreurs, il l’incite à se tourner très vite vers son tuteur – accompagnateur. A quoi bon chercher, puisqu’il me donnera la solution. Le tuteur se transforme en super Chatbot. En entendant que l’IA le supplante…
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« L’erreur apprise » (+ / -) et le risque de perte d’engagement
Dans ce troisième cas de figure, nous commettons une erreur et nous l’identifions. Nous prenons conscience que nous l’avons commise mais malheureusement nous ne trouvons pas le moyen de la corriger. Et personne n’est disponible pour nous aider. Nous restons avec notre erreur.
Ce cas est moins problématique que le premier puisque nous avons pris conscience de l’erreur et nous serons averti lorsque nous risquerons de la reproduire. Pour autant, nous n’avons pas trouvé la solution et nous n’avons rien résolu.
Si vous débutez dans une langue, ce cas de figure ne vous est pas inconnu. Quand vous manquez de vocabulaire et de tournures grammaticales, vous vous débrouillez avec ce que vous savez et vous faites de longues périphrases, des gestes et des tournures bien alambiquées pour vous faire comprendre. Il en est de même dans votre travail. Si vous êtes formateur et que vous n’arrivez pas à maîtriser les modèles sous Powerpoint, vous ferez des présentations approximatives et vous passerez un temps fou là où d’autres le font en 5’.
Prendre conscience de son erreur ou de sa difficulté, sans pouvoir la corriger est donc loin d’être une situation d’apprentissage confortable. Si vous êtes toujours seul face à vos problèmes et que vous n’arrivez jamais à les résoudre, vous risquez même de voir votre “sentiment d’efficacité personnelle” faiblir dangereusement. Et d’erreurs apprises, vous pouvez très vite basculer dans la « résignation apprise ». Vous développez des processus d’inhibition, qui à terme vous empêcheront de tester et expérimenter. Et par conséquent d’apprendre.
« L’erreur apprenante » (+ / +) et la difficulté devient désirable
Dans ce quatrième et dernier cas de figure, vous identifiez votre erreur et vous prenez le temps de rechercher la solution. Grâce à un questionnement réflexif, vous parvenez à trouver la solution, généralement seul, mais possiblement aussi avec l’aide de pairs ou d’un accompagnateur.
Le fait de vous être retrouvé face à une difficulté, d’avoir pris le temps « d’enquêter » et d’être parvenu à la surmonter, va transformer cette erreur rencontrée et résolue (ou à tout le moins identifiée, en sachant ce que vous devrez faire la prochaine fois) en une expérience à la fois bénéfique et marquante.
L’erreur devient ainsi un « marqueur expérientiel ». Si l’on en croit les travaux du neuro-scientifique Antonio Damasio, notre cerveau aurait la capacité d’associer, au niveau de notre Cortex Orbito-frontal (COF), l’événement marquant avec une sensation émotionnelle. Ce qui nous permettrait lors de l’identification prochaine d’une situation semblable, de nous prévenir et de nous éclairer dans les choix que nous devons faire.
Dans ce dernier cas de figure, l’erreur devient réellement apprenante. Mais ce n’est que parce que nous avons réfléchi, pris le temps de trouver des solutions (parfois simple comme les fameux doigts dans la prise !), vécue un moment émotionnel fort (fait face à un danger, comme pris du plaisir à trouver une solution) que nous sommes capables de tirer bénéfice de notre erreur.
Dans ce cas, l’erreur devient en quelque sorte “désirable”. Loin de l’ignorer (cas #1), de l’escamoter (cas #2) ou de la craindre (cas #3), nous serions presque prêts à la souhaiter. Car nous prenons un malin plaisir à la résoudre. Elle se transforme en défi à relever, mais un défi à l’issue positive.
C’est à ce quatrième et dernier cas que les “experts” en pédagogie de l’erreur font certainement référence, quand ils louent les méritent de l’erreur et de l’échec. Mais il ne faudrait pas pour autant oublier les 3 autres cas, très fréquents, qui existent dans tout apprentissage !
Et n’apprend-on pas en réussissant ?
Evidemment oui ! Et heureusement ! Mais il est vrai que si l’on ne commet que très rarement des erreurs, on bénéficiera moins des effets positifs que nous venons de voir dans “l’erreur apprenante”. Surtout, cela sera peut-être un signe avant-coureur de notre incapacité à nous mettre dans des situations délicates et donc que l’on ne sort pas assez souvent de notre fameuse “zone de confort”.
Mais au final le plus important n’est probablement pas d’échouer ou de réussir, mais tout simplement de se mettre dans des situations suffisamment “délicates”, pour qu’elles nous amènent à réfléchir à ce que nous faisons, à enquêter, puis expérimenter. C’est ce que nous constatons tous les jours en AFEST ou dans des démarches de tutorat bien conduites.
Proposer aux apprenants de relever des mini défis quotidiennement dans leur travail, leur demander de penser leur action avant de s’y engager, de se regarder faire et d’en tirer les enseignements, une fois le travail terminé, c’est que l’on appelle la pratique réflexive. Et c’est ce qui détermine probablement bien plus la qualité de l’apprentissage, que le simple fait de réussir ou d’échouer.
Et dans ce domaine, à l’inverse du mésapprentissage, il existe des études scientifiques de l’apport de la réflexivité sur la qualité de l’apprentissage. On peut citer notamment celle de G.Di Stefano, F.Gino, G.P. Pisano et B.R Staats : “Learning by Thinking: How Reflection Can Spur Progress Along the Learning Curve” qui ont constaté que les personnes cherchant à s’améliorer dans leurs pratiques privilégient à une très large majorité le fait de pratiquer à nouveau, plutôt que de réfléchir sur les pratiques accumulées. Ce choix est pourtant erroné, puisque selon cette étude, ce sont les personnes qui choisissent de réfléchir sur leurs pratiques qui in fine réussissent mieux la tâche. Il nous reste donc encore beaucoup de chemin pour convaincre les entreprises et les managers de développer l’analyse réflexive et pas seulement la formation sur le tas, mais on au moins on sait que l’on ne commet pas d’erreur en cherchant à les convaincre !