Nous avons rencontré Arnaud Trolle dans le cadre du Club compétences où Jean-Marie Marx, Haut Commissaire aux compétences était venu échanger avec quelques organismes de formation autour du déploiement du programme PIC. La diversité des points de vue lors de cette rencontre a montré une nouvelle fois toute la richesse du marché de la formation en France. Les apports d’Arnaud Trolle ont éveillé notre curiosité et nous avons poursuivi nos échanges sur des questions pédagogiques aux UHFP à Biarritz.
Loin d’une logique adéquationniste de la formation qui n’aurait comme but que de servir à faire acquérir des compétences professionnelles le plus souvent peu pérennes, pour ne pas dire jetables, Arnaud défend une vision engagée de la formation au service du développement local et écologique. Derrière son engagement, des enseignements sont à tirer pour les entreprises à la recherche d’une formation plus ouverte et humaniste, moins techniciste et productiviste.
Pouvez-vous nous présenter votre organisme de formation « Savoir-Faire & découverte » ?
La vocation de « Savoir-faire et découverte » est de favoriser la re-localisation de l’économie. Pour ce faire, nous proposons aux salariés, demandeurs d’emploi, personnes en réorientation professionnelle et de vie, de découvrir et se former sur les savoir-faire de l’économie locale et écologique.
On le fait à travers des formations découvertes et des formation-action, qui se déroulent dans l’environnement professionnel d’artisans et agriculteurs engagés dans des pratiques exemplaires (la ferme d’un agriculteur en agro-biologie, l’atelier d’un ébéniste qui travaille le bois local, la boulangerie qui fabrique du pain au levain naturel à partir de blés rustiques…)
Nous recevons 1200 apprenants par an.
La moitié participe à des « formations-découverte» : le but ici est d’évaluer l’intérêt que l’on porte à un métier ou d’acquérir un savoir-faire qui peut être utile dans notre vie personnelle. On est dans l’univers du Do It Yourself. Par exemple, apprendre à faire son savon, son pain ou son fromage chez soi. On est dans des apprentissages utiles pour des usages quotidiens, qui ont un effet positif sur la qualité de vie ET sur l’environnement. On apprend par plaisir, pour soi, pour la planète. Les apprentissages ont des durées de 1 à 5 jours et des finalités d’usage.
L’autre moitié est destinée soit à un public d’adultes en réflexion ou en situation de ré-orientation professionnelle, soit à des salariés qui ont besoin de modifier leurs pratiques. Les formations durent ici de 3 à 30 jours. On peut apprendre à fabriquer du savon à visée commerciale (5 jours), à créer un atelier de fromage artisanal (5 à 10 jours), à fabriquer du pain au levain naturel à partir de farine bio (5 jours).
Comment en êtes-vous arrivé à bâtir cette offre originale ?
J’ai une double formation d’Ingénieur (agro) et un MBA à science-po Paris. J’ai une double culture : urbaine en entreprise d’affacturage France et export (10 ans) et de vie à la campagne engagé dans un projet agricole bio (15 ans). Entre les deux étapes de carrière, j’ai travaillé pour une entreprise spécialisée dans la la formation par le jeu. Bref, tout me conduisait, il y a 15 ans à lancer ce nouveau concept ayant moi-même vécu des ré-orientations professionnelles et de vie très fortes.
Ce projet est une démarche sociétale, engagée. L’idée que j’avais était qu’il deviendrait nécessaire de changer d’économie, pour aller vers des activités moins carbonées, plus humaines. ET les métiers artisanaux « entiers » le permettent.
Qu’entendez-vous par « métier entier »
Chez « Savoir-faire et découverte », nous nous intéressons aux métiers qui permettent la production, la transformation et la valorisation des richesses naturelles du territoire, dans le cadre d’une économie re-localisée, artisanale et écologique. Les structures sont de petites tailles et elles font tout de A à Z. Si on propose « jouets en bois » par exemple, c’est avec un professionnel formateur qui va de l’achat de la matière première à la conception et jusqu’à leur commercialisation. Nous avons une approche holistique de la compétence. Maîtriser un geste professionnel, ce n’est pas maitriser une ou deux situations bien délimitées qui se répètent : C’est savoir-faire, avec des convictions, dans un monde qui évolue. Réaliser des pâtisseries dans un contexte d’économie locale, c’est s’intéresser à la maturité des fruits, savoir échanger avec le producteur local, inventer des modes de commercialisation qui apportent du lien social… notre professionnel interagit ici avec le monde qui l’environne, il apporte une valeur ajouté, aux autres et à lui-même, qui va bien au delà du seul produit.
Quelles sont les innovations pédagogiques de « savoir-faire & découverte » ?
Plutôt que de parler d’innovation pédagogique, nous préférons dire que nous avons des principes pédagogiques.
Premier principe : permettre à chacun de cheminer vers sa professionnalisation. On ne se lève pas un matin et on se dit : « on va devenir boulanger ou on va ouvrir une fromagerie bio ». C’est un parcours qui prend du temps et on peut s’arrêter en chemin. On peut commencer par lire un bouquin, puis faire une formation découverte, pour enfin aboutir à une formation plus professionnelle. C’est pourquoi, notre offre est très découpée, « granularisée » comme on dit aujourd’hui. Chacun construit son parcours, à son rythme. Les apprenants sont réellement engagés.
Deuxième principe : le décloisonnement des métiers. Je peux être en même temps fromager et épicier, fabricant et animateur d’ateliers cosmétiques, boulanger et musicien … Et ce que j’apprends pour un métier peut me servir pour un autre. Nous ne sommes plus dans la spécialisation à outrance, ni dans une logique adéquationniste, qui se traduit le plus souvent par des « apprentissages pour des compétences jetables ». On cherche à développer des « compétences durables » qui pourront être investies dans des contextes et environnements différents.
Troisième principe : la pédagogie par le geste. Le métier est toujours artisanal et/ou agricole et/ou artistique. Il y a une alternance systématique de théorie et de mise en pratique immédiate. Le groupe en formation (4 à 8 personnes) est dans l’univers professionnel. Le formateur reçoit dans son atelier ou sa ferme. C’est assez différent d’un plateau technique : l’apprenant est au coeur du métier.
Diriez-vous que vous faites de l’AFEST chez « Savoir-faire et découverte »
Notre particularité est d’amener les participants à apprendre dans l’environnement professionnel. L’artisan devient pour l’occasion formateur. Nous sommes davantage dans la formation-action. L’apprenant produit et construit ses compétences dans l’action, mais il n’est pas à proprement parler en situation de travail. Il n’y a ni les risques, ni les enjeux liés au travail en situation réelle. En même temps, ce n’est pas du « simulé ».
Ce que nous avons en commun avec l’AFEST, c’est de remettre « le métier », au cœur du projet de formation. D’ailleurs, on ne forme pas seulement au geste professionnel, on crée les conditions, en allant chez l’artisan ou l’agriculteur, pour que l’apprenant s’approprie également son organisation et le cadre de vie associé. Et ceci est essentiel pour les porteurs de projet qui s’inscrivent souvent dans des changements de vie. Il y a un côté « vis-ma-vie » dans nos formations.
Comment garantissez-vous la qualité de la mise en œuvre de vos principes pédagogiques ?
Nous accompagnons beaucoup nos professionnels formateurs. Ils sont au cœur de la réussite des apprentissages. Chez « Savoir-faire et découverte », on va la rencontre de l’artisan, de l’artiste ou de l’agriculteur et il faut que cette rencontre soit un moment fort.
Ces professionnels sont des personnages remarquables. Ils ont une grande maîtrise de leur métier, mais ce n’est pas suffisant. Nous les formons également à la pédagogie, les accompagnons dans la conception de leur formation. Nous les amenons à formaliser leurs savoir-faire et à modéliser les activités de travail qu’ils doivent faire maîtriser.
Chez « Savoir-faire et découverte », on n’est pas formateur toute l’année. On est d’abord un artisan ou un artiste qui aime son métier et qui prend du plaisir à le partager. On est formateur 20 à 30 jours par an seulement. Nos formateurs ne sont pas saturés par la formation. Ils prennent du plaisir à former car cela n’est pas une habitude ou une routine. Ils rencontrent des apprenants qui sont eux-mêmes engagés. Dans nos formations, il y a un partage de valeurs communes.
Quels enseignements peut-on tirer de votre expérience pour la formation entreprise ?
Ce dispositif peut concerner des collaborateurs en souhait de reconversion professionnelle. Si l’employeur facilite ce « vis-ma-vie » de l’apprenant dans l’environnement de travail du formateur, il lui permet de toucher, en quelques jours seulement à la réalité d’un métier. Si il valide son choix, il partira progressivement et avec entrain de son entreprise. Si il ne valide pas, il reviendra avec une nouvelle motivation.
Ces formations permettent également de mieux comprendre le changement et de s’y adapter : grâce au contact avec des artisans engagés, le collaborateur revient avec de nouvelles idées pour faire évoluer ses pratiques : intégrer du « local » dans ses plats, améliorer l’environnement de travail en y intégrant des ruches, du jardin en permacullture…, créer de nouvelles activités en phase avec les attentes de la société…
C’est également pour ceux qui approchent de la retraite l’opportunité de se construire un univers (un hobbies ou une activité à temps partiel) dont ils rêvent depuis longtemps. L’entreprise qui facilite (via le CPF notamment) cette transition douce conservera des collaborateurs motivés plus longtemps, car ils ont un projet pour l’après.