Poursuivant notre analyse des chiffres clés de la formation (cf. article : chiffres clés de la formation #1 – Un investissement de dingue !), nous vous proposons de nous focaliser cette fois-ci, sur l’évolution du marché de la formation. Et pour le dire franchement sur sa transformation profonde. Car sous les effets à la fois, d’investissements massifs, de la réforme de la formation en 2018, de la crise sanitaire en 2020 et du développement des EdTech depuis le milieu des années 2010, on assiste à une véritable révolution de ce marché qui pendant des décennies avait peu changé.
Une croissance sans précédent mais pas seulement…
La seule croissance exceptionnelle (et même rare quel que soit le marché) n’est pas le seul élément à prendre en compte quand on analyse le nouveau marché de la formation. Concurrence, évolution vers un marché BtoB, paradoxalement de plus en plus “perfusé aux fonds publics” sont également des phénomènes à prendre en compte d’un point de vue quantitatif.
Un peu de méthode : les chiffres que nous communiquons dans cet article sont essentiellement issus des jaunes budgétaires, chiffres donc officiels réalisés chaque année dans le cadre du PLF (Projet de Loi de Finances). Nous les avons agrégés et retraités pour les besoins de l’analyse. Si vous souhaitez retrouver nos sources, vous pouvez consulter ici pour les chiffres 2022 .Pour les chiffres antérieurs (2018 et, encore plus pour 2014 et 2004) ils correspondent à des moments de grandes réformes de la formation, nous avons donc été contraints de compiler plusieurs jaunes budgétaires.
+ 79% de croissance en 4 ans pour le marché officiel !
L’argent “public” a déferlé sur le marché de la formation. Comme nous l’avons vu dans la première partie des chiffres clés. Pour rappel, nous sommes passés de 18,6 milliards d’euros (2018) à 29,8 milliards d’euros (2022) investis en formation. Cela représente une croissance de 60%.
Le marché de la formation a cru davantage encore puisque nous sommes passés de 15,4 milliards d’euros en 2018 à 27,6 milliards d’euros en 2022, soit +79%. Comment expliquer cette croissance de start-up, bien supérieure à la croissance de l’investissement public (et sans aucune mesure avec la croissance, atone, de l’économie) ?
A noter : cette croissance sans précédent est significative en valeur absolue. Elle l’est tout autant en valeur relative. Rapporté au PIB de la France, le marché de la formation a progressé de 56% ! Passant de 0,67% du PIB 2018 à 1,05% du PIB 2022. Sur longue période on peut noter qu’il n’était que de 0,51% du PIB 2004, soit plus d’un doublement en moins de 20 ans.
Le développement de l’apprentissage n’explique pas tout. Si on retire l’apprentissage des chiffres globaux. L’augmentation de l’investissement public en formation stricto sensu n’est plus de 60% mais seulement de 27%. La progression du marché de la formation, hors apprentissage, s’élève à 45%, soit bien plus que l’effort consenti par les pouvoirs publics (+27%).
L’explication réside ailleurs.
- D’une part par la contribution des ménages : on est passé de 1,4 à 2 milliards d’euros sur la même période, soit + 43%.
- Et d’autre part, par celle des entreprises qui ont continué à investir. Cela peut s’expliquer par la prise de conscience de l’importance de l’enjeu du développement des compétences (explication optimiste !) mais peut-être aussi tout simplement, parce qu’elles se sont vues dépossédées d’une bonne partie de leurs fonds, avec la mise en place de la CUPFA et de France Compétences.
L’Etat a mis grandement la main à la poche pour soutenir l’investissement formation, mais les entreprises y ont également très grandement contribué. La contribution de 1,6% des entreprises de plus de 10 salariés a été captée et s’est transformée en “argent public”, via le mécanisme de la CUPFA. La réforme de 2018 a parachevé le travail de celle de 2014. Fin de l’obligation fiscale et collecte par l’URSSAF et la MSA ont fini par transformer la contrainte de dépenser de l’argent en formation, en « impôt formation ». Perdant cet argent qu’elles pouvaient auparavant utiliser pour leurs propres formations, les entreprises ont été contraintes de financer par elles-mêmes les formations dont elles avaient besoin (pour aller plus loin, voir notre article précédent dans lequel nous expliquons que la perte s’élève à 3,2 milliards d’euros, rien que pour l’année 2022).
Et probablement beaucoup plus encore pour le “marché gris” !
A ce marché de la « formation officielle », celui enregistré par les pouvoirs publics via les Bilans Pédagogiques et Financiers des organismes de formation, doivent s’ajouter toutes ces formations qui s’affranchissent des obligations légales de déclaration d’activité.
Sur ce marché que l’on pourrait qualifier de « marché gris », il n’y a pas de chiffres mais il y a bien une activité économique réelle et probablement en forte expansion :
- On pense d’abord à toute l’activité autour de la formation en ligne. Fun MOOC, l’agrégateur de MOOC public revendiquait en mars 2021 2,5 millions de personnes inscrites, pour 11 millions d’inscriptions depuis sa création – cliquez ici. Et, il ne faut pas oublier tous les opérateurs privés français et de plus en souvent internationaux : Mentor show, Edflex, Linlkedin learning, My MOOC et bien d’autres encore (pour en savoir plus cliquez ici ou là.
- On peut intégrer ensuite, une part non négligeable de ce que l’on appelle aujourd’hui la EdTech. Ce marché représentait en 2021 selon l’étude E&Y, 1,3 milliards d’euros – cliquez ici. Ces EdTech n’interviennent pas toutes comme “opérateurs de formation” (nombreuses sont celles qui ne sont que fournisseurs de ces opérateurs) mais elles produisent aussi de la « formation », au sens large du terme.
- N’oublions pas aussi tous les consultants, facilitateurs, coachs, formateurs et tuteurs internes qui accompagnent entreprises et salariés à progresser, à apprendre et se développer, sans laisser forcément de traces dans les statistiques de formation. Ce secteur nous donne l’impression là aussi d’être en forte expansion. L’introduction de l’AFEST, conjuguée aux difficultés de recrutement notamment ont amené les entreprises à prendre à bras le corps la question de l’intégration et de la formation des nouveaux entrants. Elles ne font pas forcément de l’AFEST (action de formation en situation de travail) traçable et reconnue par les textes, mais plutôt de la FEST (formation en situation de travail ou “formation terrain”, comme on l’appelait avant) souvent accompagnée par des experts – formateurs internes mais également externes (pour les petites entreprises). Ceci n’apparait nulle part dans les chiffres des jaunes budgétaires, mais c’est une réelle activité de formation. Lire ici notre article sur comment blanchir cette formation grise !
- Et pour terminer, à la marge de ce que l’on peut appeler de la formation, mais qui reste aussi un moyen d’apprendre, pensons à tous les nouveaux outils de veille que nous avons à notre disposition. Linkedin, c’est en septembre 2023, 27 millions de membres en France, dont 13,5 millions d’actifs. Là aussi, il y a du chiffre d’affaires et de l’activité d’apprentissages informels.
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Ça attise les convoitises…
Tout ceci ne pouvait qu’attiser les convoitises. On est donc passé de 67.000 organismes de formation en 2018 réalisant un Bilan pédagogique et financier “non nul”, à 88.000 en 2022, soit une progression de 31% (Vous verrez passer le chiffre de 125.000 OF sur internet mais ce chiffre englobe tous les nouveaux entrants ceux qui, déclarés, ne réalisent parfois pas de formation).
La libéralisation du marché de l’apprentissage a aussi contribué à cet envol du nombre d’organismes de formation, mais a la marge. On est passé de 954 CFA en 2018 à 4.364 en 2022.
La croissance a été réalisée par les CFI (ou formateurs individuels). Leur nombre a quasiment doublé passant de 18.729 à 37.315. Est-ce un effet de la “grande démission” ? Ces cadres et ingénieurs quittant leur entreprise pour exercer un métier (de consultant – formateur) qui a du sens et dont les conditions restent favorables, au regard de bien d’autres professions ?
A l’inverse, et cela peut surprendre, le nombre d’organismes de formation hors CFI et CFA a légèrement baissé passant de 47.206 à 46.121. Est-ce le début d’une concentration du marché ?
Si on analyse les chiffres d’affaires par organisme de formation (hors apprentissages et hors CFI) nous sommes encore loin d’un marché concentré.
- Le CA par OF passe en moyenne de 285 K€ en 2018 à 397 K€ en 2022. La croissance est de 39% alors que l’inflation (officielle) sur la période était de seulement 8,6%.
- En faisant le même calcul pour les formateurs individuels, le gain est nettement supérieur puisqu’on passe de 30 K€ à 49 K€, soit une progression de 60%.
- Concernant les CFA, on est passé de 1.457 K€ en 2018 à 1.657 K€ en 2022.
Un marché qui évolue vers le BtoC mais de plus en plus dépendant des fonds publics`
Le marché de la formation qui traditionnellement était un marché BtoB, soit de gré à gré (entreprises / OF), soit régulé paritairement (par les OPCA et FONGECIF), soit par la puissance publique (Pôle Emploi ou les Régions pour l’apprentissage) a basculé vers un marché BtoC.
En additionnant, les budgets des ménages (2 milliards), du CPF (qui est au choix des bénéficiaires = 2,1 milliards) et de l’apprentissage qui est au choix de l’apprenti (7,2 milliards), on obtient un montant de 11,3 milliards d’euros. Ce qui représente 40% du marché total. En 2018, seuls les 1,4 milliards d’euros (9% du CA total du marché de la formation) pouvaient être réellement considérés comme du BtoC (les 740 millions du CPF financés par les OPCA restaient encore partiellement à la main du paritarisme).
Paradoxalement, ce marché de plus en plus BtoC est aussi bien plus financés sur fonds publics. L’État, les Régions, Pôle emploi et autres financeurs publics représentent 23% du marché et les OPCO 44%, soit 67%. Seul un 1/3 du marché de la formation reste encore financés sur fonds privés. Et encore les 8% provenant d’autres organismes de formation le sont probablement pour des formations financées, in fine, par fonds publics ou parapublics.
Malheureusement, les chiffres n’existent pas pour 2018, mais si on prend des années antérieures telles que 2014 ou 2004, la part de financements publics était respectivement de 49% et 44%. Ceci peut s’expliquer tout simplement, comme on l’a vu précédemment, par le fait que l’obligation de dépenses en formation laissait aux entreprises le choix de financement de leur formation, alors qu’aujourd’hui, une fois versé le 1,6% qui devient « fonds publics », elles n’investissent plus cet argent et financent en direct leurs formations (avec d’autres fonds), mais pas autant qu’elles pouvaient le faire antérieurement.
Les trois clés pour entrer et réussir sur le nouveau marché de la formation
Faisons porter maintenant notre analyse sur des questions plus qualitatives de la transformation du marché de la formation. Là aussi, la transformation est radicale. “Labellisations et certifications”, “digitalisation » au sens large, et “agilité”, semblent être les trois maître-mots pour tout opérateur sur ce marché.
Qualiopi et certifications
Au mois de mai dernier, le certificateur ICPF indiquait 44.060 organismes de formation labellisés Qualiopi dans un article sur son blog. Ce qui représente la moitié des organismes de formation.
L’introduction de Qualiopi au 1er janvier 2022 a fait trembler les opérateurs de formation. Près de deux ans plus tard, on peut s’interroger sur le bien-fondé de cette crainte. Le taux d’échec à Qualiopi reste marginal et si la moitié des prestataires possèdent cette qualification, on peut s’interroger sur la valeur qu’elle représente aux yeux de ses clients (elle reste, quoi qu’il en soit, une obligation pour opérer sur le marché de la formation financé par la puissance publique, soit comme nous l’avons vu 2/3 du C.A total du marché !).
Qualiopi est un « must have », mais ne permet pas de se distinguer. L’avantage concurrentiel sur le marché de la formation semble être davantage la capacité à délivrer des certifications :
- En 2022, sur 31,2 millions de formations réalisées, 7,95 millions avaient une visée certifiante, soit 25,4% des formations.
- En 2018, sur 30 millions de formation réalisées, 4,78 millions étaient certifiantes, soit seulement 16,5%.
- Nous n’avons pas les chiffres pour les années antérieures, puisque ce n’était pas une finalité première pour les pouvoirs publics. Mais la part des formations certifiantes devait très certainement tourner autour des 5 à 7%.
A noter : les formations visant une certification au Répertoire Spécifique représente un tiers des formations certifiantes et celles orientées sur le RNCP plus de la moitié. Le reste vise des CQP et des préparations VAE.
Digitalisation et distancialisation
L’autre avantage concurrentiel semble être la capacité à digitaliser et distancialiser (via des formations en visio) son offre de formation. Nous reviendrons dans un prochain article sur ce phénomène de généralisation des formations en digital learning et visio, mais si l’on en croit l’étude très officielles de la DARES :
- 51,5% des formations commencées en 2022 se déroulaient à distance, elles étaient seulement 5% en 2019.
- 85% des formations CPF étaient réalisées en présentiel en 2019, contre seulement 30% en 2022.
On aurait pu penser qu’après une année 2020 de crise sanitaire, la formation distancielle aurait marqué le pas. Il n’en est rien. En 2020, pire année de la crise, la part des formations distancielles et mixtes cumulées représentait 58%, en 2021 elle était de 65% et de 67% en 2022.
Vérité du CPF ne vaut pas pour toutes les formations. Mais la tendance, sur un panel de 1 851 000 formations représentant 2,1 milliards d’euros, n’est pas sans intérêt.
Agilité
Le troisième avantage concurrentiel incontournable à maîtriser pour tout opérateur de formation est probablement : l’agilité. Du fait de l’importance du financement public, les volumes des segments de marchés peuvent évoluer très rapidement.
- Le CPF a évolué par exemple de 740 millions d’euros en 2018 à 2,1 milliards en 2022 en passant par 2,6 milliards en 2021 et on table sur 2,4 milliards en 2024. Il reste suspendu à des décisions politiques liés à la mise en place d’un “reste à charge”.
- L’apprentissage n’a fait que croître régulièrement depuis 2018, mais qu’en sera-t-il dans les années futures ? Les arbres ne montent pas au ciel et les fonds publics ne sont sans limite.
- La formation des demandeurs d’emploi a suivi le même chemin que l’apprentissage, mais sur une pente moins raide. Les causes produisant les mêmes effets, on peut donc tirer les mêmes conclusions sur ce marché.
Reste le “marché libre”, hors financement public :
- L’habitude prise par les individus, à travers le CPF, de « consommer » de la formation, pourrait les amener dans les années futures à davantage investir dans la formation. L’offre, comme nous l’avons vu, étant de plus en plus riche et variée, les « ménages » pourraient devenir un segment de marché intéressant pour les organismes de formation. Reste à savoir, si la piètre qualité de certaines offres et les arnaques au CPF n’auront pas joué l’effet inverse. Dans tous les cas, là aussi il faudra rester agile pour répondre à un marché de la demande individuelle peut-être encore plus volatile que celui de la demande régulée.
- Le marché des entreprises en direct nécessitera aussi de rester “bien accroché”. Celui-ci depuis toujours est très dépendant des crises économiques. Il est connu que les budgets formations sautent “en cas de grabuge” juste après ceux de la pub, dans les entreprises. Qu’en sera-t-il le jour où nous ferons face à une nouvelle crise économique ou financière ? La dernière date de tout juste 15 ans – 15 septembre 2008…