Formation et performance économique sont-elles liées ? Citons par exemple un rapport du think tank Terra Nova (“Entrer et rester dans l’emploi : Un levier de compétitivité, un enjeu citoyen“) qui indiquait en 2014 que “si les 30 milliards d’euros alloués au Pacte de responsabilité étaient affectés à la formation professionnelle et en particulier à la formation qualifiantes des salariés peu qualifiés et des plus de 45 ans, la productivité du travail pourrait augmenter de 7 % et le PIB de près de 5 %, soit beaucoup plus que le montant initial investi.”
C’est aussi le constat établi par un certain nombre d’études et de recherches ayant tenté d’établir un lien entre formation et performance économique. Et c’est aussi l’une des raisons fréquemment avancées par les entreprises pour justifier les budgets de formation alloués.
Alors, dans le contexte économique qui est le nôtre, faut-il miser sur la formation pour favoriser la relance économique ?
Corrélation n’est pas causalité
Oui, corrélation ne signifie pas causalité. La corrélation n’est que l’un des éléments de la causalité. Un exemple pour l’illustrer :
- Est-ce parce que l’on forme massivement et/ou efficacement que l’entreprise performe ?
- Ou est-ce parce que l’entreprise performe déjà, indépendamment de la formation, qu’elle a de ce fait les moyens de former régulièrement ses salariés (ce qui lui permet potentiellement de maintenir une certaine avance sur ses concurrents) ?
Le lecteur intéressé à comprendre à quel point il est difficile de “faire parler” des corrélations pourra utilement consulter le livre Spurious Correlations (littéralement : corrélations fausses), dont il pourra consulter ici quelques extraits savoureux (en anglais). L’effet cigogne est également un moyen très pédagogique d’expliquer la distinction entre corrélation et causalité.
Certaines recherches ont néanmoins permis d’établir un certain faisceau de présomptions à ce sujet (dont certaines vérifient réellement le lien causal), produisant des preuves assez tangibles permettant d’attester le fait que la formation serait l’un des leviers (et non le seul, évidemment) qui contribuerait aux résultats économiques d’une organisation (et pas que “économiques” serions-nous tenté d’ajouter : sociaux, environnementaux, financiers, etc.).
La formation comme levier de la relance économique ?
Assurément, ce ne sont pas les lecteurs assidus de ce blog qui penseront le contraire. Alors il faudrait former, former massivement, mais aussi et surtout former en ayant l’efficacité et l’efficience en ligne de mire. Très bien. Mais si nos chers lecteurs en sont convaincus, encore faudrait-il convaincre les dirigeants qui tiennent les “cordons de la bourse” des budgets de formation ! Et, actuellement, force est de constater que ce n’est pas nécessairement la formation qui les empêche tous de dormir (sans toutefois généraliser), et on peut aisément le comprendre.
Non seulement on peut le comprendre, mais on peut aussi craindre le fait que certains “profitent” de la crise pour réduire les budgets. Il va en effet falloir convaincre les dirigeants, y compris (et surtout ?) les plus sceptiques, et autrement qu’avec des formules toutes faites du type “Si vous trouvez que la formation coûte cher, essayez l’ignorance.”
Dans le contexte actuel, quels leviers peut-on actionner ? Il y a deux orientations possibles ici.
Taxer davantage les entreprises pour financer la formation ?
Faire cela nous ramènerait quelques réformes en arrière pour appliquer une logique qui a depuis montré ses limites. Il existe encore différentes contributions au financement de la formation professionnelle et les plus grandes entreprises se retrouvent aujourd’hui à payer sans nécessairement pouvoir profiter des bienfaits de la mutualisation.
Cela mettrait aussi à mal un peu plus les entreprises qui ne sont pas en bonne santé financière, en plus d’impacter celles qui se portent encore bien. Cela reviendrait donc à pénaliser celles qui vont bien !
Non, appliquons ici un des premiers principes inculqués aux étudiants en médecine : primum non noncere (“en premier, ne pas nuire”).
Une idée : lier l’investissement-formation aux prêts garantis par l’État
L’une des réponses se trouve peut-être dans le fait de s’adosser aux prêts garantis par l’État (PGE), qui par ailleurs ont été prolongés jusqu’au 30 juin 2021.
Et si l’une des conditions d’octroi du prêt était qu’un pourcentage du montant alloué soit consacré à la formation des salariés ? Le cas échéant, il serait également possible de jouer sur le taux d’intérêt du prêt.
Ces deux variables (auxquelles l’on pourrait ajouter des exonérations fiscales) seraient notamment fonction des secteurs d’activité et des métiers. Ainsi, la priorité pourrait être donnée à ceux “sous tension”, car amenés à fortement évoluer, voire à disparaître, dans ce fameux “monde d’après” (notamment pour causes de crise sanitaire prolongée et/ou de défis environnementaux majeurs). Un rapport récent du think tank The Shift Project fait des propositions intéressantes à ce sujet, en lien avec la décarbonation inéluctable de notre économie. Dans ce cadre, la formation doit prendre toute sa part, dans et en dehors de l’entreprise pour accompagner ces mutations, via ce dispositif et ceux existants (par ex. FNE Formation, Transition collective).
Cette disposition aurait le mérite de lier explicitement, et notamment dans la tête des dirigeants d’entreprises, formation et performance (qu’elle soit économique, sociale, environnementale…). La formation ne serait ainsi pas vue comme une taxe ou une dépense, mais bien comme étant liée à un investissement.
Après avoir, des années durant et encore aujourd’hui, comptabilisé l’effort de formation (“effort”… tout est dit !) en ramenant le budget de formation à la masse salariale (raisonnement sous-jacent : “plus vous payez vos salariés… plus vous devrez payer de formations”), cette initiative contribuerait à nous faire entrer dans une logique plus anglo-saxonne qui consiste à ramener le budget de formation au chiffre d’affaires (raisonnement sous-jacent : “la formation génère du chiffre d’affaires et, pour être soutenu, le développement de votre chiffre d’affaires doit s’appuyer sur la formation”).
Alors, certes, le PGE est un prêt et ne correspond pas à un résultat comme l’est le chiffre d’affaires. Mais il peut être vu comme un investissement productif, permettant de maintenir l’activité de l’entreprise a minima, voire de la développer. N’est-ce pas là une première pierre pour distiller une culture de l’investissement et du résultat en formation ?