Le transfert pédagogique est défini par la recherche en pédagogie, comme le fait pour un apprenant d’utiliser au mieux ses acquis de formation en contexte professionnel. Dans les faits, cette utilisation peut prendre plusieurs formes : appliquer directement ou indirectement ce qu’il a acquis ou le diffuser à son environnement.
Aucune meta-analyse n’a permis à ce jour de déterminer avec précision le taux de transfert des acquis après une formation. Cependant la plupart des chercheurs qui ont essayé de mesurer ce taux, s’accordent à reconnaître qu’il est assez faible : entre 10 à 25% selon les auteurs.
Dans une période de restriction budgétaire, la formation est sommée plus que jamais, de faire la preuve de son efficacité. La question du transfert pédagogique devient par conséquent un enjeu fort. Mais à quelles conditions ce transfert pédagogique se réalise-t-il ? Telle est la question à laquelle nous répondrons dans cet article, en nous inspirant de multiples travaux de recherches qui ont eu lieu dans le domaine. Mais avant d’y répondre, nous nous proposons de revenir sur les différentes formes de transfert pédagogique et de les préciser.
La littérature scientifique est très abondante dans le domaine. Elle est plutôt le fait de chercheurs outre atlantique (Etats-Unis mais aussi Canada). La première recension dans le domaine date de 1988. Vous pouvez la retrouver ici. Si vous souhaitez un résumé beaucoup plus récent et en français sur la question, nous vous invitons à vous procurer la bible du professionnel de la formation, à savoir le « Traité des sciences et techniques de la formation » 5ème édition 2024 rédigé sous la direction de Philippe Carré, Pierre Caspar, Cédric Frétigné et Olivier Las Vergnas. L’article de Jean-François Roussel résume très clairement près de 50 ans de recherche dans le domaine du transfert pédagogique. Nous nous en sommes fortement inspirés pour rédiger cet article.
Vous avez dit transfert ???
Qu’est-ce que transférer ses acquis dans son contexte de travail ? La réponse à cette question peut paraître à première vue évidente : c’est appliquer ce que l’on vient d’apprendre. En réalité, pour les spécialistes du transfert pédagogique, la réponse est plus subtile. Trois grands types de transfert peuvent se combiner pour une même action.
Le transfert dit « rapproché »
C’est le transfert le plus simple et le plus évident. A l’issue de sa formation, l’apprenant applique directement ce qu’il a appris à son poste de travail. Ce transfert est dit « rapproché » car il y a une forte similitude entre le geste ou les opérations mentales qu’il a acquis lors de la formation et celui ou celles qu’il met en oeuvre dans son travail quotidien. Ce transfert « rapproché » est fréquent dans les métiers aux habiletés dites fermées (closed skills), comme par exemple des emplois sur des lignes de production.
Le transfert dit « éloigné »
Le transfert dit « éloigné » est, à l’inverse du transfert « rapproché », mis en oeuvre quand l’apprenant de retour de sa formation s’inspire indirectement de ce qu’il a appris, pour réaliser de nouvelles tâches ou traiter de nouvelles situations de travail. Il est dit « éloigné » car il n’y a pas de lien direct entre les connaissances ou le geste ou les opérations mentales qu’il a pratiqué en formation et ce qu’il fait au travail. Ce transfert « éloigné » est mis en oeuvre dans les métiers aux habilités ouvertes (open skills), comme par exemple des emplois qui nécessitent une forte adaptation au contexte (chef de projet, formateur, technicien de maintenance, interne en médecine, etc.)
Le transfert que l’on pourrait qualifié de « pollinisation »
Dans ce troisième et dernier cas, il ne s’agit plus d’appliquer directement ou indirectement ce que l’on a appris dans son travail, mais de faire profiter son environnement de travail de ses acquis. On peut le qualifier de “processus de pollinisation” pour prendre une analogie avec le vivant. L’apprenant, telle une abeille, butine la connaissance qu’il va transférer à son environnement. Comme le pollen passe de plantes en plantes, la connaissance peut passer de personnes à personnes et même mieux de personnes à l’organisation. Cette pollinisation peut donc se faire par deux voies complémentaires.
- La première, la plus simple, est de transmettre ce que l’on a appris à ses pairs, collègues ou collaborateurs. C’est par exemple, former à son tour un collègue, ou plus simplement faire un résumé de sa formation à la prochaine réunion d’équipe ou expliquer quelques notions acquises à des personnes qui en ont besoin.
- La deuxième est de diffuser ses acquis via des pratiques de « knowledge management » telles que la rédaction de procédure ou modes opératoires, de notes de synthèses ou de documents de références, l’élaboration et la diffusion d’outils méthodologiques, etc.
Dans les deux cas, le bénéfice de la formation n’est plus seulement pour l’apprenant lui-même mais pour l’organisation qui l’emploie. On passe ainsi naturellement d’une vision classique de la formation à une approche d’organisation apprenante.
Quand un formateur ou un chef de projet pense au transfert pédagogique, et par conséquent à la finalité ou la réelle valeur ajoutée d’une formation, il devrait toujours avoir en tête ces trois types de transfert, en se posant 3 questions essentielles :
- Que pourra-t-il directement appliquer à son retour au poste de travail ?
- Que pourra-t-il utiliser indirectement pour mieux appréhender et s’adapter à son contexte de travail ? Et ainsi développer à termes de nouvelles compétences ?
- Que pourra-t-il diffuser à ses pairs ou à son organisation, de ce qu’il a appris ? Et ainsi en faire profiter le plus grand nombre.
Découvrez nos parcours de formation multimodale dédié aux acteurs de la formation : tuteurs, référent AFEST, formateurs… cliquez ici ou contactez-nous : formation@c-campus.fr.
Les principaux déterminants du transfert des acquis ?
Les conditions de mise en oeuvre du transfert pédagogique diffèrent en fonction des chercheurs spécialistes du domaine. Mais aujourd’hui un consensus apparaît sur 3 grandes catégories de déterminants, chacune correspondant à un niveau d’analyse de l’activité de formation.
Catégorie micro : L’apprenant
Pour que le transfert pédagogique se réalise dans de bonnes conditions il faut d’abord que l’apprenant lui-même le mette en oeuvre. Et pour évaluer si les conditions de transfert sont réunis, on peut revenir à la grille de lecture du passage à l’action, à savoir le S.V.P ou Savoir Agir, Vouloir Agir et Pouvoir Agir.
1) Savoir transférer : l’apprenant a-t-il les habilités nécessaires à transférer ce qu’il vient d’apprendre ? Ce « savoir transférer » est essentiel dans un transfert de type « éloigné », où l’apprenant doit avoir les capacités à traduire ce qu’il a appris dans son contexte de travail. Il doit saisir les opportunités de transfert, mobiliser des capacités réflexives pour adapter les connaissances acquises aux réalités du terrain. C’est encore plus le cas dans un transfert de type « pollinisation », où l’apprenant doit mettre en place des stratégies et développer des capacités de leadership pour transférer à son organisation ses acquis.
2) Vouloir transférer : l’apprenant est-il motivé pour transférer ses acquis ? Y voit-il un intérêt ? Est-il prêt à changer ses habitudes de travail ?
3) Pouvoir transférer : l’apprenant se sent-il capable de transférer ses acquis ? Autrement dit son “Sentiment d’Efficacité Personnelle” (S.E.P) est-il suffisamment élevé pour l’amener à oser changer ses habitudes ?
Catégorie meso : La pédagogie
Ce qui se joue en formation va impacter directement l’attitude de l’apprenant face au transfert pédagogique. Trois déterminants semblent émerger plus particulièrement :
4) Le lien contenu de formation – travail : ce qui va être appris est-il proche de ce que retrouvera l’apprenant, de retour à son poste de travail. Concrètement, cela signifie évidemment que la formation doit être pratique, mais pas seulement. Cela nous rappelle également, que ce qui va être appris ne doit pas être en contradiction avec ce qui se pratique au poste de travail. Il faut à tout prix éviter le classique retour de l’apprenant qui s’entend dire par son manager : « oui, ok tu as appris ça en formation, mais ici c’est comme ça qu’on fait. Et puis c’est tout !!! »
5) La mise en action : ce qui doit être mis en oeuvre de retour au poste est-il déjà pratiqué au cours de la formation ? Plus la personne est en situation de s’entraîner, de faire comme elle devra faire, plus il y a de chances qu’elle transfère ce qu’elle a appris. C’est pourquoi, ce que l’on appelle la « formation-action » qui consiste à travailler sur des cas réels et non pas factices, est en général une bonne piste pour améliorer le transfert pédagogique.
6) La préparation du plan de transfert : l’apprenant a-t-il un plan de transfert précis et détaillé qui lui permettra de gérer au mieux la mise en oeuvre de son activité de transfert pédagogique ? Le transfert pédagogique est en soi une activité de formation. Elle est aujourd’hui trop souvent négligée. Elle est pourtant essentielle. Transférer ses acquis ne se fait pas naturellement. Cela se gère. Et les apprenants doivent être accompagnés pour cela par leur formateur ou accompagnateur, surtout les apprenants qui ont moins de capacités à transférer (cf. supra, 1er déterminant : le « Savoir transférer »).
A noter : trois temps forts doivent être organisés tout au long du parcours de formation pour réussir la pédagogie du transfert. 1) Lors de l’élaboration du contrat pédagogique, l’apprenant doit préciser ses intentions de transfert et les communiquer à son formateur ou sa formatrice, pour que celui-ci ou celle-ci adapte son parcours, 2) A la fin de chaque séquence, l’apprenant est invité à verbaliser ce qu’il compte transférer, à partir de ce qu’il vient d’acquérir. Et avant de retourner à son poste de travail, il doit résumer ses intentions de transfert dans son plan de transfert pédagogique ou de suivi de formation, 3) Après la session de formation, l’apprenant doit faire des bilans périodiques pour évaluer la mise en oeuvre de son plan de transfert et identifier les actions d’amélioration nécessaires, le cas échéant.
Catégorie macro : L’organisation
Si comme nous venons de le voir, le transfert pédagogique est avant tout l’affaire de l’apprenant et en partie du formateur ou de la formatrice qui l’accompagne, l’organisation dans laquelle il est ou elle est intégré(e) ne sont pas sans effets dans la réussite du transfert. Les déterminants socio-organisationnels ne sont pas directs mais ils se combinent avec les déterminants précédents. Ils n’en sont pas pour autant négligeables.
- Les occasions de transfert : l’organisation offre-t-elle suffisamment d’occasions pour transférer les acquis de formation ? Autrement dit, les situations de travail que va rencontrer l’apprenant sont-elles variées et riches pour qu’ils puissent expérimenter ce qu’il a appris ? On a vu au niveau meso que le lien contenu de formation – travail était une condition essentielle pour réussir le transfert, réciproquement le travail doit être en lien avec la formation pour offrir des opportunités de transfert.
- Le soutien perçu au transfert : le management, l’équipe (collègues mais aussi pour certains métiers clients et fournisseurs) et plus globalement le climat de l’organisation favorisent-ils l’engagement de l’apprenant dans son activité de transfert ? Ou si l’on préfère, l’apprenant perçoit-il que son entourage l’invite à « appliquer » ou « polliniser » ? Sa volonté de transfert mais également son sentiment d’efficacité personnelle pourra être renforcé si l’apprenant a l’impression, à son retour de formation, que son environnement l’invite à transférer, l’incite à oser mettre en place ce qu’il vient d’apprendre.
- L’accompagnement à la mise en oeuvre du plan de transfert : l’apprenant est-il accompagné par son manager, un tuteur ou encore un pair dans la mise en oeuvre de son plan de transfert ? A l’exception des apprenants très autonomes, rares sont ceux qui sont capables de mener à bien leur plan de transfert sans accompagnement. S’il revient au formateur de bien préparer les conditions du transfert, la plupart du temps, ces derniers ne peuvent intervenir post formation. C’est pourquoi le management, ou s’il délègue, un tuteur ou un collègue, peuvent prendre en charge l’accompagnement au transfert.
La multimodalité intégrant la FEST, comme solution pour garantir le transfert pédagogique
Quand on fait la synthèse des 9 leviers que l’on vient de passer en revue, un principe général émerge pour favoriser le transfert pédagogique : la multimodalité intégrant l’AFEST. Pour garantir le meilleur transfert des acquis, une des voies à emprunter est de combiner formation distancielle ou présentielle pour l’acquisition des acquis puis mise en pratique via une AFEST ou un tutorat/mentorat ou coaching managérial. Bref via une formation en situation de travail qui permet de transformer ce que l’on a appris en compétences concrètes. C’est évident, mais c’est si souvent oublié ! Ah quoi bon demander à des collaborateurs de suivre une formation, si rien n’est fait à leur retour pour monter progressivement en compétences sur le terrain. Bref, arrêtons de séparer formation et travail. Imbriquons les deux. L’AFEST, et plus généralement la FEST, est une des solutions à privilégier, à condition de la combiner dans une logique de parcours multi-modal.
Vous souhaitez concevoir ou reconcevoir vos formations en les orientant davantage sur le transfert pédagogique ? N’hésitez à vous inscrire à nos formations individualisées : piloter et concevoir une formation.