L’apprenance est l’attitude face à l’acte d’apprendre. Elle est prescriptive de la réussite d’un apprenant. Alors que la responsabilité de la formation est, de réforme en réforme, toujours plus reportée sur l’apprenant, l’apprenance permet de faire évoluer notre regard pédagogique sur l’acte d’apprendre. Et conduit les acteurs de la formation à s’interroger sur les capacités et prédispositions des apprenants à apprendre.
L’apprenance ou l’attitude face à l’apprentissage
Le concept d’apprenance a été développé par Philippe Carré, Professeur à l’Université Paris-Ouest. Il définit lui-même l’apprenance comme : « un ensemble durable de dispositions favorables à l’action d’apprendre dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expériencielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite“ L’apprenance, p.108.
L’apprenance est donc une attitude favorable à l’apprentissage. Elle peut s’acquérir et se développer au cours de la vie, même si elle puise sa source dans le contexte socio-biographique de l’apprenant.
Comme toute attitude, l’apprenance est « une structure résultant de trois sources “modérément corrélées“, composée de dispositions cognitives, affectives et conatives ».
1) Dimension cognitive : « il s’agit de l’ensemble des représentations, des prénotions, des conceptions, des évaluations et des jugements “froids“, préalables à l’acte d’apprendre, qui vont régir pour partie nos perceptions et nos (in)compréhensions du contenu“. On intègre dans cette dimension, les capacités de l’apprenant à gérer son apprentissage, c’est-à-dire ses stratégies d’apprentissages ou son savoir-faire d’apprenant (savoir se fixer des objectifs d’apprentissage, planifier son apprentissage, réguler son effort, mémoriser efficacement, se constituer et utiliser de façon pertinente son environnement d’apprentissage personnel (EAP), Etc.
2) Dimension affective : il s’agit « des affects, des sentiments, des émotions ressenties au contact du savoir, de l’enseignant, du formateur ». Cette dimension affective peut être la conséquence d’expérience plus ou moins heureuse en matière d’apprentissage (souffrance ou au contraire réussite à l’école par exemple).
3) Dimension conative : ce sont « les dispositions à s’engager dans l’action ». Elles sont régies par les instances de « choix et d’orientation des conduites ». C’est le “projet d’apprendre“. Ce qui pousse ou freine l’apprenant à s’engager dans un parcours formatif.
L’apprenance : vers un renversement du “sens pédagogique“
Le concept d’apprenance invite le pédagogue à porter un regard neuf sur l’acte d’apprentissage. Il s’agit de se focaliser davantage sur l’apprenant et ses capacités et motivations à apprendre plutôt que sur le formateur. La relation pédagogique est en quelque sorte renversée : ce n’est le plus le sachant qui transmet le savoir au non sachant, mais le moins sachant qui va chercher le savoir dans son environnement.
L’attention du pédagogue ne doit plus être portée en priorité sur son cours, la formalisation de son contenu, sur ce qui est appris, mais plutôt sur l’apprenant et son contexte d’apprentissage.
Et ce contexte d’apprentissage n’est plus limité à la seule formation formelle et intentionnelle. L’apprenant apprend tout le temps, à tout moment, dans tout lieu. L’apprenance, ce n’est pas seulement l’attitude face à la formation, mais plus globalement face à l’apprentissage.
Penser son rôle de formateur à travers la notion d’apprenance, c’est redonner toute sa place au sujet apprenant. C’est penser autant à l’organisation des processus d’apprentissage avant, pendant et après sa propre formation, qu’à sa performance de formateur.
L’apprenance, la première des attitudes à développer
“Plutôt que d’enseigner, développez les capacités d’apprenance de vos apprenants“, tel pourrait être le mot d’ordre à transmettre à tous les formateurs en entreprise. Car l’apprenance est la mère de tous les apprentissages.
Mais comment faire ? L’apprenance peut-il s’apprendre ? Comme toute attitude, elle peut, si ce n’est s’apprendre, se développer. Trois pistes sont à explorer :
1) Former aux techniques d’apprentissage. Depuis les années 1960/1970, grâce notamment aux travaux de J.Flavell, nous savons que la métacognition est déterminante dans la réussite d’un apprentissage. Maîtriser ses propres stratégies d’apprentissage, c’est-à-dire savoir comment on apprend permet d’optimiser sa façon d’apprendre. A l’ère de la formation digitale, cet aspect métacognitif relève d’une importance encore accrue. Chaque collaborateur devrait être formé à bâtir son propre environnement d’apprentissage personnel en organisant ses fils d’information, en utilisant des outils de veille et de curation, en intervenant à bon escient sur des wiki, forum et réseaux sociaux…
2) Développer le plaisir d’apprendre. Apprendre, ce n’est pas qu’une histoire d’effort et de souffrance, c’est aussi le plaisir de rechercher, de découvrir, d’en savoir plus, de partager, d’échanger, de rencontrer, de se relever des défis… Il revient au formateur et plus globalement aux pilotes de systèmes de formation de transmettre ce plaisir d’apprendre via des pédagogies ludiques, une valorisation des échanges pédagogiques, une mise en forme attractive des savoirs (E-learning, M-Learning, E-Reading…).
3) Favoriser les projets d’apprentissage. Aider les apprenants à s’engager dans leur apprentissage est également une mission essentielle des acteurs de la formation. Cela peut se traduire par différentes actions :
a. Accompagnement à l’orientation et au choix de formation
b. Aide à l’élaboration d’objectif de développement professionnel et personnel
c. Clarification de l’offre de formation pour améliorer sa lisibilité
d. Valorisation de l’acte d’apprendre et de partage de son expertise
e. Etc.
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Principes d’action pour le formateur, tuteur, manager…
1) Se fixer pour toute formation des temps permettant aux stagiaires d’acquérir des techniques d’apprentissage (diagnostic de style d’apprentissage, élaboration d’EAP…).
2) Penser à développer l’apprenance avant de préconiser une formation.
3) Créer une ambiance et une relation pédagogique propice au plaisir d’apprendre.
4) Clarifier au début de formation (formateur) ou au lancement d’une mission apprenante (tuteur ou manager) ses intentions et valoriser l’enjeu pédagogiques.
Principes d’action pour le chef de projet de formation…
1) Evaluer le niveau d’apprenance des futurs bénéficiaires de la formation afin d’imaginer l’architecture pédagogique la mieux adaptée
2) Focaliser son énergie sur les dispositifs développant l’apprenance plutôt que sur les dispositifs de formation eux-mêmes
L’apprenance à l’ère de la formation digitalisée
Le concept d’apprenance est indissociable de la formation digitalisée. Ou plus précisement, il ne peut y avoir de formation digitalisée efficace sans une réflexion préalable sur l’apprenance. Quand le collaborateur se retrouve seul face à son apprentissage, il devient impératif de l’aider à développer ses capacités d’apprenance. Toute stratégie de digitalisation de la formation devrait faire l’objet préalablement d’un diagnostic du niveau d’apprenance des collaborateurs. Et pour les moins bien lotis d’une formation au développement des capacités d’apprenance (savoir diagnostiquer ses stratégies d’apprentissage, définir ses objectifs d’apprentissages, etc.).
Références pour aller plus loin…
L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir, Philippe Carré, Paris, Dunod, 2005, l’ouvrage et la note critique et les vidéos : “de la formation à l’apprenance“, “l’apprenance – vers une nouvelle culture de la formation“
Theories of learning in pedagogical education, J.Flavell – cliquez ici.
Metacognition, wikipedia – cliquez ici.