La théorie de l’autodétermination est l’œuvre de deux psychologues américains Edward Deci et Richard Ryan. Elle fait aujourd’hui autorité pour comprendre la motivation notamment en situation de formation ou plus largement dans toute démarche d’apprentissage.
La notion de motivation intrinsèque
La particularité de cette théorie est, selon Fabien Fenouillet auteur d’un travail de synthèse récent sur la motivation (« Les théories de la motivation »), d’avoir « renversé la croyance dominante selon laquelle le meilleur moyen d’inciter les êtres humains à accomplir des tâches était de renforcer leur comportement avec des récompenses ». Pour ces auteurs, la motivation, c’est-à-dire la direction de nos comportements, leur déclenchement, leur persistance et leur intensité sont d’autant plus fort que notre motivation est intrinsèque et non pas extrinsèque. C’est-à-dire qu’elle dépend de l’intérêt que nous portons à l’activité elle-même que nous avons à réaliser plutôt qu’à ce que nous attendons obtenir du fait d’avoir réalisé l’activité elle-même.
Précisément, Edward Deci définit la motivation intrinsèque comme la forme de motivation qui « consiste à effectuer sans aucune récompense apparente, sauf le plaisir que l’individu éprouve par la pratique de cette activité ou au travers des sentiments de satisfaction qu’il a en retour de cette pratique » in Psychologies pour la formation, p.227.
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De la motivation intrinsèque au continuum d’autodétermination
Deci & Ryan au fil de leurs recherches ont affiné leur théorie de la motivation pour déboucher non plus sur une simple opposition entre motivation intrinsèque vs motivation extrinsèque, mais sur un continuum de 6 types de motivation. Plus exactement, ils ont montré qu’entre l’amotivation et la motivation intrinsèque, étaient situées 4 types de motivations que l’on peut qualifier d’extrinsèque car la régulation de l’investissement était alors plus ou moins régulé ou contrôlé par l’environnement (la direction, le management, le service de formation ou la DRH dans le cas de la motivation à se former en entreprise).
- L’amotivation. C’est l’absence de motivation. La personne n’agit pas. Dans le cas de la formation, c’est le refus de se former ou d’apprendre ou encore l’abandon en cours de formation.
- La régulation externe. L’investissement de la personne est dans ce cas dû aux récompenses qu’elle recherche ou sanctions qu’elle souhaite éviter. Ce premier niveau de motivation donne des effets relativement faibles en formation. Cela peut aller de la personne qui se rend à un stage en écoutant passivement car elle a besoin seulement de l’attestation de formation (cas courant des formations obligatoires) à l’apprenant qui, contraint de réaliser un e-learning, va aller directement au test de connaissance sans passer par sa consultation, puisque seul le résultat au quiz compte.
- La régulation introjectée. Ce type de motivation « s’appuie principalement sur des besoins d’approbation ou d’auto-approbation qui ne sont pas perçus par l’individu comme vraiment personnels » ibid, p.233. L’implication ou l’investissement de la personne en formation va ainsi être contrôlée par son environnement. On pense à la personne qui est amenée à se former pour s’adapter à son emploi. Dans ce cas son manager ou son responsable de formation lui demande de se former, mais elle n’y a ni goût, ni vraiment d’intérêt. Elle est simplement convaincue que compte tenu des évolutions de son environnement, la formation qu’elle doit suivre peut être utile, c’est en quelque sorte un mal nécessaire.
- La régulation identifiée. On entre avec ce quatrième niveau ” dans un début de motivation qui correspond à quelque chose d’important et de valable pour la personne » ibid. Dans le cas de la formation en entreprise, l’apprenant identifie l’intérêt de la formation. Il estime qu’elle a de la valeur pour lui, que c’est bien de suivre cette formation particulière. Mais il doit fournir un effort car il n’a pas d’attrait pour l’activité de formation en elle-même.
- La régulation intégrée. Avec ce cinquième et dernier type de motivation extrinsèque, la « motivation fait référence aux valeurs, buts, et besoins qui, ensemble, définissent l’individu » ibid p.235. Dans le cas de la formation, l’apprenant a une haute estime de la formation en général. Il est persuadé que sa réussite passe par le développement permanent de ses compétences. Se former est quelque chose d’indispensable et quasi naturel pour l’individu. Cependant, il peut avoir du mal avec l’activité elle-même d’apprentissage qui lui demande des efforts importants.
- La motivation intrinsèque ou régulation liée à l’activité elle-même. Comme on l’a vu précédemment, cette fois-ci non seulement la personne est convaincue qu’il est important d’apprendre tout au long de sa vie, mais de surcroît elle éprouve un réellement intérêt pour apprendre. Apprendre ne lui demande pas ou très peu d’effort, c’est un plaisir.
Les trois besoins fondamentaux à satisfaire pour développer la motivation intrinsèque
Selon Deci & Ryan, le niveau d’investissement et de persévérance dans l’action est d’autant plus élevé que l’on se rapproche de la motivation intrinsèque. La question qui se pose alors est : qu’est-ce qui fait que la personne peut trouver du plaisir à réaliser l’activité qu’on souhaite qu’elle réalise. Pour Deci & Ryan la réponse réside dans la satisfaction des trois besoins fondamentaux qui sont à l’origine de toutes les motivations humaines, à savoir :
- « Le besoin d’autonomie, qui peut se définir comme le besoin d’être à l’origine de son action, de faire une action que l’on a choisie ou dont on se sent responsable.
- « Le besoin de compétences, qui est le besoin d’interagir efficacement avec son environnement.
- « Le besoin de relations sociales, qui est lié au fait de se sentir connecté aux autres, d’être attentif à autrui et d’avoir un sentiment d’appartenance à des communautés de personnes ». ibid p.236.
Transposés dans le monde de la formation et l’apprentissage, ces trois besoins fondamentaux peuvent se traduire par :
- La possibilité de choix dans sa formation, son initiative dans le projet de formation,
- Le sentiment de contrôle dans le déroulé de sa formation : le choix des activités pédagogiques, la liberté de planifier sa formation dans le cadre de parcours multimodaux, etc.
- Le sentiment d’efficacité personnelle, c’est-à-dire sa perception des chances d’atteindre les objectifs pédagogiques fixés ou, mieux, que l’on s’est fixé.
- La graduation des difficultés de formation au cours du parcours.
- La qualité de la relation avec le formateur, tuteur ou référent.
- La qualité de la dynamique de groupe avec ses collègues apprenants et le climat d’apprentissage au sein de la promotion.
Le stade ultime de la motivation intrinsèque : « le flow »
L’expérience du « flow » a été mise en évidence par le psychologue Hongrois, Mihaly Csikszentmihalyi. Elle permet de comprendre notamment pourquoi les « gamers » peuvent jouer des heures à des jeux vidéos sans s’interrompre.
Etre dans « le flow », c’est fonctionner au maximum de ses capacités motivationnelles. L’activité devient si intéressante pour la personne, qu’il ne produit plus aucun effort. Sa perception du temps est altérée, ses besoins mêmes primaires peuvent parfois devenir secondaires (oublier de se nourrir, de se reposer).
A travers des expériences sur des publics divers, Csikszentmihalyi a pu mettre en évidence les raisons à l’origine du « flow ». Les personnes dans le « flow », ont à la fois un challenge à relever (c’est le principe même du jeu vidéo) et la capacité à le relever (ils maîtrisent juste assez de compétences pour faire face au challenge).
Quand il y a symbiose entre le défi à relever et les compétences maîtriser, la personne est motivée pour l’activité elle-même. Sinon, elle risque soit l’anxieté (challenge trop élevé au regard de ses capacités), soit l’ennui (challenge trop faible au regard de ses compétences), soit carrément l’apathie (aucun challenge et aucune compétence) – cf. Schéma ci-dessous.
Quels enseignements en tirer pour la formation en entreprise ?
Les enseignements de la théorie de l’autodétermination de Deci & Ryan sont très riches pour la formation. Ils relativisent le poids des notes, des quiz, des bénéfices indirects de la formation tels que les primes, promotion ou atteinte des projets de reconversion. Relativiser, ne signifie pas supprimer. Tous ces éléments peuvent avoir des effets importants notamment à court terme sur l’investissement des apprenants. Mais à long terme, c’est le plaisir, voire la passion d’apprendre qui est l’essence de la motivation à se former.
Fort de cet enseignement, voici 10 « tips » ou astuces pour renforcer la motivation d’un apprenant :
- Favoriser une culture de l’apprentissage permanent au sein de l’entreprise afin d’amener les apprenants à se convaincre de l’utilité de la formation.
- Aider l’apprenant à se bâtir son propre projet de formation afin de l’aider à donner du sens à son apprentissage.
- Permettre à l’apprenant d’être co-auteur de son parcours d’apprentissage en le laissant choisir ses propres activités d’apprentissage en fonction de ses objectifs.
- Sanctuariser des temps de formation suffisants pour permettre à chaque apprenant de se sentir maître de son temps d’apprentissage et par conséquent de sa formation.
- Favoriser des pratiques d’auto-évaluation et de feedback constructif plutôt que des évaluations sommatives externes afin de favoriser le sentiment de contrôle sur sa progression.
- Amener l’apprenant à vivre des challenges permanents afin de pouvoir tester en permanence ses connaissances et compétences et favoriser ainsi son sentiment d’auto-efficacité.
- Multiplier les temps de partage et d’échange entre apprenants y compris, et surtout, pour les parcours de formation à distance et en AFEST afin de conserver l’aspect social de la formation.
- Mettre en œuvre des pédagogies co-actives en présentiel et à distance (via classe virtuelle) afin de favoriser l’activité sociale des apprenants.
- Soigner les aspects environnementaux de la formation afin de permettre à chacun d’apprendre dans des conditions agréables et inspirantes (espaces pédagogiques confortables, agréables et apaisants).
- Soigner les aspects communicationnels de la formation afin de permettre à chacun de se sentir reconnu, écouté, pris en considération (règles de vie de la formation insistant sur la bienveillance, l’écoute, le bénéfice de l’altérité).