Le concept que nous allons traiter dans ce nouvel article de la série « Les concepts pédagogiques » est double. L’un, l’étayage, doit être compris à la suite de l’autre : la zone proximale de développement ou zone développement prochain (ZDP). A l’origine de ces concepts se trouve le psychologue russe du développement Lev Vigotsky (1896-1934) qui a travaillé principalement sur l’acquisition du langage chez le jeune enfant. Contemporain de Jean Piaget, ses travaux n’ont été reconnus dans le monde occidental que depuis une quarantaine d’années, notamment grâce aux apports du psychologue du développement américain Jérôme S.Brunner (1915-2016) sur les différentes formes d’étayage.
Qu’est-ce que la ZPD ou ZDP ?
La Zone proximale de développement (ZPD) ou Zone de développement prochain (ZDP) peut être définie selon Lev Vytgoski comme la classe de situations se situant entre le niveau actuel de développement de la personne, apprécié à travers sa capacité à traiter en autonomie, c’est-à-dire seule, une classe de situations à laquelle elle est ou peut être confrontée, et le type de situations qu’il ne peut pas encore traiter sans l’aide d’une personne ou d’un collectif.
La ZDP est donc la distance qui sépare ce que je suis capable de faire seul de ce que je ne suis pas capable de faire même aidé. C’est ma zone de développement, car je peux traiter les difficultés que je rencontre dans ces situations et résoudre les problèmes qui me sont posées, à condition d’être aidé. Je maîtrise les concepts, les modèles d’action, les habiletés qui sous condition encore une fois d’être bien accompagné me permettent de m’en sortir. Au-delà de cette zone de développement, même aidé je ne peux pas y arriver.
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Qu’est-ce que l’étayage ?
J.S.Bruner rappelle que « le processus d’étayage est ce qui rend l’enfant ou le novice capable de résoudre un problème, de mener à bien une tâche ou d’atteindre un but qui auraient été, sans cette assistance, au-delà de ses possibilités. Ce soutien consiste essentiellement pour l’adulte à « prendre en mains » ceux des éléments de la tâche qui excèdent initialement les capacités du débutant, lui permettant ainsi de concentrer ses efforts sur les seuls éléments qui demeurent dans son domaine de compétence et de les mener à terme » Savoir-faire, Savoir-dire, p.263.
Ce processus d’étayage ou de guidance ou encore d’accompagnement fonctionne d’autant mieux que le novice comprend la tâche à réaliser. J.S. Bruner insiste sur le fait que « la compréhension de la solution doit précéder sa production » – ibid.
J.S.Bruner identifie 6 fonctions de « l’interaction de tutelle » dans un processus d’apprentissage. Ces 6 fonctions découvertes à travers une étude sur des jeunes enfants peut être transposée à l’apprentissage chez l’adulte sans trop de difficultés.
- « Enrôlement. La première tâche évidente du tuteur est d’engager l’intérêt et l’adhésion du « chercheur » envers les exigences de la tâche » – ibid, p.277. J.S.Bruner parle de « chercheur » car il fait référence à John Dewey. L’enfant comme l’adulte face à une situation nouvelle adopte systématiquement une posture de chercheur. John Dewey a théorisé ce phénomène à travers « la théorie de l’enquête ».
- « Réduction des degrés de liberté. Cela implique une simplification de la tâche par réduction du nombre d’actes constitutifs requis pour atteindre la solution » – ibid. Le tuteur procède ainsi d’une certaine manière à un aménagement de la tâche afin de la rendre accessible à l’apprenant.
- « Maintien de l’orientation » – ibid 278. Le tuteur joue un rôle fondamental dans l’intérêt que peut porter l’apprenant à la réalisation de la tâche.
- « Signalisation des caractéristiques déterminantes. Le tuteur signale ou souligne par de multiples moyens les caractéristiques de la tâche qui sont pertinentes pour son exécution »– ibid. Ce qui permet au tuteur de faire comprendre à l’apprenant les écarts entre ce qu’il fait ou a fait et ce qu’il doit faire.
- « Contrôle de la frustration »– ibid. Par ses interventions, le tuteur rend la tâche « moins périlleuse ou éprouvante » à réaliser. Ce qui évite à l’apprenant de « perdre la face », d’avoir le sentiment de l’échec.
- « La démonstration ou « présentation de modèles » de solutions pour la tâche » – ibid. Cette démonstration, ce n’est pas pour le tuteur simplement faire devant lui. Une démonstration, dit J.S.Bruner « comporte souvent une « stylisation » de l’action qui doit être exécutée. Le tuteur reprend les essais de solution du novice en les améliorant et en rendant le geste intelligible pour l’apprenant. Patrick Kunégel parle pour caractériser cela de « geste ostensif » du tuteur en l’opposant au « geste lisse du professionnel » (in Education permanente 165/2005-4). Le tuteur prend le temps de décomposer le geste, de le ralentir, parfois même de le caricaturer afin que le novice puisse se l’approprier. A l’inverse, le geste du professionnel est fluide, sans aspérités et par conséquent inaccessible et trop difficile à reproduire.
L’étayage en formation en situation de travail
A partir des expériences capitalisées par nos consultants et les tuteurs et référents formés à conduire des AFEST, nous sommes en mesure de proposer une hiérarchie des niveaux d’étayage : de l’étayage le plus fort à l’autonomie de l’apprenant la plus élevée.
Les 4 premiers font référence à une posture de tuteur. Nous les avons enrichis de phases réflexives afin de les rendre compatibles avec une AFEST et avec le nouveau référentiel MATU.
Nous avons retenu le terme de « référent » plutôt que celui de tuteur, car il est plus transverse aux situations d’apprentissages en entreprise.
Les 4 niveaux inférieurs en présence du référent
1) L’apprenant observe faire le référent, puis le référent demande à l’apprenant ce qu’il a observé et compris.
2) L’apprenant observe faire le référent et est par moment invité à participer (« 3èmemain »), puis le référent demande à l’apprenant ce qu’il a observé et compris.
3) L’apprenant fait devant le référent qui le supervise, puis le référent invite l’apprenant à réaliser une analyse réflexive avec lui à partir de son expérience.
4) L’apprenant fait à côté du référent qui travaille de son côté et l’aide le cas échéant, puis le référent invite l’apprenant à réaliser une analyse réflexive avec lui à partir de son expérience.
Les 4 niveaux supérieurs hors de la présence du référent
5) L’apprenant fait seul après avoir préparé avec le référent (analyse réflexive amont), puis le référent invite l’apprenant à réaliser avec lui une analyse réflexive à partir de son expérience.
6) L’apprenant fait seul puis réalise son analyse réflexive avec l’aide de son référent,
7) L’apprenant fait seul puis transmet son analyse réflexive à son référent qui la valide,
8) L’apprenant fait seul puis procède de façon périodique à l’analyse réflexive à partir des expériences vécues.