Le concept de “difficultés désirables” est issu des travaux de Elizabeth L.Bjork et Robert Bjork. Il invite à repenser notre approche de la formation, en valorisant davantage l’apprentissage que la performance constatée à court terme. Attention ! ce concept est contre-intuitif et pourrait remettre en cause vos prénotions sur la pédagogie.
Qu’est-ce qu’une “difficulté désirable” en psychologie de l’apprentissage ?
Une difficulté désirable, c’est d’abord une difficulté d’apprentissage, c’est-à-dire toute situation d’apprentissage que peut rencontrer un apprenant au cours de sa formation et qui l’amène à produire un effort cognitif significatif. Il peut s’agir par exemple : d’un test, d’une remobilisation de savoirs anciens, etc. (Cf. ci-après “4 +1 types de difficultés désirables”). Cette mise à l’épreuve va l’amener à améliorer ses processus d’encodage et de récupération et par conséquent, faciliter sa compréhension et sa mémorisation.
Une difficulté désirable, c’est aussi une situation d’apprentissage qui est voulue ou acceptée par l’apprenant. Les Bjork rappellent qu’un grand nombre de difficultés ne sont pas désirées par les apprenants. Soit parce qu’elles les mettent en échec (perte du sentiment de compétences), soit parce qu’ils ne trouvent aucun intérêt ou plaisir à produire un effort, pour la résoudre (faible motivation intrinsèque).
Une difficulté désirable représente un défi accepté d’apprentissage. En première apparence, proposer des difficultés désirables pourrait sembler ralentir voire faire obstacle à l’apprentissage. Mais in fine cela conduit en fait à des apprentissages plus profonds.
La théorie des difficultés désirables est donc selon, leurs auteurs, contre-intuitive. Paradoxalement une personne qui suit un parcours d’apprentissage sans difficulté et réussit facilement à toutes les épreuves qui lui sont proposées, apprendra moins qu’une personne qui rencontre des difficultés et n’obtient pas des résultats probants. Car la seconde aura été amenée à produire des efforts pour se questionner, à chercher des solutions, à mobiliser ses ressources pour dépasser ses difficultés. Son engagement cognitif aura été beaucoup plus élevé (cf. notre article sur l’engagement cognitif et le modèle ICAP).
La raison qui conduit à cette erreur autour de la difficulté en apprentissage est due, selon E.Bjork et R.Bjork, à la confusion que l’on fait couramment entre performance et apprentissage. Ce n’est pas parce que je réussis que j’ai appris ! Je peux très bien répondre à 100% à un quiz d’évaluation de fin de formation et avoir moins appris que celui qui n’a réussi le test qu’à hauteur de 50 ou 60%. L’atteinte à 100% n’est que le constat qu’on sait répondre en fin de formation aux questions que l’on nous pose. Mais qu’en sera-t-il 3,6 ou 24 mois plus tard. Est-ce que j’ai vraiment appris ? Est-ce que j’ai bien fait les liens entre la nouvelle connaissance et mes pré-acquis ? Quelle a été la qualité de mon encodage des nouvelles connaissances ? Les liens en mémoire sont-ils suffisamment robustes ? Ai-je pu développer des “chunks” suffisamment grands ? Ce n’est pas la modalité d’évaluation qui est en cause (le quiz dans cet exemple) mais son moment. On pourrait dire exactement la même chose pour une simulation ou un test d’utilisation d’un nouveau logiciel. Faire dans une situation donnée ne signifie pas que je sais faire durablement et quelles que soient les situations que je rencontrerai.
4 + 1 types de difficultés désirables possibles
Dans une revue de littérature récente (2017), Michaël Lévesque-Dion recense 4 types de difficultés désirables qui peuvent avoir un effet positif sur l’apprentissage.
L’espacement
Premier type de difficulté, l’espacement dans le temps de l’apprentissage. Un apprentissage distribué à intervalle croissant est plus efficace qu’un apprentissage massé, car l’apprenant est amené à reprendre plusieurs fois ce qu’il a appris. En clair, le principe du bachotage la veille de l’examen reste valable pour réussir l’examen le lendemain, mais pas pour ancrer durablement la connaissance et l’utiliser plusieurs mois voire années plus tard. Malheureusement, beaucoup de professionnels sont des anciens élèves qui ont pratiqué ce type de stratégie d’apprentissage et il est difficile pour eux de remettre en cause leurs vérités fondées sur une expérience “réussie” !
L’interfoliage ou l’entrelacement
Le deuxième type de difficulté peut se combiner avec le premier. Lorsque l’apprentissage est espacé dans le temps, le temps entre deux séances d’apprentissage peut être occupé à faire des apprentissages dans d’autres domaines. Le parcours de formation n’est plus réalisé selon une logique séquentielle par blocs, mais dans une logique simultanée où plusieurs objectifs pédagogiques sont traités en parallèle. A première vue, cela complique l’apprentissage puisqu’on passe d’un sujet à un autre au cours du parcours. Mais, des études ont montré que l’apprentissage était plus robuste avec interfoliage que sans (cf. article de M. Lévesque-Dion en références).
L’effet de test
Le troisième type de difficulté est le fait de proposer régulièrement des épreuves de tests pour que les apprenants évaluent leur apprentissage. A l’inverse de la difficulté précédente, cette difficulté est largement répandue en formation. Les plateformes de E-Learning en raffole. Et elles proposent des quiz aux apprenants parfois jusqu’à indigestion ! Mais proposer des évaluations ne se limite pas qu’aux quiz.
Pour mettre en place des difficultés désirables, il faut proposer plus globalement une mise à l’épreuve des connaissances aux apprenants. Et la plus pertinente de ces mises à l’épreuve est probablement l’expérimentation, qu’elle soit en situation de travail réelle ou aménagée, sur simulateur ou sur plateaux techniques. Car, ne l’oublions pas : apprendre en formation professionnelle, ce n’est pas que mémoriser du contenu, mais c’est surtout mettre en oeuvre des compétences en situation de travail.
La rétroaction
Le quatrième et dernier type de difficultés désirables recensé par M.Lévesque-Dion est le feedback ou la rétroaction dont va bénéficier l’apprenant. Se tester ne suffit pas pour apprendre, encore faut-il bénéficier de retour constructif (ni démotivant, ni démagogique) de son environnement. Sinon, le risque est grand de voir la difficulté désirable devenir une difficulté indésirable (souvenons-nous simplement de nos notes en dictée au primaire où 5 fautes suffisaient à atteindre un zéro indiscutable !)
Le calibrage de la difficulté
Lié à cette notion de feedback, on rajoutera volontiers dans le recensement de M.Lévesque-Dion, un cinquième type ou plutôt un pré-requis. Pour qu’une difficulté soit désirable, il faut avant tout qu’elle soit une réelle difficulté et qu’elle soit acceptée, comme nous l’avons vu en début de cet article. Par conséquent, il faudra soigner le calibrage du niveau de difficulté. Quand nous formons des formateurs ou des tuteurs, nous leur expliquons la règle du pronostic de 70% de réussite. Le taux n’est pas à prendre à la lettre, mais l’esprit qui se cache derrière est essentiel. L’activité d’apprentissage ne doit être ni trop facile (désintérêt assuré : “on nous prend pour des benêts !), ni trop difficile (anxiété garantie : “on n’y arrivera jamais !”).
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Quels enseignements pour les acteurs de la formation ?
Le concept de difficultés désirables commencent à faire son chemin chez les acteurs de la formation. Même si ses facteurs explicatifs ne sont pas encore totalement cernés, son aspect pragmatique peut aider les formateurs, mais aussi les chefs de projet formation et Directeurs L&D à s’en emparer, pour améliorer leurs pratiques de formation. Voici quelques pistes d’investigation :
Les formateurs et formatrices
- S’adapter en cours d’animation aux difficultés d’apprentissage de ses apprenants et garder à l’esprit la règle du 70% de réussite,
- Soigner la qualité des feedback lors des évaluations,
Les chefs de projet formation
- Concevoir les parcours de formation en proposant des difficultés désirables telles qu’indiquées ci-dessus. Oser notamment l’espacement et l’entrelacement.
- Soigner les positionnement en amont, pour personnaliser les parcours (et donc ajuster le niveau de difficulté)
- Penser à proposer des tests (3ème type de difficulté désirable) qui soient de véritables expérimentations en situations de travail et pas seulement des tests de connaissance ou de compréhension.
Les directeurs et directrices L&D
- Penser ses investissements techno-pédagogiques en veillant à éviter le piège du “Tout Quiz” (proposer des difficultés désirables ce n’est pas que bombarder les apprenants de Quiz ! Bien au contraire !)
- Eviter de confondre engagement affectif (“j’ai pris du plaisir”) et comportemental (“j’ai terminé mon e-learning” ou “j’étais présent à ma formation”) et l’engagement cognitif. L’essentiel n’est pas seulement de comptabiliser des heures de formation et des bonnes appréciations des apprenants, mais d’amener les collaborateurs de l’entreprise à faire l’effort en permanence de relever des défis, pour apprendre… en permanence.
A ce titre, il pourrait être intéressant de sortir de la formation ludique et Wahoo ! à l’excès. Non pas que s’amuser en formation soit un problème. Loin de là notre opinion (cf. nos outils de ludopédagogie). Mais ce n’est pas en faisant seulement jouer que l’on apprendra. Quand les séries Netflix sont venues inonder le marché de l’entertainment, des soi-disant experts en pédagogies nous conseillaient de scénariser les formations (et surtout les cours digitaux) comme des séries Netflix. Car l’alpha et l’omega des directions L&D était le taux de complétion. mais à quoi cela sert-il que les apprenants restent engagés jusqu’à la fin du parcours s’ils ne font que ‘passer les écrans’ sans réfléchir, relier, tester ou expérimenter ? Bref, à confondre engagement affectif et engagement cognitif, on finit par se fourvoyer !
Références
-
Elizabeth L. Bjork and Robert Bjork : Making Things Hard on Yourself, But in a Good Way: Creating Desirable Difficulties to Enhance Learning.
- Lévesque-Dion, M. (2017). Les difficultés désirables : Des obstacles pour favoriser l’apprentissage. Psycause : Revue scientifique étudiante de l’École de psychologie de l’Université Laval, 7(2), 18-25.