Quelle belle idée ce compte personnel de formation ! Donner à chacun, salarié comme demandeur d’emploi, la possibilité de se former et certifier régulièrement tout au long de sa vie professionnelle. Qui peut être contre ? Personne. Et pourtant, à 6 semaines de sa mise en oeuvre concrète tout semble être fait pour que le CPF échoue. Il n’est qu’à voir les derniers décrets du 2 octobre et ceux à venir sur le socle commun et l’accompagnement VAE ou encore les futures listes pour s’en rendre compte.
Un véritable monstre juridique
Le CPF a été conçu pour devenir le pivot du futur système de FPC. Il devait être le plus souple possible pour permettre toutes les combinaisons : abondement période de professionnalisation, CIF, Plan… Mais en même temps, il n’était pas souhaité et surtout possible, compte tenu des moyens financiers à disposition, d’offrir un chèque formation aux salariés.
Conséquence 4 types d’heures et donc des conditions de départ et de financement différentes : heures “compteur” (financement au forfait), heures “abondement complémentaire” (montant fixé par l’abondeur lui-même), heures “abondement supplémentaire temps partiel” (13€ ou plus), heures “abondement correctif” (30€). Mais aussi autant de financeurs qu’il y a d’abondeurs possibles. Rien que pour les salariés, on peut citer, à date, le salarié lui-même, l’entreprise, l’OPCA, l’OPACIF/FONGECIF et l’AGEFIPH.
Si l’on en croît, les documents de procédure de gestion qui circulent actuellement autour de la mise en oeuvre du CPF, on se dirige vers un nombre impressionnant de modalités de gestion :
- le CPF “de droit” pris en charge par l’employeur ou l’OPCA voire les deux ensemble,
- le CPF “co-construit” pris en charge par l’employeur intégralement, partiellement avec l’aide de son OPCA, ou délégé intégralement à son OPCA,
- le CPF “après refus de l’entreprise” pris en charge par le FONGECIF dans le cadre du CIF ou hors CIF à la suite d’un CEP et co-financé par l’entreprise ou l’OPCA.
Bref, à vouloir créer un dispositif très flexible, on a fini par accoucher d’un monstre juridique. Totalement illisible pour les salariés qui seront livrés à eux-mêmes. Incompréhensible pour les employeurs qui vont avoir vite fait de le passer à la trappe en l’assimilant au compte pénibilité.
Un dispositif moderne conçu avec une vision du passé et sans moyen
Donner les moyens à chaque salarié de s’assurer de son employabilité tout au long de la vie est un objectif louable, voire indispensable dans le contexte économique actuel. Lui permettre, grâce à ce dispositif, d’être solvable et de pouvoir demander des abondements à différents financeurs, c’est certes complexe, mais l’idée est tout à fait pertinente. Cette logique de co-construction qui existait déjà dans le DIF se trouve renforcée en s’élargissant à tous les financeurs et pas seulement à l’entreprise elle-même. C’est moderne et innovant socialement.
Mais pour cela, il faut des moyens financiers et également une vision moderne de ce qu’est la formation. Or, aujourd’hui, à consulter les premières listes de formations éligibles et les derniers décrets, il y a de quoi s’inquiéter. Ne devraient être éligibles seulement :
- des formations certifiantes (RNCP et CQP/CQPI),
- l’accompagnement VAE (on attend le décret, mais il semblerait que l’aide au choix de la certification ne soit pas intégré)
- le Socle commun de compétences (le décret à paraître devrait imposer une certification et par conséquent le socle ne pourra probablement pas être obtenu sous une forme modulaire sur plusieurs années).
Faute de moyens, les décideurs du monde de la formation sont en train d’orienter le CPF sur uniquement des formations longues, lourdes, diplômantes ou qualifiantes, en passant à côté des vrais besoins des salariés. Et pourtant, nous ne sommes plus dans les années 1960, du temps des lois Debré sur la promotion sociale ! Nous avons suffisamment de diplômés et qualifiés en France. Mais nous manquons de bons professionnels, de personnes formées aux compétences d’aujourd’hui et de demain (digitales, mais pas seulement). Et ces compétences ne s’acquièrent pas forcément en retournant à l’école ou à l’université. Elles peuvent s’acquérir en travaillant et en même temps se formant, et surtout en se certifiant.
On a besoin de certification permettant de justifier de l’acquisition de corpus de compétences cohérents et ayant une valeur sur le marché du travail. Ces certifications peuvent être acquises en quelques dizaines d’heures, y compris pour les faibles niveaux de qualification. Même les formations au socle commun de compétences n’ont pas besoin d’une durée énorme. En moyenne, les Ateliers Pédagogiques Personnalisés (APP) spécialisés dans ce type de formation forment en 89 heures.
Les listes sont à ouvrir le plus rapidement possible, sous peine d’échec total du CPF. Il reste un espoir l’inventaire des certifications et habilitations de personnes que doit produire d’ici la fin de l’année le Comité Observatoires et Certifications. Mais ce COC, mis en place à la suite de la loi de 2009 n’a toujours pas produit d’inventaire (cf. à ce sujet cet article révélateur du centre inffo). Les salariés et entreprises attendent depuis 5 ans, combien de temps devront-ils encore attendre ?
Le CPF, moderne dans son principe, doit l’être également dans la vision qu’il porte de la formation. Il ne doit pas être l’otage de décideurs qui restent arc-boutés sur des représentations comme “formation = éducation = diplôme ou titre = retour sur les bancs de l’école”. Mais pour cela, il faut donner des marges financières au CPF, afin de rassurer ces décideurs.
Trois propositions pour sauver le CPF avant qu’il ne soit trop tard
Modestement, voici trois idées, suggestions ou, si l’on préfère, trois propositions qui pourraient nous éviter le pire concernant le CPF :
Simplification : un seul point d’entrée pour le salarié
L’histoire du 0,2% CPF que l’entreprise peut verser ou conserver n’apporte pas grand chose, si ce n’est de la confusion. Le CPF doit être pris en charge par l’OPCA qui doit devenir le point d’entrée pour le salarié, une fois qu’il s’est accordé ou pas avec son employeur sur son départ en formation. Cela simplifiera grandement ses démarches, il n’aura plus q’un seul interlocuteur technique pour le montage de son dossier.
On constatera bientôt, à travers les premières expériences des OPACIF, qui sont à la fois OPCA et FONGECIF, et qui auront donc la possibilité de faire du Conseil en Evolution Professionnelle (CEP) pour les salariés de leurs branches, qu’il s’agit probablement de la solution la plus pertinente.
On nous rétorquera que les OPCA n’ont pas les ressources pour cela. Mais revoir les conventions d’objectifs et de moyens n’est peut-être pas insurmontable.
Ouverture : remplacer les listes par des agréments OPCA / OPACIF
Le système d’élaboration des listes CPF va vite devenir une usine à gaz. Sur les 46 fichiers remontées par les CPNE au COPANEF seulement 28 étaient pleinement exploitables. Combien d’aller-retour seront-ils nécessaires pour que l’on ait enfin des listes opérationnelles et valides ? Il faut supprimer ces listes qui n’apporteront rien également. Il faut redonner la main à ceux qui sont les plus proches du terrain, c’est-à-dire les OPCA / OPACIF.
A la suite de la loi du 5 mars 2014, les OPCA / OPACIF ont en charge la qualité de la formation. Pourquoi ne pas imaginer que les actions CPF ne pourraient être réalisées que sur des actions de formation agréées par l’OPCA/OPACIF (sur le principe des agréments pour les formations financées par les Régions). Charge à l’OPCA/OPACIF, dans le cadre d’un cahier des charges national qui pourrait être défini par le COPANEF, de définir une grille de critères objectifs permettant d’agréer les organismes de formation. Ces critères pourraient porter sur la démarche de formation et de certification et sur la valeur de la formation au regard du marché de l’emploi.
Cela aurait la double vertu : 1) d’ouvrir largement le nombre de formations éligibles en ne se limitant pas à des diplômes ou titres ou CQP, 2) d’accélérer la modernisation des organismes de formation grâce à des critères prenant en compte également l’innovation pédagogique.
Augmentation des financements : l’intégralité du 1% orienté sur le CPF
Il est prévu à date seulement une enveloppe de 0,2% pour financer les formations CPF. Le décret du 2 octobre prévoit de surcroît que sur ces 0,2% pourront être pris en compte, sous condition, la rémunération des stagiaires. Si on se limite à cette enveloppe, il n’y aura donc pas plus de moyen pour le CPF que pour le CIF. C’est pourquoi, il est impératif de flécher non pas 0,2% mais l’ensemble du 1% sur le CPF. Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus qu’une seule enveloppe CPF égale à 1% mais que tous les autres financements seraient conditionnés par la mobilisation d’heures de CPF. Autrement dit, toute période de professionnalisation, tout CIF, toute formation financée dans le cadre du FPSPP ne pourrait être prise en charge que si le salarié accepte de mobiliser son CPF. C’est l’ensemble du 1% (excepté les contrats de professionnalisation) qui servirait ainsi à abonder le CPF.
Le CPF retrouverait ainsi une marge de manoeuvre financière. Il pourrait s’ouvrir à tout type de formation certifiante de qualité et serait géré par un acteur pivot : l’OPCA.
Entreprise, OPACIF, FONGECIF, FPSPP… seraient mobilisés pour l’abonder. Le CPF serait bien alors le dispositif majeur du système de formation professionnelle rénové.