Les contours du CPF ne sont pas encore précisément définis. Mais une chose est sûre, ce n’est pas un simple remplaçant du DIF. Plus proche du CIF, il apparaît comme une nouvelle contrainte pour les entreprises. C’est un vrai droit opposable et en quelque sorte un transfert de dette d’entreprise à entreprise. Il faudra de véritables politiques GPEC pour le maîtriser.
Le CPF un vrai droit opposable
Le DIF disparaît, le CPF, le remplace. Telle est la lecture rapide de la loi du 5 mars sur la formation professionnelle. Mais attention ! le CPF ressemble guère au DIF. Certes dans les deux cas, l’initiative revient au salarié, mais avec le DIF l’employeur peut toujours lui refuser sa demande (excepté lors d’un licenciement). Dans le cas du CPF, il en est tout autrement. Dans cinq situations définies par la loi, l’entreprise ne pourra lui refuser :
- Demande du salarié dans le cadre d’un abondement correctif
- Formation figurant dans un accord de branche
- Formation figurant dans un accord d’entreprise
- Formation permettant au salarié d’acquérir le socle commun de connaissances et de compétences
- Accompagnement VAE
Dans ces 5 situations, l’entreprise sera donc contrainte d’accepter la demande. Cela ressemble étrangement au CIF ? Oui et non. Dans le cas du CIF, l’entreprise ne peut pas refuser, elle ne peut que reporter une fois la formation. Mais, son acceptation est quasiment sans conséquence pour elle. Elle doit seulement l’autoriser à s’absenter, charge au salarié de se trouver le financement adéquat pour sa formation, notamment via son OPACIF ou FONGECIF.
Dans le cas du CPF, l’entreprise doit continuer à verser la rémunération du salarié en formation. La loi prévoit explicitement, dans les 5 cas cités ci-dessus, que la formation doit être réalisée sur le temps de travail. Voici une première charge importante pour l’entreprise. 150 heures en CPF, c’est l’équivalent d’un mois de travail pour un salarié. Mais ce n’est pas tout. Si l’entreprise a décidé de prendre en charge elle-même son 0,2% CPF, elle doit de surcroît financer les frais pédagogiques et annexes de la formation. Bref, elle doit prendre l’intégralité des coûts de formation.
Conséquence : les entreprises n’ont plus qu’à prier pour ne pas avoir trop de demandes de CPF. Si la dynamique s’emballe, elles pourront difficilement l’arrêter.
Le CPF un transfert de dette d’entreprise à entreprise
Et ce n’est pas tout ! Le CPF, tel qu’il est conçu, porte en lui un transfert de dette sociale d’entreprise à entreprise. Cela provient des modes d’acquisition et de mobilisation des droits. Analysons comment cela est prévu dans la loi du 5 mars 2014. Le salarié accumule 24 heures, puis 12 heures par an, à concurrence de 150 heures dans les entreprises qui l’emploient. Quand le salarié quitte son entreprise, il conserve les droits acquis qui sont enregistrés dans un compteur personnel géré nationalement (via un système d’information qui va être mis en place par la Caisse des Dépôts et des Consignations). Titulaire de ce compteur, il peut l’utiliser ensuite dans n’importe quelle entreprise ou, dans le cas du chômage, au Pôle emploi.
Imaginons maintenant, un salarié titulaire de 150 heures quittant son entreprise et se retrouvant chez un nouvel employeur. Il souhaite suivre, par exemple, une formation socle commun de compétence ou figurant sur l’accord de branche ou d’entreprise de son nouvel employeur. Que peut faire alors son employeur ? Il ne peut qu’accepter et lui prendre en charge sa formation. Clairement, la “dette CPF“, a été transférée de son ancien employeur à son nouvel employeur.
Evidemment, le bénéficiaire de la formation est le nouvel employeur, pas l’ancien. Il est donc normal que ce soit le nouvel employeur qui paie. Mais cela fonctionne bien quand le projet de formation du salarié correspond aux besoins de l’entreprise. Qu’en sera t-il lorsque la co-construction du parcours de formation est impossible (ex. le salarié souhaite se former à l’anglais alors qu’il travaille sur un poste où il ne doit pas pratiquer la langue de Shakespeare). La loi est claire dans ce domaine, c’est au nouvel employeur de prendre en charge la formation !
CPF : prudence, prudence !
Les modalités de transfert du CPF et le fait que, dans de nombreux cas, le CPF est un droit opposable, peuvent avoir des conséquences très importantes sur l’attitude à adopter par les entreprises à son égard.
Tout d’abord, elles n’ont pas intérêt à en faire la promotion. Il ne devrait pas y avoir autant de catalogues CPF qu’il n’y a eu de catalogue DIF. Une fois l’appétence pour la formation suscitée, elle ne pourront plus la canaliser. Ces dernières années, on a vu des entreprises possédant des catalogues DIF bien fournis, avoir des taux de refus de DIF allant jusqu’à 50%. Cela ne sera plus possible : le CPF ne pouvant être refusé.
Ensuite, elles doivent se poser la question de financer elles-mêmes ou de laisser la charge de la gestion à leur OPCA. La réponse est quasiment évidente. Dans 9 cas sur 10, elles ont intérêt à transférer le financement à leur OPCA. Ce dernier va jouer le rôle d’assureur pour le risque CPF. Elles n’auront plus qu’à prendre en charge le temps de formation, les frais de formation et annexes seront financés par l’OPCA, qui, lui, pourra gérer ses fonds avec des montants forfaitaires. Ce n’est pas prévu explicitement dans la loi pour les entreprises.
Enfin, elles doivent avoir une réelle politique GPEC. Fini les catalogues larges de petits stages de 2 ou 3 jours. Elles doivent proposer des actions réellement qualifiantes à leur salarié pour orienter leurs demandes sur des parcours pertinents, à la fois pour eux et pour elles. Les entreprises qui sauront / pourront mettre en place ces politiques GPEC pourront se prémunir elles-mêmes du risque CPF. Cela correspond peut être à une entreprise sur 10. Et ce sont elles et uniquement elles qui auront peut-être intérêt à conserver en interne leur budget 0,2% CPF. A ce titre, la loi est bien faite puisqu’il faut impérativement un accord GPEC pour conserver la gestion du budget CPF.
Le DIF a effrayé, à tort, en 2004. Les entreprises l’avaient mal interprétées. Elles avaient compris qu’elles ne pouvaient pas refuser le DIF après deux demandes consécutives de leur salarié ou après deux exercices civils. Ceci n’était qu’une lecture erronée du texte de la loi du 4 mai 2004. Les mêmes employeurs aujourd’hui pensent que le CPF se gèrera comme le DIF qu’il ont su parfaitement apprivoiser. Mais le jeu de Bonneteau ne marchera pas deux fois. Vouloir transférer le plan dans le CPF, comme elles ont, pour certaines, transférer le plan dans le DIF est vain. Le CPF n’est pas le DIF. Cette fois-ci, sans politique GPEC, point de salut ! Ou alors, prudence, prudence…