Le blog de C-Campus

Deux ans après le Big Bang annoncé de la formation, le pari est-il gagné ?

Le 5 mars 2018, Muriel Pénicaud, dans une conférence de presse qui avait grand bruit, nous annonçait le Big Bang de la formation. C’était, coïncidence des calendriers, 4 ans jour pour jour seulement après la promulgation de la loi du 5 mars 2014 instituant le CPF. Deux ans plus tard, le monde de la formation a-t-il réellement changé ?

Faire le bilan aujourd’hui serait pour tout dire plutôt malhonnête, tant une réforme nécessite du temps pour être appropriée et déployée par les acteurs de terrain. Et cette loi « Avenir professionnel » semble en demander encore plus que tout autre, car elle a des impacts sur tous les fronts de la formation. Combien de points techniques restent-ils encore en suspens : co-construction du CPF via l’appli, précisions autour des prises en charge des couts contrats en apprentissage, pratiques d’extension des accords de branche concernant la Pro-A, etc. La liste est longue et occupera encore de longs mois la gouvernance de la formation.

Mais là n’est pas le problème. Car tout ceci finira par rentrer dans l’ordre dans les 12 à 18 mois à venir. Les réformes précédentes nous l’ont prouvé.

Une réforme aux principes cohérents mais à la prémisse discutable

Actuellement, la question essentielle porte sur la compréhension des enjeux de la réforme par les acteurs de terrain. Sont-ils prêts à s’engager dans cette réforme et à lui donner réellement vie ? Nous en doutons. Car nous nous demandons si les principes au fondement de la réforme peuvent être compris par les salariés et entreprises. Ces principes peuvent se résumer simplement :

1) Doter les salariés d’un pouvoir d’achat formation via l’application CPF, 2) rappeler l’entreprise à son obligation de formation (via la pénalité des 3000 euros), 3) et lui stopper la perfusion des co-financements faciles pour 4) réaffecter les fonds de la formation vers les demandeurs d’emploi (3 milliards par an pour le PIC) et l’alternance (environ 5 milliards par an). Et en même temps, pour reprendre une expression de circonstances, 5) libérer les conditions de mise en œuvre des formations (redéfinition de l’action de formation, AFEST, ouverture des CFA…) sous condition 6) de respecter les exigences en matière de qualité (Qualiopi).

Ces principes cohérents et intelligibles reposent sur une prémisse : la formation est un bien utile et tout le monde en est convaincu. Les salariés sont acteurs de leur formation et les entreprises sont convaincues de la valeur de la formation pour leur développement voire pour leur survie. Et c’est là que le bât blesse ! La réalité est bien éloignée de ce monde des Bisounours. Conférence après conférence, formation après, formation, échange après échange, nous en faisons malheureusement le constat.

Le salarié acteur de sa formation, ça se discute !

Le salarié acteur de sa formation ne va pas de soi. Combien de salariés adoptent des attitudes volontaires face à la formation ? Quand on sonde les salariés à l’égard de la formation, nombreux sont ceux qui souhaitent se former. Cela ne se conteste pas. Mais quand on creuse un peu plus et qu’on leur demande pourquoi, ils ne se forment pas, les mêmes raisons apparaissent de façon récurrente : manque de temps et de moyens. Et au final, peu de salariés se forment à leur initiative : 1,7% d’entre eux ont suivi une formation CPF en 2018. On nous annonce, comme chiffre encourageant, trois mois après le lancement de l’appli CPF, seulement 138.000 formations engagées pour 28 millions de salariés potentiels. Et de surcroît sur des formations plutôt courtes, plutôt pro-perso que de reprise d’études ou de reconversion.

Et si les salariés se forment peu, réforme après réforme, il y a peut-être une raison simple à cela. Ce n’est pas être pas tant un problème de cadre légal et réglementaire. C’est peut-être la prémisse du salarié appétent pour la formation qu’il faut remettre en cause. Combien sont-ils prêts à faire des sacrifices pour se former ? Combien étudient le week-end, prennent sur leurs heures de déjeuner ou de transports, sans parler de leurs congés pour obtenir une certification ? On attend une enquête sérieuse du Cereq sur la question !

Et faut-il incriminer les salariés s’ils ne le font pas ? Loin de nous cette pensée. S’ils n’investissent pas dans la formation, c’est probablement parce qu’ils n’ont pas intérêt à le faire. Peut-être tout simplement car ils ne trouvent pas auprès de leurs entreprises d’incitations à s’investir dans la formation.

Les entreprises sont-elles réellement formatrices ?

Répondre à cette question d’une façon générale est là aussi risqué, tant les disparités sont grandes dans ce domaine. La réponse à la question ne se mesure pas en budget formation ou en outillage techno-pédagogique dernier cri (n’en déplaise aux start-up de la EdTech !). Si l’étalon était si simple, il nous serait facile de faire une liste rapide, notamment dans les grands groupes industriels et de services.

Mais soyons honnête, le problème est ailleurs. Il se pose en termes de culture de l’apprentissage. Combien croient réellement dans les effets de la formation sur leur « business » ? Combien sont-elles prêtes à reconnaître les acquis de la formation en vue d’inciter leurs collaborateurs à se former ? Combien sont-elles capables d’offrir de réelles opportunités d’apprentissages sur le lieu même du travail à leurs salariés ? Combien les forment-elles à apprendre ? (Et on sait bien toute l’importance de cette capacité individuelle et collective à apprendre dans le développement de l’appétence pour la formation !)

Si on se réfère aux réactions des DRH, Dev.RH et responsables formation face à la réforme, on doit se rendre à l’évidence que les entreprises ne sont pas si nombreuses à croire dans les bienfaits de la formation. Leurs réactions parfois nous surprennent. Elles se focalisent en priorité sur la fin des co-financements. Les plus « dépendants aux subventions » sous intraveineuse cherchent encore à récupérer le CPF de leurs salariés, via des accords d’entreprises plus ou moins réalistes. Les plus crédules espèrent encore dans l’avenir d’une Pro-A remplaçante d’une tant aimée période de professionnalisation.

L’AFEST est aussi symptomatique de ces réactions des acteurs de la formation. Plutôt que voir en elle un formidable moyen de transformation des pratiques pédagogiques, les premières questions que l’on nous pose tournent toujours autour des prises en charge. Est-ce au coût horaire ? Peut-on passer les temps d’ingénierie ? Et pourquoi pas, le salaire des salariés en formation ?

« On ne change pas la société par décret »

Faisant le pari d’une réelle appétence des entreprises et des salariés pour la formation, le Big Bang annoncé risque de faire Pschitt. L’erreur cette fois-ci n’est peut-être pas tant dans l’ambition et les moyens (quoique dans ce domaine nous attendons le rapport de l’Igas), mais dans un constat erroné de l’état des lieux du monde de la formation.

Michel Crozier disait dans un livre célèbre de 1982 : « On ne change pas la société par décret ». La loi « Avenir Professionnel » a toutes les chances de confirmer cette hypothèse d’un de nos plus brillants sociologues du XXième siècle. On peut raisonnablement se demander, si d’avoir voulu passer outre la construction d’une vision partagée et ancrée dans la réalité, cette réforme aux principes cohérents et ambitieux ne va pas passer à côté de ses objectifs.

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Marc Dennery

Marc Dennery

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