Depuis quelques mois et même quelques semestres, les professionnels de la formation n’ont plus que ce mot à la bouche “Digitalisation”. Loin de nous de remettre en cause l’impérieuse nécessité de digitaliser la formation. C’est une évidence. Mais l’enjeu n’est-il pas ailleurs ?
Digitalisation le moyen, individualisation la finalité
Pour comprendre ce qui est en jeu dans la digitalisation de la formation, il faut aller voir ce qui s’est passé ces dernières années dans d’autres secteurs comparables. Prenons la Presse. C’est le couple production-consommation de l’information qui a changé. La majorité des citoyens s’informe davantage grâce au gratuit. Une petite minorité est prête à payer pour du premium sur le web et/ou sur du papier, voire aller à des conférences-débat, acheter des livres pour aller plus loin. Certains de ces consommateurs sont mêmes devenus des producteurs via les blogs et les réseaux sociaux. L’information, d’une certaine manière s’est démocratisée.
Si l’on prend la musique, il en est de même. La production-distribution est devenue beaucoup plus facile. Chacun peut produire son album avec des moyens limités et le distribuer sur la toile. Le concert, “le live”, les festivals sortent renforcés. Le vinyle est revenu à la mode (quel bel objet !). Et en même temps, tout le monde écoute de la musique sur son portable avec ses play-lists préférées. Dans la même maison, on n’écoute plus le disque des parents. Chacun se ballade, son casque sur la tête, avec SA musique.
Appliquons maintenant ces évolutions à la formation. Le digital learning donne accès à une certaine information-formation qui n’existait pas. Il ne remplace pas, il complète. Là où il était trop compliqué de former, on ne formait pas. Aujourd’hui, on fait un webinar ou un module de rapid E-Learning. Il remet en avant le live, c’est-à-dire le présentiel qui doit devenir événementiel. Car plus le digital envahit nos vies, plus on a besoin d’humain. Le rapport à l’autre et à l’objet (voir le succès du vinyle ou celui des nouveaux magazines/revues) sont plus que jamais déterminants.
Le digital learning confond également les genres producteur / consommateur. Grâce à la Toile, chacun peut être à la fois formateur et formé ou sachant et apprenant. Pour symboliser ce double rôle nous utilisons volontiers le terme “d’apprenaute”, contraction d’apprenant et internaute.
Le digital learning permet enfin d’individualiser. Chacun a sa formation pour soi, comme chacun à son fil d’information dédié ou sa play-list préférée. Dans le domaine de la formation, encore plus que dans la Presse ou la Musique, l’individualisation bouleverse tout. La formation d’hier, c’était un groupe de 12 et un formateur. Celle d’avant hier une classe de 35 et un professeur. La formation de demain, c’est un apprenant et son éco-système apprenant comprenant un référent, un manager, des collègues, des formateurs terrain, des formateurs en salle, des formateurs à distance, des bases de ressources pédagogiques, etc.
L’enjeu aujourd’hui, ce n’est donc pas tant de digitaliser pour simplement faire de la formation à distance là où on la faisait en salle. C’est repenser les usages mêmes de la production-consommation de formation. Ce qui est jeu, c’est comment individualiser les processus de formation sans les déshumaniser.
Les vrais questions à se poser…
Alors comment faire ? Voici quelques pistes car nous n’avons pas toutes les réponses…
Industrialiser la digitalisation
L’étape n°1 d’un point de vue chronologique est bien entendu de digitaliser les contenus et de les distribuer. Encore une fois, la digitalisation est un préalable. Pas la finalité. Vu l’ampleur de la tâche, il va falloir changer radicalement de façon de faire. Il est impossible de transformer en 2 ou 3 ans tous les contenus présentiels existants en modules de E-Learning, à raison de 10 à 15 K€ de l’heure-module.
Il faut passer par une industrialisation de la production du digital learning. Et pour cela, il faut investiguer d’autres pistes que la sous-traitance de modules sophistiqués à des agences de digital learning. Impliquer davantage les experts dans l’auto production de leurs contenus digitaux. Travailler avec des “Template” ou modèles. Faire réellement du “Rapid E-learning” (médiatisation sommaire, produits jetables…). Louer au lieu d’acheter. Sélectionner au lieu de produire (voir tout ce qui existe aujourd’hui de gratuit sur la Toile, pousse à l’usage de la webographie plutôt qu’à la production en propre).
Penser la multimodalité
Le digital ne doit pas être opposé au présentiel. Cela n’a pas de sens. Le commerce vient d’en prendre conscience : site d’E-Commerce et magasin en dur ne se concurrencent pas forcément, ils se complètent. On parle de “cross-canal” dans ce domaine. En formation, on préfère le terme de multimodal. Il faut repenser aujourd’hui les inter relations entre présentiel, digital, mais aussi et surtout la formation en situation de travail, véritable “innovation” de ces dernières années. Les trois se complètent, s’enrichissent mutuellement à condition de remettre l’apprenant au coeur de chaque dispositif et de penser non plus dispositif de formation (tourné vers le formateur) mais éco-système apprenant (orienté autour de l’apprenant).
Mobiliser les acteurs opérationnels : apprenants et managers
Apprenant et manager sont les deux acteurs clés de la transformation de la formation. Toutes les énergies devraient être focalisées vers eux plutôt que vers les plateformes et les contenus. C’est eux qui feront le succès ou l’échec de tout programme de transformation digitale de la formation. C’est eux qui en bénéficieront et qui le porteront.
La première action à mener est d’armer l’apprenant pour qu’il devienne lui-même acteur de sa formation. Cela fait plusieurs décennies qu’on en parle. Le Législateur s’y est penché du point de vue des dispositifs de formation (CIF, DIF, CPF, CPA…). Ce n’est pas le problème majeur. Encore une fois, c’est un moyen.
L’enjeu essentiel est de renforcer l’égalité face à la capacité à apprendre. La première des inégalités en formation, reste la maîtrise des capacités d’apprentissage. Dis-moi quel niveau d’apprenance tu as et je te dirai quelle chance tu as de te former. Or, ceux qui sont restés le plus longtemps sur les bancs de l’école et de l’université ont au moins appris une chose : comment apprendre !
La deuxième action est de mobiliser les managers. Il faut les amener à prendre conscience qu’un salarié bien formé est la clé de la performance de leur équipe. C’est plus de compétences, plus de motivation, une meilleure ambiance de travail, moins de RPS, etc. Mais la formation, c’est du long terme et leurs objectifs sont à court terme. Il faut les amener à dépasser cette contradiction. Le responsable de formation n’en a pas les moyens à lui seul. Il doit convaincre le top management (DG, Codir, DRH notamment) de l’impératif de repenser la performance au sein de l’entreprise. 50% de l’énergie d’un responsable de formation devrait être tourné vers le top management. Malheureusement, son quotidien est le plus souvent de gérer des questions de planification, de replanification et de convention à faire et à refaire…
Accompagner la transformation du métier de formateur
Conséquence de la digitalisation, le métier de formateur va être totalement bouleversé. Ne lui souhaitons pas ce qui s’est passé pour le journaliste ou le comédien ou encore le musicien. Mais comme eux il va être concurrencé directement par ceux qui bénéficient de ses services. Le MOOC permettra probablement de faire émerger de nouveaux talents et de nouvelles célébrités. Voir par exemple le succès de Cécile Dejoux grâce au MOOC sur le management du CNAM*. Mais ceci n’est qu’un épiphénomène.
Les formateurs classiques ne disparaîtront pas pour autant. Le métier va se réinventer. De transmetteur de connaissance, il deviendra accompagnateur vers la compétence. Il va nécessité de nouvelles compétences faisant appel à des talents encore peu utilisés en formation : médiation pédagogique, accompagnement à distance individuel, production de ressources pédagogiques digitales… Sans un accompagnement réel et sérieux, beaucoup de formateurs resteront au bord du chemin regardant passer la digitalisation comme nombre de journalistes l’ont vu passer dans les années 2000. Il est temps de penser à l’accompagnement des formateurs qui devraient être les premiers formés, et non pas comme les cordonniers, les derniers chaussés.
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