Pour démarrer l’année 2024, nous avons rencontré Emmanuel Boulay, Président de l’IPA. Très investi dans le champ de la formation à la fois à travers son organisme de formation et ses mandats divers au sein des instances paritaires, Emmanuel tire le bilan de la réforme de 2018 et nous livre quelques pistes pour l’optimiser. Cela tombe bien : 2024 sera l’année des ajustements pour la loi Avenir Professionnel.
Emmanuel Boulay, vous dirigez le groupe IFPA, organisme de formation ancré sur les territoires, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est l’IFPA ?
« Toutes vos solutions compétences » est notre promesse. Société à mission, avec nos filiales conseil et apprentissage, nous proposons des solutions en onboarding, recrutement en alternance, VAE, VAE inversée, formation socle et qualifiante, conseil en structuration de la formation, FEST, analyse du travail.
La compétence s’évalue et se développe en situation de travail, la formation est un des moyens et prérequis au développement des compétences, donc de la performance pour tout employeur.
8 à 10 000 stagiaires par an en régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes, dans une cinquantaine d’agences.
Vous êtes au cœur des politiques publiques de formation, quel bilan faites-vous de ces politiques ?
Les politiques publiques ont traité prioritairement, et plutôt correctement, les questions d’apprentissage et de formation des demandeurs d’emploi. Mais l’angle mort de la réforme de 2018 est la formation des salariés des TPE et PME.
L’accès à la formation pour les entreprises de moins de 250 salariés ne cesse de diminuer d’année en année. Ce qui est grave ! Car les évolutions technologiques sont toujours plus importantes, la concurrence est toujours plus forte. Et il ne faut pas s’étonner que les grands groupes prennent toujours plus de place dans le paysage économique français, au détriment des PME. Or la vitalité économique d’une nation dépend aussi de son tissu de TPE-PME.
Et pour ces TPE-PME, la question essentielle n’est pas tant celle de la formation, que plus globalement celle du développement des compétences. Or, dans ce domaine, on voit clairement les effets de bord de la réforme.
En investissant dans l’apprentissage et la formation des demandeurs d’emploi, mais pas dans le plan de développement des compétences des salariés, on a abouti à une baisse globale de la productivité du travail. Un apprenti ou un demandeur d’emploi en insertion ne peut pas être aussi productif qu’un salarié en poste. Parallèlement au formidable effort fait en direction des apprentis et des D.E, il aurait fallu réaliser un effort aussi important de montée en compétence des salariés en poste. Cela aurait permis, si je prends une image, « d’aspirer » et de promouvoir les salariés au sein des entreprises. Tandis que là, « on a poussé » apprentis et D.E dans l’entreprise, sans créer la valeur ajoutée à même de financer durablement la croissance des emplois des entreprises.
Les petites entreprises ont eu moins de moyens pour développer les compétences (550 M€ seulement au titre du PDC < 50 salariés en 2023, autant budgété en 2024), mais il ne faut pas oublier le CPF ?
L’enjeu, comme je l’ai dit, est le développement des compétences, c’est-à-dire concrètement la montée en compétence des salariés pour permettre une montée en gamme des produits et services des entreprises françaises. Mais pour cela il faut faire de la promotion interne, pas seulement de la formation externe.
Or, tant qu’on n’automatisera pas l’abondement CPF par l’employeur, il n’y aura pas de co-construction sur un projet partagé de développement des compétences. C’est toute la limite du CPF, alors que cela était envisagé dès le démarrage du projet EDOF. En faisant du CPF, un dispositif totalement à la main du salarié, l’entreprise n’a pas pu s’en emparer, et s’en est désinvestie Le CPF aurait dû permettre le développement de la formation sur le temps de travail. Employeurs et salariés auraient dû s’accorder, voire négocier, sur le choix de la formation d’une part et sur les conséquences de l’acquis de compétences : aménagement du poste de travail, reconversion, promotion…d’autre part.
Aujourd’hui le coût moyen d’une formation en CPF est d’environ 1.400 € TTC. Cela témoigne du fait que le CPF n’est pas un levier sérieux pour à la fois la montée en compétences des salariés et la montée en gamme des produits et services des entreprises.
Et tout se tient dans ce domaine. On se targue d’être un pays qui attire le plus grand nombre de projets d’investissements étrangers. Oui en nombre mais ce sont des projets. L’Espagne bénéficie de beaucoup moins de projets, mais chaque projet génère 6 fois plus d’emplois que les nôtres en France. Parallèlement, nos jeunes qui ne trouvent pas d’emplois de qualité et qui sont pourtant bien qualifiés, choisissent de partir à l’étranger. Chaque année, c’est 200.000 personnes, très majoritairement de niveau Bac+3 et plus, qui partent au Canada, etc. Veut-on d’une France des robots et des « petits boulots » ? Pour les robots, il faut des ingénieurs, pour les activités à forte intensité de main-d’œuvre, il faut les rémunérer correctement, donc développer compétences et innovation.
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Face à ce bilan, que l’on pourrait qualifier d’alarmant, que préconisez-vous pour faire face à ces nouveaux enjeux, du côté des salariés, de montée en compétences et du côté des entreprises, de montée en gamme ?
Il faut arrêter de ne penser que formation. Il faut prendre le problème de façon globale. Aujourd’hui, la problématique est triple. Elle se pose en termes d’orientation, de formation et d’intégration.
On sait assez bien faire sur les deux premiers axes. En tous les cas on a mis déjà beaucoup de moyens. Là où ça pêche, c’est surtout sur le troisième. L’entreprise a du mal à intégrer aujourd’hui. Et quand je dis « intégrer », cela signifie accueillir mais aussi s’adapter aux nouveaux arrivants.
Le problème nous a « pété à la figure », si vous me permettez l’expression, avec le développement de la formation des D.E et de l’alternance. On s’est focalisé sur le CFA et l’organisme de formation. On a mis en place Qualiopi et on s’est dit que tout irait bien, puisque la formation serait de qualité et que les entreprises recruteraient toutes ces personnes fraîchement formées. Mais il y a un taux d’abandon considérable. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on a oublié de regarder du côté de l’entreprise. L’entreprise est un monde parfois fermé avec des cultures fortes, souvent bien différentes de celles d’un lycéen, d’un jeune apprenti ou d’un demandeur éloigné de l’emploi depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.
Il faut aujourd’hui rapprocher ces deux mondes et ce n’est pas qu’une question de génération X, Y ou Z. Il faut aider les entreprises à s’ouvrir, à accueillir, à s’adapter à tous les profils et pas seulement à ceux qui sont des clones des salariés en poste.
Le problème ne va que s’accroître dans les mois et années à venir. Quand on voit que l’Education Nationale et l’enseignement supérieur ne cessent de développer les stages en tout genre, on peut se demander comment les entreprises feront pour les accueillir. Rien qu’en région Bourgogne Franche Comtée, il s’agit de 200 000 stages prévus dans les cycles de collège, lycées, lycées pro. Ce qui nécessite une très forte mobilisation, une organisation adaptée.
Que préconisez-vous pour améliorer l’intégration par les entreprises ?
La réponse ne passe pas cette fois-ci par de la formation classique mais davantage par la combinaison de différentes approches.
Pour qu’une entreprise devienne plus accueillante, plus apprenante et donc intègre mieux, elle doit s’interroger d’abord sur son métier et comment elle l’exerce. La question ne se pose pas seulement en termes de compétences mais aussi de qualité de travail. Et quand on parle de qualité de travail, on parle de travail réel et pas seulement de travail prescrit. Celui que font réellement les titulaires de l’emploi, pas celui qui est décrit dans les fiches de poste.
Ensuite, elle doit penser concomitamment QVCT, compétences et performances. Améliorer la Qualité de Vie et les Conditions de Travail passe inévitablement par le développement des compétences et réciproquement. Et la conséquence est toujours un accroissement de performance pour l’entreprise ! Ces dernières ne doivent plus penser de façon limitée en termes de manque de compétences et de plan de formation. Elles doivent se demander comment améliorer les conditions de vie au travail et les performances de l’entreprise, grâce à une analyse fine du travail réel. Puis elles doivent l’aménager et le plus souvent l’imaginer de façon radicalement différente, pour s’adapter en permanence aux changements de contextes économiques, technologiques, sociaux.
Enfin, l’entreprise doit réaliser ce travail d’analyse de façon collaborative. C’est en mobilisant les équipes, c’est-à-dire tous ceux et celles qui exercent aux postes de travail, qu’elle peut concrètement imaginer d’autres façons de faire et surtout les mettre rapidement en place. C’est tout l’inverse de ce qu’elles font quand elles créent une direction de la Transformation. Elles confient à quelques-uns la mission de penser différemment le travail de tous les autres, puis ces quelques-uns demandent à tous les autres de travailler comme ils l’ont imaginé. Et on s’étonne que cela ne fonctionne pas ! On passe son temps à expliquer comment faire le travail et on dépense beaucoup d’argent en « change management » et en formation. Alors qu’il suffirait de prendre le temps d’écouter les acteurs de terrain pour qu’ils trouvent par eux-mêmes d’autres façons de travailler, plus efficaces et apprennent en faisant.
Cette approche est certainement très pertinente, mais elle est très éloignée comme vous le disiez de la formation classique ?
Oui, elle est non seulement pertinente, mais elle marche ! Nous l’appliquons au sein de notre Groupe IFPA depuis une dizaine d’années maintenant. On est focus sur le développement de nos collaborateurs. On investit plus de 10% par an dans ce développement des compétences. On a réduit au minimum tous les postes supports, pour donner plus de moyens aux emplois cœurs de métier. Aujourd’hui 86% de l’effectif occupe des fonctions de formateur, hier c’était seulement 55%.
Nous ne faisons plus seulement de la formation classique, mais nous faisons beaucoup d’AFEST. Nous avons formé en 2019, via votre organisme C-Campus, une équipe pilote de formateurs et ingénieurs pédagogiques, mais également de gestionnaires de formation. Ils ont pratiqué sous différentes formules l’AFEST en interne, de façon individuelle aussi bien que collective. Et aujourd’hui, nous avons développé une culture de la formation permanente. Si je m’aventurais, je pourrais dire qu’on est engagé dans une dynamique d’apprenance, pour reprendre l’approche du professeur Philippe Carré (cf. les deux livres de Philippe Carré sur le thème : Pourquoi et comment les adultes apprennent : de la formation à l’apprenance et L’apprenance : un nouveau rapport au savoir.
Que vous a apporté la modalité AFEST dans votre projet d’entreprise ?
L’AFEST, c’est la formation juste assez, juste à temps. Elle part toujours d’une analyse du travail. Et comme je viens de le dire, c’est la clé de tout. L’AFEST ce n’est pas bâtir un programme hors sol mais c’est co-construire avec le ou les salariés experts de l’entreprise, des parcours de développement des compétences répondant aux besoins des salariés en poste, et parfaitement adaptés à leur profil et à leur contexte. Elle permet de ré-interroger les pratiques au plus près du terrain. Elle nous a amenés à revoir les postes de travail eux-mêmes et à engager les équipes dans un processus d’apprentissage permanent.
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L’IFPA partenaire de C-Campus pour le déploiement de l’AFEST. C-Campus a formé plus de 20 intervenants AFEST au sein de l’IPFA : aussi bien des ingénieurs de formation, que des formateurs professionnels, sans oublier une partie de l’équipe de gestion de la formation. Une majorité d’entre eux sont allés jusqu’à la certification de référent AFEST.
L’IFPA participe également au club des certifiés AFEST et au Club L&D de C-Campus.
Membre du réseau UNICO, IFPA propose dans ce cadre à ses clients une formation préparant à cette certification de référent AAFEST de C-Campus (RS5525 de France Compétences). Les équipes IFPA sont également à même de proposer aux entreprises intéressées par la modalité AFEST, les solutions de C-Campus autour de la professionnalisation des acteurs du tutorat et de l’AFEST : jeux de cartes « Formateur Terrain » et « Accompagnateur AFEST » ainsi que les cours digitaux correspondants. Tout pour former et outiller les tuteurs, tutrices, maîtres d’apprentissage, accompagnateurs et accompagnatrices AFEST en entreprises !