C-Campus a participé, par vidéo interposée, à la dernière matinée de l’AFREF qui a eu lieu jeudi 21 avril dernier. Voici résumé les réponses de Marc Dennery, Directeur associé de C-Campus, aux questions posées par Philippe Joffre du Cabinet Paradoxes.
Quel bilan faites-vous des pratiques d’évaluation en entreprise ?
Le bilan n’est franchement pas brillant. Les entreprises évaluent assez bien le niveau 1 de Kirkpatrick avec les fiches d’évaluation à chaud. Pour les niveaux supérieurs, cela reste encore assez embryonnaire. Concernant les organismes de formation, ils ont systématisés le niveau 1. Il leur est très difficile, compte tenu de leur champ d’intervention, d’intervenir sur le niveau 3 (“transfert pédagogique”) et 4 (“impact sur les résultats”).
A la décharge des entreprises et des organismes de formation, ils ont eu d’autres préoccupations ces deux ou trois dernières années. Entre la réforme, la digitalisation de l’offre et la réduction des budgets de formation leurs priorités se situaient ailleurs. C’est probablement une erreur, car l’évaluation pensée comme un processus est un formidable moyen d’optimiser l’efficacité de la formation.
Il faut insister sur cette approche de “processus d’évaluation”, car l’évaluation n’est pas seulement l’histoire de la mesure des acquis ou des effets en fin de formation. L’évaluation, se joue comme un valse, à quatre temps. “En amont”, pour positionner et personnaliser. “Pendant”, pour vérifier la progression. “A l’issue”, pour ancrer les apprentissages et contrôler la qualité de la prestation. Et “en aval”, pour évaluer les effets et mettre en place les boucles de rétro-action.
La réforme ré-interroge-t-elle les pratiques d’évaluation en formation ?
Oui, la réforme ré-interroge l’évaluation. Mais elle n’est pas la seule. Disons que la réforme ouvre le champ des possibles avec la reconnaissance des formations digitales, et bientôt des formations en situation de travail. Avec également, la fin de l’obligation fiscale. On sort du sacro-saint modèle unique du stage. On passe à une formation “Digitalisée”, “Rapprochée” (au plus près de la situation de travail et du besoin de l’apprenant) et “certifiée”. Alors, oui, l’évaluation doit être ré-interrogée.
Par exemple : pendant des années, on s’est posée la question de l’évaluation de l’action de formation. Mais cela n’a de sens que lorsque la formation se traduit par une action formelle. Comment fait-on quand la formation se dissout dans le travail ? Cela n’a plus autant d’intérêt. L’enjeu de l’évaluation se déplace. Ce qui devient la clé d’un système d’évaluation efficace, c’est la mesure de la compétence opérationnelle.
Mesurer les compétences opérationnelles et non plus seulement la formation, nous amène à décentrer la problématique de l’évaluation. La question essentielle n’est plus : “ma formation est-elle efficace ?”. Elle devient : “avons-nous les compétences opérationnelles qui nous sont nécessaires pour notre activité ?” La question du coût de la non formation apparaît alors aussi stratégique que celle du coût de la formation. On peut mesurer par des outils de gestion des talents, l’évolution du capital compétence des équipes.
La question de chaque formation prise séparément n’apparaît plus aussi pertinente. On va se pencher alors sur la qualité des dispositifs et systèmes de développement des compétences mis en place. On s’interrogera ainsi sur la qualité de l’approche tutorale, de formation interne, d’implication du management dans l’organisation des apprentissages en situation de travail, le management des projets de formation… Bref, on passe de l’évaluation de la prestation à l’évaluation du système qui la produit.
Concrètement, comment les techniques et outils d’évaluation évoluent avec le développement de la formation multimodale certifiante ?
Quand on bâtit le dispositif d’évaluation d’un parcours multimodal, le processus en 4 temps d’évaluation dont on a parlé plus haut devient primordial.
Dans un parcours multimodal, l’enjeu de l’évaluation amont est bien plus important que pour un stage. Le positionnement permet d’évaluer de façon prédictive le succès à la certification finale. Il permet également de personnaliser le parcours et de “flécher” vers les ressources et activités pédagogiques les plus pertinentes au regard du profil de l’apprenant (connaissance, compétence, apprenance).
L’évaluation “pendant” fait appel également à de nouvelles modalités. Dans une formation présentielle, elle est mise en oeuvre par le formateur qui peut, à travers l’utilisation de techniques pédagogiques actives, contrôler la progression de ses apprenants. Dans un parcours multimodal, cette évaluation est le plus souvent conduite par un référent, un tuteur ou le manager lui-même qui ont la charge d’accompagner l’apprentissage. Ce sont de nouveaux acteurs à former et à accompagner pour le responsable du parcours de formation multimodal.
L’évaluation de la qualité “à l’issue” ne peut plus utiliser la sempiternelle fiche d’évaluation à chaud. D’autres techniques sont à mettre en oeuvre pour évaluer la qualité des modules e-learning, le dynamisme d’une communauté d’apprentissage ou la pertinence d’activités d’apprentissages en situation de travail. Il faut inventer pour cela de nouveaux outils.
Enfin, l’évaluation “aval” évolue grandement. Car, aujourd’hui, un parcours multimodal est souvent associé à une certification. Cela conduit à renverser le sens de l’évaluation. Ce n’est plus le formateur qui est évalué, mais l’apprenant lui-même. Pour ce dernier, le fait même de s’engager dans un processus de certification, renforce sa motivation. C’est un vrai “plus” pédagogique. On passe d’un stagiaire-spectateur : ” Dites-moi ce que vous avez à m’apprendre et je vous dirai à la fin si c’était bien”, à l’apprenant-acteur de sa formation : “J’apprends et vous me direz à la fin si je sais faire”.