La loi du 5 septembre 2018 a supprimé le plan de formation au profit du plan de développement des compétences. Elle a ainsi élargi l’objet du plan (le développement des compétences est plus large que la formation), mais elle n’a pas changé sa logique. Il y a toujours un plan à monter.
C’est cette logique de plan qui nous interroge. Et pour le dire franchement, nous pensons qu’aujourd’hui le plan de formation ou de développement des compétences n’a plus beaucoup de sens. Planifier des actions en fin d’année et les mettre en œuvre tout au long de l’année, est-ce encore utile à l’ère du Digital Learning et de l’AFEST ? Voici pour résumer trois raisons qui nous conduisent à penser qu’il vaudrait mieux en finir avec ces histoires de plan.
L’argument légal ne tient pas !
Les défenseurs du plan nous opposent que la loi du 5 septembre 2018 les obligent à présenter annuellement un plan de développement des compétences. Les instances représentatives du personnel doivent donner leur avis, puis l’entreprise doit l’année suivante en présenter le bilan. C’est absolument vrai. Mais ce que ne dit pas la loi, c’est la forme que doit prendre ce plan. Il n’est pas dit qu’il s’agit de présenter des actions de formation précises pour des personnes déjà inscrites ou en cours d’inscription. La notion de plan peut être pensée de façon plus souple. Rien n’empêche l’entreprise de présenter des axes prioritaires relativement précis et des budgets associés sans pour autant tomber dans la présentation de tableaux excel où chaque ligne est un départ en formation d’une personne identifiée.
Quand on analyse les plans de formation des entreprises (notamment des grandes), les plans changent en permanence même si les grandes lignes restent les mêmes. Pré-inscription de Novembre, n’est jamais inscription définitive du printemps. Alors à quoi cela sert-il de faire un plan si on ne le respecte pas !
Le plan stimule la demande individuelle dans une logique de consommation
Il y a plus de 25 ans, j’ai pris un poste de responsable de formation chez Philips. C’était la grande époque des centres de formation en résidentiel et cette société alors florissante avait un centre magnifique à Gaillon dans l’Eure. Arrivé en septembre dans l’usine, j’avais planifié pour octobre une rencontre avec chaque manager pour les aider à élaborer leur plan de formation pour l’année suivante. Ma première rencontre a vite calmé mon enthousiasme de jeune responsable de formation. Pas plus tôt assis, que le vieux manager qui connaissait la musique, me dit « Bon, alors une Gaillonnade pour chacun de mes collaborateurs ! ça ne change pas avec vous, c’est comme avec votre prédécesseur, un stage à Gaillon par an et par personne ? »
Tous les managers ne sont pas aussi caricaturaux, mais il faut bien reconnaître que ça les embête plus qu’autre chose que de monter ces plans. Les plus laxistes, faisaient tourner des fiches individuelles de demandes de formation. Aujourd’hui, les workflow SIRH ont automatisé le système, mais c’est la même logique. Il n’y a ni garde-fous à la surconsommation, ni dialogue pertinent autour du projet de formation. D’ailleurs, il faut peut-être en convenir : assez peu de salariés ont un vrai projet de formation personnel. Participer à un stage, pourquoi pas, mais s’engager dans une formation exigeante qui permettra de progresser, cela reste exceptionnel. Disons 5 à 10% selon les entreprises. Alors pourquoi embêter les 90 à 95% autres avec ce montage annuel du plan de formation. Cela pousse à la consommation et confine au gaspillage.
Les entreprises vont probablement stopper assez rapidement ce modèle de gestion. Si, comme le dit Laurent Durain, le directeur de la formation de la Caisse des Dépôts, « L’Appli CPF est comme un supermarché numérique », elles vont vite changer leur fusil d’épaule et renvoyer à l’appli CPF ces bonnes veilles demandes individuelles de formation. La monétisation du CPF pourrait avoir indirectement des effets finalement relativement positifs.
Le plan fait entrer le responsable formation dans une logique budgétaire plutôt que financière
Faire un plan, c’est gérer un budget. On recueille les demandes en septembre, on budgète et on arbitre en novembre et on présente aux IRP en décembre. Tout cela est bien rodé. Mais en réalité pas tant que ça, car en janvier/février on prend du retard, les demandes sont à revalider et au final la planification des sessions est plutôt pour mars/avril, mais en mai il y a les ponts de mai, en juillet les vacances des juillettistes, en août celles des aoûtiens et en septembre, la rentrée des petits ! Bref, on réalise le plan sur 3 mois, du 15 septembre au 15 décembre. Surtout on laisse poireauter parfois plus d’un an un salarié qui a fait une demande de formation en septembre de l’année précédente. Cela pose un évident problème de synchronisation de la réponse avec la demande.
Et ce n’est pas tout ! Les services de formation au fil du temps se sont enfermés dans cette logique gestionnaire. Ils sont devenus des « costs killers », des optimisateurs de process. Le coût horaire des formations, le nombre d’heures de formation par personne, le taux d’accès à la formation (une formation au minimum tous les 6 ans dit la loi) sont devenus les seuls KPI des équipes formation. Un responsable de formation, n’est plus un formateur ou un facilitateur, mais un gestionnaire qui tient bien son budget. La qualité du travail d’un RF se mesure à sa capacité à faire rentrer les co-financements.
Mais à quoi cela sert-il si les formations ne servent à rien ou à pas grand-chose ? Si elles arrivent trop tard ou trop tôt ? Si elles sont réalisées pour des personnes qui n’ont pas de réels projets de formation ?
Plutôt que de travailler à l’accompagnement des managers pour les aider à mettre en place des organisations réellement apprenantes, les services formation sont « cornérisés » dans la gestion des budgets de formation. Là, où ils devraient penser R.O.I de la formation, ils sont focalisés sur le montant des dépenses. Là, il faudrait qu’ils regardent la lune (l’efficience de l’investissement en développement des compétences), ils restent hypnotisés sur le doigt qui montre la lune (le budget du plan de formation) !
Mais gardons espoir, tout ceci pourrait changer avec la fin des co-financements sur le plan et la période de professionnalisation. La chasse aux subventions pourrait ne devenir plus qu’un vieux souvenir. A cela va s’ajouter, les nouvelles formes de formation. L’AFEST ne se budgète pas puisqu’elle peut être réalisée en interne si elle n’est pas co-financée. Le Digital Learning n’est pas non plus dans une approche budgétaire classique. On est davantage dans une logique d’investissement. Ce qui coûte, c’est de produire les ressources, et non plus de les diffuser.
A un moment donné, les entreprises vont devoir sérieusement s’interroger. Si les demandes de formation individuelles sont gérées sur l’appli CPF, si les demandes de perfectionnement à l’initiative du manager sont mises en œuvre via de l’AFEST ou du Digital Learning, si les formations obligatoires sont pilotées à date anniversaire et si les grands programmes ne sont plus co-financés que restera-t-il à planifier ? Peut-être les services formation pourront enfin jouer leur rôle de Learning Partner et s’intéresser à l’essentiel : accompagner managers et collaborateurs dans le développement des compétences au quotidien.