La France a voté ! Et les candidats en lice pour le second tour nous prédisent une nouvelle grande réforme de la formation. Irons-nous vers la fin de la collecte par les OPCA ? Vers le transfert des fonds de la formation des salariés vers les demandeurs d’emploi ? Vers la fusion des dispositifs CIF/CPF ? Ou encore vers un contrat unique apprentissage / professionnalisation ?
Dans deux ou trois ans, au moment du vote de la prochaine loi, toutes ces interrogations seront oubliées. Et on nous resservira une énième loi complexe, technique où les changements n’interviennent que par petites touches.
On reprendra alors la notion de forfait parcours que la loi El Khomri a institué cet été en catimini et qu’un décret, publié le 24 mars dernier, vient de rendre effectif pour les actions de professionnalisation (contrats et période). On creusera probablement ce sillon qui pourrait avoir des conséquences lourdes, comme en avait eu en son temps la création du FPSPP*.
Qu’est-ce que le forfait parcours ?
L’idée du forfait parcours est double. D’une part, l’action de formation ne se résume plus à un stage de formation présentielle, mais comprend 4 types de temps pédagogiques complémentaires : le “positionnement pédagogique”, la formation en elle-même qui peut recouvrir des formes variées présentielles, distancielles ou expériencielles, en présence ou pas d’un encadrement pédagogique synchrone, l’accompagnement de l’apprenant dans son apprentissage et l’évaluation des acquis. D’autre part, le temps n’est plus la mesure étalon de la prise en charge des formations. Les financeurs (OPCA et Pôle emploi) pourront rembourser non plus sur la base de forfaits horaires, mais de forfait au parcours effectivement réalisé.
Cette dernière idée peut être qualifiée de révolutionnaire pour le monde de la formation. Depuis, la loi de 1971, toute l’ingénierie financière était fondée sur le remboursement d’heures de formation. Rembourser au “forfait parcours”, c’est reconnaître que le temps d’apprentissage ne peut plus se mesurer. Les pédagogues n’en seront pas surpris. Ils savent bien depuis l’émergence du Digital learning et du retour de la formation en situation de travail que le temps d’apprentissage n’a plus vraiment de sens. Comment peut-on mesurer le temps passé sur un MOOC, un réseau social apprenant, un e-learning ou la réalisation de missions apprenantes ou de réunions de groupes de progrès ?
Mais pour les gestionnaires de formation, c’est un changement de paradigme profond. Comment pourront-ils mesurer la réalisation concrète de la formation ? Comment pourront-ils justifier du prix, c’est-à-dire de la valeur d’une formation ? La question de la traçabilité va rapidement se poser. Et le législateur nous propose quelques pistes puisque dans le même décret, il rénove en profondeur la notion de preuves de réalisation effective de la formation.
Quelles nouvelles exigences de traçabilité ?
Pour le dire rapidement : on passe d’une attestation de présence à une attestation d’assiduité. Jusqu’à présent la feuille d’émargement matin et après-midi d’une session de formation était la référence pour justifier de la réalisation d’une formation. Des exceptions étaient faites pour la formation ouverte et à distance, notamment depuis le décret FOAD du 20 août 2014. Avec le décret du 24 mars, il reviendra à l’organisme de formation d’attester de l’assiduité de la formation et de conserver par devers lui les documents qui lui permettront, en cas de contrôle, de faire la preuve que l’apprenant était bien assidu. Le décret précise à cet effet les éléments à prendre en compte, à savoir :
« 1-Les états de présence émargés par le stagiaire ou tous documents et données établissant sa participation effective à la formation ;
« 2-Les documents ou données relatifs à l’accompagnement et à l’assistance du bénéficiaire par le dispensateur de la formation ;
« 3-Les comptes rendus de positionnement et les évaluations organisées par le dispensateur de la formation qui jalonnent ou terminent la formation ;
« 4-Pour les séquences de formation ouvertes ou à distance, les justificatifs permettant d’attester de la réalisation des travaux exigés en application des dispositions du 1° de l’article L. 6353-1. »
Quelles conséquences pratiques pour les professionnels de la formation en entreprise ?
Tout va dépendre à court terme de l’attitude des OPCA concernant les nouvelles exigences de traçabillité. Ces derniers au fil de l’empilage de textes législatifs et réglementaires se voient confier de plus en plus une mission de contrôle qu’ils souhaiteraient bien éviter. Le décret du 24 mars 2017 va une nouvelle fois dans ce sens en proposant une double modification du code du travail :
Article R. 6332-25 : « Les organismes collecteurs paritaires agréés peuvent demander aux employeurs ou aux prestataires de formation qu’ils leur adressent une copie des documents ou des éléments mentionnés à l’article D. 6353-4 à partir desquels est établie l’attestation d’assiduité du stagiaire »
Art. R. 6332-26. : « Les documents ou éléments mentionnés à l’article R. 6332-25 font partie des pièces justificatives que les organismes collecteurs paritaires agréés sont tenus de communiquer aux agents chargés du contrôle prévu aux articles L. 6362-5 à L. 6362-7. »
A lire ces deux modifications réglementaires, il apparaît évident que les contrôleurs demanderont aux OPCA les pièces justificatives que ces derniers demanderont eux-mêmes aux entreprises et aux organismes de formation. Les OPCA auront donc le choix entre les demander en cas de contrôle par l’Etat ou les demander systématiquement pour être sûr de les avoir. Si les OPCA optent pour la première solution, ce décret sera une avancée et une réelle simplification. Il sera donc conforme aux objectifs qui ont présidé à son élaboration puisqu’il fait partie d’un ensemble de décrets issus du choc de simplification. Mais, si les OPCA, par souci de prudence, optent pour la deuxième, on tombera une nouvelle fois dans une bureaucratie gaspilleuse de papier. Imaginez l’entreprise ou l’organisme de formation adressant avec l’attestation d’assiduité l’ensemble des travaux réalisés pour une formation digitale et les comptes rendus de positionnement et d’accompagnement (les mails des participants, les justificatifs d’entretien en face à face). C’est 3 ramettes de papier assuré par session de formation !!!
De l’obligation de moyen à l’obligation de résultat ?
Faisons le pari que les OPCA resteront raisonnables et demanderont les justificatifs qu’en cas de contrôle d’un organisme ou d’une entreprise. Il n’en reste pas moins que concernant le “forfait parcours” une traçabilité renforcée ne sera peut-être pas suffisante pour convaincre les OPCA de s’y lancer (rien ne les oblige à adopter dans leurs règles de gestion ce type de prise en charge). Et pour le dire simplement, nous pensons qu’à court terme les OPCA ne pousseront pas à la mise en oeuvre du forfait parcours.
Il en sera tout autrement à moyen terme. Quand les OPCA en auront fini avec le déploiement du datadock et qu’ils vont prendre conscience de l’univers bureaucratique Kafkaien dans lequel vient de les plonger le législateur avec à la fois les nouvelles exigences de traçabilité et le renforcement de leurs missions de contrôle et de régulation du marché de la formation, ils trouveront peut-être que le forfait parcours peut leur simplifier la vie. Car des prises en charge fixes au forfait sans référence horaires associées à une traçabilité se réduisant l’obtention ou pas de la certification, permettront de résoudre deux problèmes : 1) leurs capacités de remboursement (les fonds du CPF et de la Professionnalisation vont rapidement être asséchés par la demande en formation), 2) leurs capacités de gestion (les frais de gestion se réduisant, ils ne pourront plus mettre en oeuvre le remboursement à l’heure d’autant plus que les justificatifs à contrôler seront de plus en plus nombreux avec le digital et les dispositions du décret du 24 mars).
Conséquence, on se dirige lentement mais sûrement vers le passage d’une obligation de moyen à une obligation de résultat. Hier les OPCA prenaient en charge des formations sur la base du temps passé, demain ils rembourseront à condition que l’apprenant ait obtenu sa certification. Ce sera beaucoup plus simple et plus en lien à première vue avec les objectifs qui sont les leurs : développer l’employabilité des salariés dont ils assurent le financement de la formation.
Mais attention ! ceci ne sera pas sans effet pervers, car certains organismes de formation pourraient être prêts à tomber dans un certain laxisme pour être payé. Après le bac et la licence, c’est peut-être l’ensemble des certifications qui pourront atteindre des taux de réussite dignes de “l’Ecole des fans” de Jacques Martin ! On supprimera peut-être ainsi, comme d’aucuns le rêve, toute évaluation réelle en formation, mais il en restera toujours une dans le monde du travail : celle du recruteur en entreprise !