Le blog de C-Campus

Formateur ou… manipulateur ?

Former peut parfois se transformer en piège subtil. Sans même nous en rendre compte, en formant nous pouvons tomber dans une forme de manipulation involontaire de nos stagiaires et aller à l’encontre d’une pédagogie efficace où le formateur développe une posture de facilitation,  guide ses apprenants vers la connaissance, en veillant aussi à ce qu’ils développent une réflexion critique (c’est encore plus vrai à l’ère des IA) et s’ouvre aux points de vue et pratiques des autres.

Comment éviter de tomber dans le piège de la manipulation ? Voyons les 6 principaux pièges à éviter et les deux réflexes salutaires et quatre bonnes pratiques, pour les éviter.

Dans cet article, nous ne traitons pas des manipulations malveillantes ni à visées sectaires. Nous réfléchissons aux biais cognitifs. Ces biais qui affectent de manière souvent inconsciente, à la fois le formateur et les participants. Nous irons aussi explorer les meilleures pratiques, celles qui favorisent chez nos apprenants un apprentissage autonome et réflexif.

Comprendre nos 6 biais cognitifs fréquents en formation

Les biais cognitifs, ce sont nos erreurs de jugement influençant la manière dont nous percevons et interprétons la réalité. En formation professionnelle, ces biais nous font parfois dévier d’une des finalités de la formation d’adultes : encourager une réflexion autonome et une capacité d’analyse critique chez nos apprenants.

Ces biais peuvent aussi nous amener en tant que formateurs, à imposer nos idées, nos méthodes, nos solutions, sans permettre à nos apprenants de les “critiquer” de manière constructive ou d’explorer d’autres possibilités. Nos biais sont la plupart du temps inconscients. Le hic est qu’ils créent des déformations de la réalité, qui peuvent souvent échapper à la vigilance de nombreux apprenants…et à la nôtre, les formateurs.

Qu’est-ce que la réalité, d’ailleurs ? Pour l’inventeur de la phénoménologie, Edmund Husserl, la réalité n’est pas simplement ce qui existe indépendamment de nous. La réalité se comprend à partir de l’expérience consciente que nous en avons. Si l’on posait la question à des spécialistes de la physique à l’échelle quantique, ils nous répondraient eux, que “la réalité est à la fois étrange, indéterminée et interconnectée“… 

Les biais des formateurs… et des apprenants eux-mêmes

Même si notre objectif est d’accompagner nos apprenants dans un parcours personnalisé, notre autorité de formateur, notre subjectivité, nos croyances affirmées, influencent notre formation. Chez C-Campus, nos apprenants, par exemple engagés en parcours de “formation de formateurs”, pourraient nous accorder une trop grande confiance : parce que nous sommes “seniors” et que nous avons longtemps exercé le rôle de formateurs en entreprise, alors qu’eux, “ils sont “juniors”. Cela pourrait limiter leur esprit critique.

Voici quelques biais cognitifs courants, parmi les dizaines repérés par des psychologues comme D.Kahneman et qui peuvent affecter les formateurs :

  • Biais de confirmation

Nous pouvons, sans nous en rendre compte, chercher à conforter nos propres croyances et opinions en mettant en avant en formation, des exemples qui vont dans le sens de nos convictions professionnelles. Par exemple, un formateur commercial racontant uniquement ses réussites avec la méthode du “SONCAS” mais qui ne parle pas de ses échecs ou des cas où cette méthode n’amène rien du tout à l’apprenti vendeur…

  • Effet de halo

La première impression d’un individu peut influencer l’ensemble de son jugement. Un formateur charismatique pourrait induire une confiance excessive chez ses apprenants. Notre “halo” peut les amener à accepter tout ce qu’on “professe”. Mais le jour où sur le terrain, l’astuce magique ne fonctionne pas, la désillusion est grande…

  • Biais d’ancrage

Les premiers contenus donnés en formation marquent souvent les esprits. Or si nous commençons une session en insistant trop sur une méthode, cela risque d’enfermer nos apprenants dans une vision étroite de notre sujet…

  • Biais de groupe

En groupe, la pression sociale joue un rôle. Certains apprenants, par besoin d’appartenance, peuvent adopter un comportement moutonnier. Ils nous laissent (ou laissent les autres participants) imposer des idées. Ce phénomène classique mène à une uniformisation de la pensée en formation, et parfois tire vers le bas… Le “consensus mou” étouffe les différences et nuances de points de vue, souvent nécessaires à la réflexion ou au passage à l’action réfléchie de nos apprenants. Dans les domaines de formation “transverses” par exemple, aucune recette ne marche à tous les coups !

  • Dissonance cognitive

En tant que formateurs nous pouvons avoir un problème à accepter une information réelle nous contredisant. Par exemple, nous partageons des “trucs” qui ont fonctionné dans une autre réalité que celle de nos stagiaires et ils n’y adhèrent pas en amenant leurs cas factuels. Or notre devoir de formateur consiste à gérer nos dissonances cognitives… et à résister à nous-mêmes.

  • Les outils et contenus digitaux de mauvaise qualité

Des IA  peuvent par exemple influencer de manière manipulatrice. Des contenus digitaux peuvent accentuer certains biais. Par exemple, le classique biais de confirmation : en poussant toujours le même type de contenus, car l’algorithme est conçu pour ça ou tout simplement parce que ses concepteurs eux-mêmes n’ont pas lutté contre leurs propres biais

Pointons deux exemples de dérives possibles…

Outre les biais qui peuvent nous affecter, prenons du recul sur deux effets négatifs que nous pouvons induire face à un groupe en formation :

  • L’argument d’autorité du formateur.

Prenons le cas d’un formateur en ” gestion de projet” qui privilégie systématiquement la méthode scrum. Il la défend avec conviction, en employant des cas concrets, sans ouvrir sa formation à d’autres approches du management de projet. Cette posture ressemble à “l’argument d’autorité” de certains “experts” de plateaux TV. Elle limite la capacité des participants à explorer d’autres approches, qui leur seraient utiles pour réussir la gestion de leurs projets. Le formateur n’est plus un “facilitateur” mais un “influenceur”. Manquerait plus qu’il devienne “instagrammeur” !

  • La fausse dynamique de groupe

Certains apprenants ont une forte personnalité. Les autres se rangent derrière leur opinion, sans la remettre en question. Si le formateur, par facilité (ne pas s’opposer au “leader“, vouloir obtenir de “bonnes évaluations à chaud”) tombe dans le piège, il risque de laisser s’installer une “dynamique de groupe biaisée”, nuisant ainsi à la réflexivité individuelle des participants.

Quand tout le monde pense la même chose, personne ne pense !

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Une posture humble en toutes circonstances ?

Le formateur-facilitateur est, comme nous l’avons dit en introduction, un guide, un accompagnateurpas un détenteur du savoir absolu et universel ! Faisons un double travail sur nous-mêmes : 

Primo : Reconnaissons nos propres limites !

Le premier travail d’un formateur est de reconnaître ses propres limites. Notre savoirdéjà, est subjectif. Nous ne détenons hélas qu’une parcelle d’un savoir. Savoir qui évolue, d’ailleurs. Accompagnons plutôt nos apprenants dans la construction de leur propre savoir et dans leur capacité à le mettre à jour. Il est quelque part illusoire de les “former” (pire : les “formater” et “déformer”) car chaque personne vit un parcours d’apprentissage singulier et non linéaire ! En conservant une dose d’humilité, nous allons éviter certaines formes de manipulation inconsciente de nos stagiaires et les amener à apprendre par eux-mêmes et d’eux-mêmes.

Secundo : L’importance de notre propre réflexivité de formateurs-formatrices !

La réflexivité, on vous en parle souvent chez C-Campus. Par exemple dans nos dossiers sur l’AFEST et la réflexivité  ! Le formateur doit faire preuve lui-même de réflexivité : évaluons nos pratiques, prenons du recul sur nos choix pédagogiques et contenus et soyons prêt à les ajuster. Cette posture critique de soi et sur soi fait quelque part partie de notre déontologie de formateur ! Elle nous est d’ailleurs demandée, à nous organismes de formation, par QUALIOPI. Nourrissons-nous de l’expérience de nos apprenants mais aussi des échanges avec nos pairs-formateurs !

Quatre bonnes pratiques !

1. Stimuler la pensée critique et l’esprit de doute

Incitons nos apprenants à questionner nos apports et savoirs. Permettons-leur d’arriver à leurs propres conclusions. Invitons- les à formuler leurs propres hypothèses, à confronter leurs points de vue entre eux et surtout à se projeter dans l’application en situation de travail, des savoirs acquis. Nos participants doivent comprendre qu’il faut rester critique (constructivement toujours) face à notre “vérité” de formateur, valable uniquement de notre position (d’où parlons-nous ?) et  à un instant T. C’est déterminant pour faciliter le transfert

Avec le questionnement R.I.E.C.® que nous proposons par exemple aux référents et accompagnateurs AFEST chez C-Campus, c’est bien plus facile de faire réfléchir ses apprenants ! Contactez-nous pour en parler : formation@c-campus.fr

2. L’importance de faire-faire des erreurs

L’erreur n’est pas un échec, mais une opportunité d’apprentissage. En AFEST ou en tutorat par exemple, l’accompagnateur doit encourager l’erreur (tolérable et sans risques) : l’apprenant doit pouvoir tester, échouer, puis réfléchir sur ses erreurs et “échecs”, pour progresser. C’est ainsi que se construit une démarche d’apprentissage profond et durable !

3. Favoriser la pluralité des idées

N’imposons pas un modèle et nos idées. Même dans les sciences “dures”, le consensus est la négation même de la démarche scientifique, faite notamment de controverses, de doutes et de sauts conceptuels . Nos formations doivent demeurer un espace privilégié de diversité  d’idées. En suscitant un climat d’apprentissage fondé sur le respect d’autrui et le conflit socio-cognitif, nous facilitons l’apprentissage. Quand j’ai démarré mes animations (au millénaire dernier…) un collègue formateur “vieux de la vieille” m’avait donné le conseil suivant : “N’aie pas peur de laisser de la place à tes apprenants pendant tes formations !”

4.Les pédagogies réflexives

On vous en parle souvent dans notre blog : utiliser des modalités pédagogiques réflexives, encourageant la participation et l’engagement des apprenants : AFEST collectives , co-développement, apprentissage entre pairs, etc.

Former des adultes conscients et autonomes

Pour que nos apprenants deviennent  autonomes, c’est à dire capables de se remettre en question et d’améliorer ce qu’on leur a transmis, voici d’autres bonnes pratiques :

  1. Leur permettre aussi de chercher des informations et expériences en dehors du cadre formel de notre formation.
  2. Retour constructif sur leurs erreurs : plutôt que de les passer sous silence, utilisons les erreurs de nos apprenants pendant la formation (par ex. un jeu de rôles raté) comme levier d’apprentissage.
  3. Évaluation continue :  l’évaluation formative utilisée régulièrement, incite nos participants à progresser. On ne compte pas uniquement sur les évaluations finales, de type sommative…
  4. Créer un environnement formatif favorisant la contestation : chaque apprenant doit se sentir libre  de nous contester, sans se prendre un “retour de flamme”  ! Cela fait partie des règles de fonctionnement à expliquer au début de la formation- “critiquez-moi constructivement !”

“Soignons-nous” pour progresser !

Au fond, si nous voulons vraiment devenir des formateurs-facilitateurs, considérons que nos savoirs évoluent tout le temps et que nous n’avons (hélas) qu’un cerveau et 24 heures dans nos journées. 

Nous pouvons adopter 3 postures pour ne pas devenir des “manipulateurs, à l’insu de notre plein gré”, comme dirait un cycliste célèbre :

  1. Stimulateur de réflexion,
  2. Développeur de curiosité,
  3. Accompagnateur vers l’autonomie.

Ne cherchons pas à “contrôler” l’apprentissage ! Devenons des “artisans de la construction d’une pensée et action critique et autonome” chez nos participants  !

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Références bibliographiques : 

Jean Piaget (1977). La psychologie de l’intelligence.

John Dewey (1938). La théorie de l’enquête.

Albert Bandura  (1977). La théorie de l’apprentissage social.

Daniel Kahneman  & Amos Tversky (1979). Intuitive prediction, biases and corrective procedures.

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