L’identité professionnelle, c’est-à-dire la représentation que se font les professionnels de leur métier est au fondement de “l’agir en professionnel” ou si l’on préfère de “la compétence en actes”. Au-delà des savoirs et savoir-faire techniques, la représentation de mon métier, ce que je pense devoir être au travail et comment je valorise mes actes professionnels, est autant déterminante dans ma performance quotidienne que mes capacités à faire (connaissances acquises, techniques maîtrisées, outils et environnement de travail à disposition, etc). La performance est le produit non seulement des compétences personnelles et de l’environnement professionnel mais également des valeurs et croyances autour de son métier, c’est-à-dire donc son identité professionnelle ou si l’on préfère son éthique professionnelle.
Le formateur descend au parterre, voire est renvoyé au backstage !
Partant de ce postulat posé par de nombreux sociologues (Erwin Goffman, Philippe d’Iribarne, Renaud Sainsaulieu,…), et en interviewant et rencontrant à travers nos formations et conférences de nombreux formateurs professionnels, nous faisons l’hypothèse que l’introduction du Digital Learning dans le monde des professionnels de la formation n’est pas tant une question de compétences ou de mise à jour des savoirs et savoir-faire (savoir utiliser un outil de Rapid E-Learning, savoir enregistrer et monter une vidéo, savoir animer une classe virtuelle ou un réseau social apprenant…) qu’une transformation profonde de l’identité professionnelle des formateurs.
Le Digital Learning heurte de plein fouet les représentations que les formateurs professionnels se font de leur métier. Jusqu’à présent, pour le plus grand nombre d’entre eux, former, c’est parler devant un groupe. Michel Serres disait dans “Petite poucette” : “l’enseignant oralise l’écrit”. Dans la dramaturgie classique de la formation, le formateur est au centre, il détient le savoir et l’autorité issue du savoir. Il met des notes (dans le cas de formation en CFA ou école professionnelle). Il dirige la parole et l’action de ses apprenants (apprentis ou stagiaires).
Avec l’introduction du Digital learning et toutes les pédagogies actives et co-actives qu’il permet, la représentation du métier de formateur change. De “sur la scène” (cela fait longtemps qu’il a perdu l’estrade, encore qu’il faudrait peut-être y regarder de plus près pour s’en assurer !), il descend au parterre. Il accompagne, aide, répond aux sollicitations… Les apprenants deviennent co-auteurs de leur parcours, leur autonomie nouvelle fragilise l’illusion d’autorité du formateur.
Parfois, l’impact du Digital Learning est encore plus profond. Quand on demande au formateur de “se digitaliser lui-même”, comme dans la création de MOOC, ce n’est plus au parterre qu’il doit jouer sa partition mais au backstage ! Le formateur perd le contact avec son groupe, le digital learning est vécu comme un filtre. C’est tout un vécu relationnel qui est à rebâtir.
Travailler sur l’identité professionnelle et non pas seulement sur les compétences
Le propos peut sembler caricatural. Dans la réalité, les formateurs qui sont passés au digital learning n’ont pas perdu le contact avec leurs apprenants, mais l’ont ré-inventé (relation davantage duale que groupale, accompagnement dans la durée et non plus dans l’éphémère d’un groupe, médiation pédagogique plutôt que transmission des connaissances…). Chez C-Campus, nous y sommes passés depuis longtemps et nous sommes convaincus que c’est une autre identité professionnelle que nous nous sommes créés. Et nous n’avons pas perdu au change, loin de là !
Dans la transformation d’un métier, nous ne sommes pas dans le domaine de la raison, mais dans la passion et l’émotion. Aujourd’hui, dire à des formateurs “Digitalisez-vous !”, c’est ouvrir la porte aux craintes de remise en cause des fondements de son métier. Le nier, c’est passer à côté de l’essentiel.
Empiler les sessions de formation à l’utilisation d’outils digitaux n’a pas de sens, si le terrain n’a pas été préparé. Il est impératif de passer par un processus de transformation en profondeur du métier de formateur avant d’équiper et de former les formateurs au digital learning. Il faut prendre le temps de ré-inventer avec eux une autre vision de leur métier, d’autres postures et attitudes. C’est pourquoi, quand nous accompagnons des CFA et centres de formation à la digitalisation des formations, nous préférons axer la stratégie autour de la rénovation du modèle pédagogique, d’un nouveau rapport formateur – apprenant, plutôt que de nous limiter à la seule introduction du digital learning. C’est à la fois beaucoup plus juste d’un point de vue évolution des pratiques (le digital learning n’est qu’un moyen au service d’une finalité : la personnalisation) et beaucoup plus compréhensible par les principaux intéressés eux-mêmes. C’est ainsi que nos interventions nous conduisent à bâtir une “signature pédagogique” avant toute introduction ou accélération dans le domaine du digital learning.
Pour aller plus loin, lire :
“Et si vous mettiez en place une signature pédagogique ?” – cliquez ici.
“Digitalisation de l’offre de formation : du digital à l’humain” – cliquez ici.