Depuis la loi Delors de 1971, le marché de la formation en entreprise s’est développé autour de deux axes majeurs : un marché de masse détenu par les « gros offreurs », mais où vivait aussi paradoxalement une multitude de petits organismes de formation, et un marché de niche investit par des cabinets spécialisés sur des expertises pointues. Si ce second marché semble résister, le premier semble en grande difficulté à la suite de la réforme de 2018. Le modèle économique de la « stagification » est définitivement mort et enterré. Reste à savoir comment les opérateurs du marché historique vont pouvoir se reconvertir ? Nous entrevoyons une porte étroite de sortie… vers le marché de niche !
Le marché de masse de la formation attaqué de tous côtés
Quand tout va mal, le réflexe est de chercher les fautifs ! Les opérateurs du marché de masse, les ont trouvés rapidement : les pouvoirs publics. C’est vrai qu’en bientôt 5 réformes, 1 en moyenne tous les 5 ans (2004, 2009, 2014, 2018 et 2023), les gouvernements successifs ont passablement désorienté le marché : fin de l’obligation légale, fin de la période de professionnalisation, transformation du DIF en CPF certifiant… la liste est trop longue pour la rappeler ici. Mais, tous ces changements, s’ils sont très importants, sont aussi un peu l’arbre qui cache la forêt.
Le stage : de la mort annoncée à l’enterrement définitif !
Les vrais changements sont ailleurs. Et d’abord dans les nouveaux besoins de formation. Historiquement, les organismes de formation ont répondu à un besoin de formation qui n’existe quasiment plus aujourd’hui.
Une population née dans les années 1950/1960, plutôt bien formées avait besoin dans les années 1980 – 2010 de perfectionnement pour faire face aux transformations technologiques et économiques. Développement de l’informatique, puis du digital, internationalisation, libéralisation de l’économie et nouveaux modes de gestion des entreprises, ont créé un fort besoin en formation de courte durée. Il s’agissait d’adapter les cadres et techniciens supérieurs aux changements multiples et successifs (les ouvriers n’étaient pas le sujet, grands exclus de la formation, comme les femmes d’ailleurs !).
De là, est sortie une offre pléthorique en bureautique, langues, management, gestion de projet, marketing, qualité, relations interculturelles et développement personnel, pour ne citer que les plus importants. Dans les grandes entreprises, et par extension les ETI jusqu’aux PME bien aidées par les co-financements OPCA, Cadres et Techniciens supérieurs partaient en moyenne tous les 2 ou 3 ans faire leur stage de perfectionnement. Comme on le disait dans ces années-là, « si le stage n’est pas forcément la solution, ça ne pas faire de mal non plus ! ».
Car le stage avait des vertus. C’était une façon simple et rapide d’apprendre l’essentiel dans un domaine. En inter-entreprises, c’était un moyen de s’ouvrir sur d’autres univers, tandis qu’en intra-entreprise, cela permettait de créer la culture d’entreprise. Car dans les années 1980 et 1990, on croyait (ou on laissait croire) encore que la culture d’entreprise était essentielle.
Patatras ! ce type de besoin de formation est devenu obsolète dans les années 2010. Et davantage encore avec la grande (« Great resignation ») ou douce démission (« Quiet quitting ») des années 2020. Les jeunes cadres et techniciens se moquent bien d’aller 3 à 5 jours en stage pour apprendre l’anglais ou le management et même le marketing digital. Primo, ils n’en ont plus besoin, car ils l’ont appris pendant leurs études. Secundo, pourquoi se déplaceraient-ils alors qu’ils peuvent l’apprendre dans leur canap’ ? Et tertio, pourquoi chercheraient-ils à rencontrer les collègues de leur entreprise alors qu’ils ne vont pas y rester (stage intra-entreprise) et des collègues d’autres secteurs (stage inter-entreprises) alors qu’ils ne resteront pas dans leur métier et que, s’ils y restent, ils ont bien d’autres moyens pour découvrir d’autres entreprises et d’autres façons de faire.
Bref, le stage est aujourd’hui définitivement mort. Le passage à la classe virtuelle aura signé son enterrement de première classe. Partir en stage présentiel pouvait encore représenter un moment de divertissement (c’était le moyen de s’évader, de passer un bon moment, de bien manger !). Mais sa version virtuelle via Teams ou Zoom ne présente plus du tout le même intérêt quand bien même l’animateur ou l’animatrice utilise tous les artifices pour favoriser l’activité et l’interactivité.
Nouveaux entrants : on n’a encore rien vu !
Parallèlement et subrepticement, de nouveaux entrants sont arrivés. D’abord, de façon expérimentale via les MOOC’s dès 2012. Le petit monde de la formation s’est gaussée de ces Massive Open Online Courses : « vous avez vu leur taux d’abandon, ils frisent les 90%, et puis comment peut-on apprendre avec de simples vidéos et des quiz ? ».
D’une certaine manière, les grincheux n’avaient pas tort. Mais ils n’ont pas vu que le MOOC, était le ver dans le fruit. L’offre gratuite s’est vite transformée en offre payante avec des services additionnels (mentorat, certification). Et aujourd’hui les cours d’anglais et les stages de management, de marketing ou de développement personnel sont remplacés par des abonnements à l’année à des plateformes de cours en ligne. Dans les grandes entreprises la bascule est déjà faite. Pour les ETI et PME les plateformes de digital learning vont leur permettre de rattraper leur retard. C’est du moins ce que promet par exemple, Simbel qui vient de lever 4 millions d’euros pour se positionner sur ce marché – cliquez ici.
Plus le temps passera, plus les offres vont s’enrichir, car plus les start-up du digital learning auront des revenus pour réinvestir. Le train est parti. Les opérateurs de formation ne l’ont pas vu ou vu trop tard, comme nous allons l’évoquer plus loin.
Le retour de la formation interne
Pour terminer, troisième facteur majeur bouleversant le marché de masse de la formation : le développement de la formation interne.
47 ans de loi Delors avait eu raison de la formation interne. Les entreprises préféraient faire des stages puisqu’elles récupéraient leurs fonds via l’obligation fiscale. Mais, en deux réformes, 2014 puis 2018, les pouvoirs publics ont effacé le mécanisme du « 1% formation ».
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Directeurs et responsables de formation ont alors changé leur fusil d’épaule. Ils se sont mis à former des formateurs internes, les animer, les accompagner. Et cela a bien résonné au sein des entreprises. Car parallèlement, de nouveaux profils de managers, plus ouverts sur la question du management des compétences ont pris conscience de l’intérêt de la formation interne.
D’abord construite selon une logique de remplacement (principe : le stage de formation était animé par un formateur interne au lieu d’être externe – cela faisait concurrence aux organismes de formation, mais ne changeait pas radicalement le modèle pédagogique), la formation interne s’est ensuite rapprochée du terrain.
On le constate tous les jours chez nos clients, les projets de formation interne, qu’ils prennent les aspects d’AFEST, du Co-développement, du mentorat ou encore du tutorat sont loin d’être des épiphénomènes. Ils deviennent leurs priorités. Car non seulement, c’est très efficace (rappelons-nous la fameuse loi du 70 :20 :10 – cliquez ici) mais c’est aussi un formidable moyen pour les directions et services de formation de renforcer leur légitimité.
Et dans ce domaine aussi, les start-up fourbissent leurs armes. Car la formation interne pourrait être aussi lucrative pour ceux qui aident à la mettre en place. C’est ce qu’espèrent par exemple les investisseurs de Fifty, start-up du eDoing qui vient de lever 10 millions d’euros – cliquez ici.
Quelles solutions pour s’en sortir ?
Face à ce constat alarmant, comment les opérateurs du marché de masse de la formation peuvent-ils s’en sortir ? Nous entrevoyons deux impasses et une porte étroite.
La sortie par les co-financements : CPF, alternance, D.E
Le premier réflexe des opérateurs de formation fut (et est encore) d’aller chasser sur de nouveaux marchés co-financés. Et les opportunités furent nombreuses. Depuis 5 ans l’argent coule à flot sur le vaste marché de la formation. La Majorité en place depuis 2017 a fait de la formation, une priorité, comme aucun autre gouvernement ne l’avait fait précédemment, quitte à creuser des déficits abyssaux (cliquez ici).
Résultat les opportunités ne manquent pas. Mais n’est-ce pas non plus des impasses ? D’abord, le robinet est en passe de se refermer. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe sur le CPF. La fin du PIC risque aussi de remettre en cause le volume de formation des demandeurs d’emploi. Quant à la formation en alternance, il ne faut pas être devin pour savoir que l’atterrissage à 1 millions d’alternants, se fera à budget constant ou presque.
Ensuite, les acteurs historiques et les nouveaux entrants (ceux venant du digital learning notamment) n’ont pas attendu les bras ballants. Venir concurrencer aujourd’hui des institutions (comme l’AFPA ou les Pôles formation de l’UIMM, ou, à l’opposé, des start-up comme Open Classroom ou des écoles 100% à distance qui se sont déjà faits une place au soleil), ne se fera pas en claquant des doigts. D’autant plus que les opérateurs du marché de masse de la formation n’ont jamais été réputés pour disposer de solides fonds propres, ni être d’une grande agilité.
La sortie par le digital learning
Le deuxième réflexe est d’aller vers le digital learning. Après tout, les offreurs du marché de masse de la formation ont des contenus et il suffit donc de les médiatiser. Et en plus, les pouvoirs publics sont prêts à les y aider (cf. les politiques d’aide type PIA).
Oui mais : si cette stratégie devait fonctionner, cela ferait longtemps que les leaders auraient transformé l’essai (la Cegos en avait fait une priorité de développement au tournant du siècle). Or, difficile de trouver un opérateur historique qui en 20 ans a sérieusement basculé dans le monde du digital learning, c’est-à-dire réalisé plus de 50% de ses revenus grâce à cette modalité.
Il y a à cela au moins trois raisons :
- La première est qu’il est difficile de se concurrencer en interne.
- La deuxième est que ceux qui ont réussi dans le domaine du digital learning en France, ont commencé il y a déjà très longtemps (Crossknowledge, OpenClassroom, Unow…) et en réalisant de belles levées de fonds.
- Et, surtout la troisième, c’est que ce marché attisant les convoitises est très internationalisé et très capitalistique. Il faudra aller concurrencer Linkedin learning et peut-être même des Netflix ou des Youtube (voir à ce sujet le partenariat entre Netflix et Nike sur les cours de remise en forme – cliquez ici).
La sortie par le haut : l’expertise, le conseil et la pédagogie
Au final, la seule piste de sortie que nous entrevoyons pour ces acteurs du marché de masse de la formation est une sortie par le haut. Celle d’aller sur des niches d’expertise et de conseil, en mettant leur savoir-faire pédagogique au service de leurs offres.
Car il reste, et restera toujours demain, un besoin d’accompagnement pour la montée en compétences. Mais cet accompagnement se fera sur le marché du perfectionnement pointu. Les savoirs de base, les compétences fondamentales ne sont plus le sujet de la formation continue. L’ont-ils été ? On a pu le croire quand le marché était sous la perfusion de l’obligation légale de formation. Puis, certaines start-up et investisseurs dans la EdTech ont voulu nous le faire penser, en brouillant les cartes de la formation continue et de l’éducation professionnelle, pour mieux valoriser leurs entreprises.
Mais la vraie formation en entreprise est celle qui permet à des collaborateurs et des équipes constituées d’apprendre à résoudre leurs problèmes en situation de travail. La formation continue est toujours une formation contextualisée. C’est du cousu-main, du déblocage in situ.
Tant que l’IA ne sera pas suffisamment performante pour aider collaborateurs et équipes constituées à apprendre à “s’en sortir”, un formateur externe apportera encore une valeur ajoutée. Mieux ou différemment qu’un formateur interne, il permettra d’ouvrir les chakras, d’aider à trouver une solution à un problème irrésolu, ou encore de relier des mondes et d’innover.
Cette formation à haute valeur ajoutée est probablement la piste à explorer pour les opérateurs du marché de masse de la formation. Mais la porte est étroite pour s’y engager. Car ne l’oublions pas, apporter de l’expertise et du conseil, sans simplement le transmettre de façon stéréotypée, mais en aidant ceux qui veulent l’acquérir à se l’approprier à leur rythme et en fonction de leurs besoins, cela nécessite un vrai talent pédagogique.