Le gouvernement invite les Universités à s’investir totalement dans la formation continue. En début d’année, à l’initiative du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 12 Universités y compris le CNAM ont été réunies pour mener une expérience de développement de la Formation Continue Universitaire. Elles doivent montrer la voie pour aboutir, si l’objectif est atteint, à 1 milliard d’euros de CA à l’horizon 2020. L’ambition est grande, cela représente un triplement de part de marchés (passage d’environ 5% à 15% – cf Jaune Budgétaire formation 2016 p.152). Le propos n’est pas ici de savoir si elles y parviendront, mais plutôt d’évaluer ce que peuvent en espérer les entreprises.
L’attrait d’une offre certifiante, mais…
C’est l’argument choc des Universités ! Elles détiennent une multitude de certifications qui présentent des intérêts non négligeables pour les entreprises : possibilités de co-financement mais également reconnaissance des salariés à travers l’obtention d’un diplôme.
Mais ces certifications ne sont pas la panacée. Tout d’abord, un grand nombre d’entre elles ne sont pas encore éligibles au CPF, car non enregistrées sur les listes COPANEF, COPAREF ou CPNE. C’est le cas notamment d’un grand nombre de DU.
Ensuite, les universités ne sont pour la plupart qu’au début du travail de découpage par blocs de compétences. Quel intérêt pour les entreprises et les salariés de (faire) suivre un Master ou une Licence Pro quand ces certifications exigent encore une année, voire plus d’études ? Ces certifications ont été conçues à la base pour des étudiants, puis adaptées pour des demandeurs d’emplois, mais elles sont rarement compatibles avec l’emploi du temps d’un salarié.
Certaines directions de programme ont pris conscience de cette difficulté majeure. Elles ont pris l’initiative de concevoir des parcours certifiants flexibles, mixant pédagogies présentielles et distancielles. C’est le cas par exemple de l’Université de Rennes 1 avec le Master “Ingénierie de l’E-Formation”. Mais ces offres restent encore très limitées. Ce qui oblige les salariés à interrompre leur travail pour aller se former, plutôt qu’à s’organiser avec des cours du soir (comme ils peuvent le faire aujourd’hui avec les MOOCs).
Les nouvelles dispositions de la loi El Khomri concernant la VAE pourraient permettre de développer ces formation certifiantes flexibles. Mais le chemin est encore long, vu le peu de goût de la part d’un grand nombre d’Université pour la VAE.
Loi El Khomri : ce qui va réellement changer… – cliquez ici.
Validation des acquis de l’expérience dans les établissements d’enseignement supérieur : la baisse se poursuit en 2015 – cliquez ici.
Ne pas confondre Education, Education professionnelle et Formation professionnelle en entreprise
Dans le grand fourre-tout de la formation des adultes, on a tendance à tout mélanger :
- L’acquisition des connaissances fondamentales qui sont le substrat aux apprentissages futurs et qui relèvent de l’éducation,
- L’acquisition de compétences professionnelles génériques qui permettent d’accéder à un métier et de pouvoir l’exercer quel que soit le contexte organisationnel. Cela relève de l’éducation professionnelle.
- L’acquisition de compétences professionnelles contextualisées qui favorisent l’adaptation au poste de travail et permettent de se perfectionner. C’est le domaine de la formation professionnelle en entreprise. Les compétences sont développées au niveau du poste, d’un emploi précis. C’est en ce sens qu’elles sont contextualisées.
Il est évident que l’Université adresse le premier champ, et pour ce qui concerne certains Master, DU et Licence professionnelle, le deuxième. Elle est très éloignée du 3ème champ, terrain de jeu des organismes de formation privés.
Les besoins actuels des entreprises se situent davantage au niveau du 2ème et 3ème champ. Vu le taux de diplômés, la France des années 2010 ne ressemble en rien à celle des années 1950 / 1960. L’enjeu s’est déplacé de l’élévation générale du niveau d’étude à l’accroissement des compétences opérationnelles.
Par conséquent, la grande majorité de l’offre de formation des Universités ne répond pas aux besoins des entreprises. Ces dernières sont à la recherche essentiellement d’offre en éducation et formation professionnelle. Elles trouvent davantage de réponses crédibles auprès d’organismes tels que l’AFPA ou d’écoles professionnelles (IGS, service continue des écoles de commerce et d’ingénieurs…), des organismes de formation des branches (offre CQP modularisée) et évidemment de spécialistes de la formation en entreprise qu’auprès de services de formation continue de l’Université.
Du donneur d’ordre à l’usager
Les entreprises ont pris l’habitude de travailler avec le marché atomisé des organismes privés de formation (69,2% de part de marché pour les organismes privés contre 4,4% pour l’éducation nationale et les Greta). N’ayant pas d’obligation de réaliser des formations certifiantes, elles se sont tournées vers ces organismes car elles ont trouvé chez eux la réactivité, la qualité, la capacité à faire du sur-mesure et le service client qu’elles attendaient.
Ceux, toujours prêts à faire le procès des organismes de formation, oublient que rien ne poussait les entreprises au départ (le 12 juillet 1971 et la promulgation de la loi Delors pour être précis) à faire appel à leurs services. C’est probablement parce qu’elles pouvaient jouer pleinement leur rôle de donneur d’ordre grâce à une concurrence forte (le nombre d’organismes n’a pas toujours que des inconvénients) qu’elles se sont tournées vers eux.
Aujourd’hui, parce que les organismes de formation ne détiennent pas (encore) le sésame des certifications, les entreprises peuvent être tentées de se diriger vers les services de formation continue des Universités. Mais elles risquent de se retrouver dans la position de l’usager face à l’administration. Est-ce que cela leur conviendra ? Troqueront-elles les certifications (et donc la manne des co-financements) contre leur liberté de choix et leur position dominante dans la relation client-fournisseur ?