Depuis près de 40 ans, le mantra : « Le Manager de proximité est le premier formateur (ou le 1er responsable des compétences) de son équipe » est répété inlassablement dans le petit monde de la formation. Or cet idéal que nous souhaitons tous (Partenaires sociaux, DRH, Spécialistes du développement des compétences, et les Managers eux-même) est loin d’être généralisé.
Par exemple le “505” en formation, consistant à consacrer un entretien de 5′ avant le départ en formation avec son collaborateur et 5′ à son retour pour mettre en place un plan de suivi de la formation, reste encore une pratique minoritaire chez les managers. La multiplication de responsabilités assignées aux managers de proximité, les contraintes d’organisation, leur manque de temps n’expliquent pas complètement les difficultés d’appropriation du rôle de « manager-développeur ». Nous constatons aussi dans nos interventions en entreprises, qu’elles ne peuvent pas se contenter d’inscrire leurs encadrants à une formation « manager-coach » pour que cela fonctionne.
Dans ce premier article sur le sujet, nous abordons les 6 facteurs expliquant la difficulté du management à s’emparer du rôle et comment y palier ?
Dans un prochain article nous pointerons les 6 bonnes pratiques à cultiver en entreprise.
Plusieurs facteurs expliquent la tiédeur de certains managers de proximité à s’impliquer dans le développement des compétences de leurs équipes. Examinons-les et abordons les 1ères pistes d’amélioration.
1. Notre ancien cadre réglementaire excluait le manager de la formation : il en reste des traces…
Entre 1971 (Loi Delors) et 2003 (réforme créant la V1 de l’entretien professionnel) la formation professionnelle était, pour paraphraser Jean-Marie Luttringer, Consultant en Droit et Politiques de formation, “séparée du travail”. Le code du travail valorisait le « stage de formation professionnelle ».
La prescription de formation aux individus (par l’employeur, voire par l’état) était la règle. La formation devenait par ailleurs progressivement une sous-discipline de la gestion des ressources humaines ; puis une fonction en tant que telle dans le courant des années 80. Il était difficile pour un manager « développeur de compétences » de trouver sa place dans ce contexte.
L’introduction de l’entretien professionnel en 2003 a au moins permis de situer « l’encadrant » dans le paysage de la formation ! Bien entendu, dans certaines entreprises d’origine internationale ou les secteurs à forte tradition de compagnonnage, les managers continuaient à être les premiers formateurs de leurs équipes, mais globalement cela restait l’exception.
La loi “Avenir Professionnel” du 5 septembre 2018 redonne aux entreprises le pouvoir de la négociation collective en matière de formation et elle reconnait explicitement que toutes les modalités pédagogiques, y compris l’AFEST et la FAD et pas uniquement le stage, peuvent concourir au plan de développement des compétences. Tous les freins empêchant les lignes managériales de s’impliquer dans la formation des salariés ont théoriquement sauté. Pratiquement, les évolutions des mentalités et des habitudes prennent du temps !
Piste #1 : Communiquer simplement et clairement auprès des managers sur ce qu’on attend d’eux. Puis les accompagner progressivement, par étapes successives dans le rôle et la posture de « manager-développeur » : au départ les mobiliser sur des actions simples et faire avec eux pour les « accoutumer » à leur dimension pédagogique.
2. Les experts de la formation parlent surtout… aux experts de la formation !
Comme la formation professionnelle est progressivement devenue une fonction experte, déclinée en emplois (responsables & ingénieurs pédagogiques en organisme de formation, responsables formation en entreprises, conseillers formations en OPCA puis OPCO et fédérations patronales, juristes en droit de la formation, universitaires et chercheurs spécialisés, Etc.), les experts se sont mis à parler… un langage d’experts. Un jargon propre s’est développé et avec lui les acronymes se sont multipliés. La réglementation n’est pas en reste en imposant en plus du formalisme, des termes obligatoires à utiliser en entreprises et entre partenaires sociaux.. Or le langage et les codes parfois abscons de la formation suscitent une gêne chez de nombreux managers, qui finissent par considérer que décidément la formation reste une affaire de spécialistes !
Piste #2 : éviter le jargon, vulgariser, simplifier, démythifier. Etre pragmatique et orienté “action” et aller à la rencontre des managers en parlant leur langue, pas la nôtre !
3. La pensée magique ?
Le Top-Down et la verticalité des décisions ont du bon, notamment en ce qui concerne les orientations stratégiques des entreprises et il en est de même pour les axes stratégiques du plan de développement des compétences. En revanche le raisonnement selon lequel il suffirait d’affirmer selon les principes du discours performatif que les managers de proximité doivent devenir les développeurs de leur équipe pour que cela soit une réalité, s’apparente un peu à de la pensée magique.
Le développement des compétences des collaborateurs s’inscrit dans le temps long alors que les managers de proximité sont de fait concentrés, focus comme on dit en franglais, sur les résultats à court ou moyen termes. Ce yakafokon injonctif est parfois perçu par les lignes managériales comme paradoxal : « on me demande de m’occuper des compétences de mon équipe mais on ne m’accompagne pas moi-même et mon propre N+1 ne se comporte pas non plus comme mon coach ! »
Piste #3 : s’intéresser aux enjeux opérationnels et aux priorités des managers, prendre en compte leurs contraintes. Les accompagner prioritairement eux-mêmes dans leur propre développement de compétences transverses (communication, posture, etc.). Leur éviter le plus possible le formalisme et la charge administrative liée au Plan de Développement des Compétences.
4. Peu de moyens et pas toujours d’objectifs : dur, dur…
Les plans de développement des compétences délégués aux managers ne sont pas toujours traduits en objectifs et moyens (du temps pour le réaliser, un budget sanctuarisé ou au moins des espaces – temps de formation, un objectif clair et mesurable, des indicateurs etc.). Sauf bien entendu dans les entreprises déjà en avance en la matière !
Piste #4 : attribuer un minimum de moyens. Inciter surtout les managers à se fixer un premier objectif réaliste d’accompagnement et de développement en lien avec la performance opérationnelle attendue (en démarrant par un seul collaborateur par exemple).
La modalité AFEST combinée à une offre de formations numériques sur étagère est idéale dans ce cas de figure. Assurer ensuite un suivi et un soutien des managers par la fonction RH-Formation (pourquoi pas une hotline “développement des compétences” ? Ou encore des points réguliers ?). Surtout, valoriser les premiers succès et efforts fournis en ce sens : encourager les bonnes volontés, recueillir des témoignages de succès pour créer le buzz, etc.
5. Tout ne se résume pas à l’informatique et aux processus, même bien pensés !
Les éditeurs spécialisés dans les solutions informatiques RH-formation ainsi que des consultants comme ceux de C-Campus, proposent d’accompagner les démarches. On dispose d’ores et déjà de nombreuses solutions informatiques pour outiller la co-gestion des compétences par les lignes managériales. Globalement ces outils et solutions informatiques fonctionnent bien, là n’est pas le problème. Le bémol vient plutôt de la perception par certains managers qu’il s’agit d’une nouvelle “RH-rie” (ce néologisme qualifiant « le nouveau truc de la RH qui me tombe dessus»). Le management ne saisit pas toujours où la RH souhaite l’amener ni les avantages de la solution déployée. Certains responsables d’équipe estiment d’ailleurs que la solution informatique de gestion des compétences leur ajoute une charge de travail (ce qui est inexact mais en tous cas c’est leur perception !).
Piste #5 : il ne s’agit pas seulement d’accompagner les managers à maîtriser l’outil ou le processus décentralisé de gestion du PDC (Plan de Développement des Compétences). Il convient également de leur démontrer les usages et bénéfices à en retirer : par exemple pour responsabiliser les collaborateurs dans leur évolution professionnelle, piloter la montée en compétences d’une équipe entière, cultiver les complémentarités entre équipiers ou anticiper les risques de pertes de compétences rares et critiques.
6. La tentation technocratique
La tentation de vouloir faire entrer les managers-développeurs dans un « cadre » existe : contrôler à tous moments les actions de développement des compétences qu’ils mettent en œuvre, leur imposer des modalités, etc. Fort heureusement, la plupart des stratégies formation finissent par démontrer que c’est non seulement inutile mais illusoire.
Personnellement je l’ai compris il y a une vingtaine d’années lorsqu’en charge du développement RH au sein d’un groupe de télécommunications et médias, je rencontrais entre autres son directeur général adjoint pour établir les axes stratégiques du plan de formation en lien avec les dispositifs existants (par ex. feu le “Capital Temps Formation” pour celles et ceux qui ont connu…) et les possibilités de financement OPCA. Mon DGA m’avait gentiment qualifié de « technocrate » lors de la discussion. Après avoir accusé le coup, j’ai retenu sa leçon : La fonction formation (contrairement à certaines autres spécialités RH) ne doit absolument pas se comporter de manière normative vis-à-vis de ses clients managers.
Piste #6 : positionner le service formation comme facilitateur : laisser de côté le cadre réglementaire et la sophistication de notre système de formation, sujets qui ne concernent pas directement les managers.
Après cette entrée en matière des 6 raisons de la désimplication des managers dans le développement des compétences de leur équipe, nous voyons dans le second volet de cet article des recettes simples d’entreprises où les managers développent vraiment le capital compétences des équipes !
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