L’action de formation en situation de travail (AFEST) est incontestablement un enjeu majeur de la dernière réforme de la formation. Véritable opportunité pour les différents acteurs de la formation, elle représente en particulier une modalité d’apprentissage tout à fait adaptée pour les TPE et PME. À condition de bien avoir à l’esprit les contraintes propres à ce type d’organisation. Ali Shariatian, doublement titulaire de la certification “Accompagnement des apprentissages et de la formation en situation de travail” (AAFEST) et de la certification à l’évaluation Kirkpatrick Four Levels® (niveau bronze), nous fait part de son expérience à ce sujet.
Qui êtes-vous et quel est votre parcours ?
Je travaille depuis plus de 20 ans dans le conseil aux entreprises. J’ai cofondé une ESN (entreprise de services du numérique) en 2003, vendue en 2017, et j’ai lancé depuis www.expertiseponctuelle.com qui propose des prestations ponctuelles d’expertise en IT, Digital et RH. Nos prestations sont l’audit, l’optimisation, la résolution de problèmes, ainsi que la formation terrain sous forme de transfert de compétences.
Pourquoi avez-vous voulu obtenir la certification de référent AAFEST ?
Dans notre métier de conseil, nous réalisons depuis longtemps des prestations de transfert de compétence, une sorte de formation terrain. Cela peut être par exemple la mise à niveau des développeurs informatiques sur telle ou telle technologie dans leur propre environnement de travail, ou encore la formation sur le terrain des responsables RH pour la mise en place de la base de données économiques et sociales de leur propre entreprise, etc.
Néanmoins toutes ces prestations étaient effectuées joyeusement sans ingénierie pédagogique. C’est-à-dire que ces transferts de compétences n’étaient ni tracés, ni évalués, le tout effectués par nos experts peu rompus aux techniques de formation terrain.
Je me suis donc intéressé aux problématiques de formation terrain en me renseignant sur le web. J’ai d’abord été un peu rebuté par la littérature verbeuse et la vacuité des contenus sur la formation professionnelle, avant de tomber par hasard sur le blog de C-Campus qui m’a permis de mieux cerner le cadre pédagogique des formations terrain.
J’ai échangé alors plusieurs fois avec Henri Occre qui m’a aidé à clarifier notre besoin, et j’ai profité d’une mission de coaching technique sur le terrain durant six mois pour suivre le parcours de formation de référent AAFEST chez C-Campus.
Quelles sont les spécificités des PME et TPE que vous avez pu observer en matière de formation ? Qu’en attendent les dirigeants ?
Dans les petites structures, la réalité de tous les jours est justement l’absence de structure. Or qu’est-ce qu’une entreprise structurée ? C’est un patrimoine dans lequel on investit pour générer des profits plus tard. Il y a une logique d’investissement, c’est-à-dire du temps. Tandis qu’une entreprise non structurée – l’écrasante majorité des TPE/PME – c’est juste un statut (SARL, SAS…) avec des associés qui travaillent pour facturer dès que possible et faire du chiffre d’affaires. Il n’y a pas de logique de temps de maturation : on est dans un esprit de survie alimentaire.
De ce fait, dans une PME non structurée, les patrons travaillent dans leur PME, alors que dans une PME structurée, les patrons travaillent sur leur PME. Et la formation est justement un investissement, au même titre que les outils de production ou la recherche et développement. Cela veut dire que la formation ne génère pas du chiffre d’affaires, mais qu’elle contribue au chiffre d’affaires. La grande majorité des TPE/PME étant non structurées, il y a de très grandes chances que les dirigeants soient hermétiques aux investissements qui contribuent au chiffre d’affaires.
Très souvent, la formation professionnelle est vue plutôt comme une cerise sur le gâteau. Une sorte d’avantage pour les employés, tous frais payés par des organismes dont on connaît à peine le nom et la fonction. La réforme de la formation professionnelle va obliger les PME et les salariés à voir la formation justement comme un investissement. Mais nous en sommes encore loin.
Il faut un certain état d’esprit pour comprendre réellement ce qu’est un investissement. Nous sommes tous câblés pour nous tirer d’affaires, très peu pour faire des affaires. Nous comprenons intuitivement un compte de résultat, un chiffre d’affaires ou un revenu. Mais il faut des années pour comprendre ce qu’est un bilan, un actif ou un patrimoine.
En résumé, plus un dirigeant travaille sur sa PME, plus il voit positivement la formation comme un investissement dans son bilan. Plus un dirigeant travaille dans sa PME (en tant que consultant, manager, administrateur, etc.), plus il regarde négativement la formation comme une charge dans son compte de résultat.
Comment convaincre les commanditaires ? Quelles sont les particularités des AFEST en TPE/PME ?
L’AFEST est très souvent pilotée par les professionnels de la formation, dont le métier tourne autour de l’ingénierie pédagogique et des méthodes. Pour caricaturer, un patron de PME à table jugera la qualité des plats à leur goût, un formateur jugera la qualité des plats à l’exhaustivité et à la présentation du menu !
La clé de réussite d’un dispositif AFEST se trouve justement dans ce “No man’s land“, entre les besoins opérationnels d’une PME, et l’impératif de procéder avec un modèle et une structure. Comment faire alors pour apporter une démarche pédagogique là où les urgences constituent la norme ?
Il faut dès le départ être conscient de la différence entre une PME peu structurée, et une grande entreprise ayant un organisme de formation interne. Pour les grands organismes, la réussite de l’AFEST dépend du talent politique de ses promoteurs. Dans un premier temps, il va falloir convaincre les décideurs à refondre une partie de l’ingénierie de formation en mode AFEST. Il s’agit typiquement d’une question de gestion de changement que l’on retrouve dans les entreprises en transformation. Il faut sensibiliser, prouver à coup de projets pilotes et déployer en gérant les résistances internes au changement.
Dans les PME, il s’agit d’une toute autre affaire. La réussite de l’AFEST dans une PME ne consiste pas à apporter de la méthode, mais des résultats. Il va falloir s’inspirer des métiers du conseil, avant même le démarrage de la formation.
Les sociétés de conseil pratiquent depuis longtemps une certaine forme d’apprentissage en situation de travail, sous forme de transfert de compétences. Il s’agit de séquences courtes de formation terrain, mais généralement sans aucune ingénierie pédagogique. C’est un joyeux mélange de démonstrations, de feedback et d’explications, le tout sans tenir compte des styles d’apprentissage, de l’analyse des pratiques ou des motivations du client. Après tout, les sociétés de conseil traitent avec un client, et non avec des apprenants.
Par ailleurs, le modèle de business d’une société de conseil consiste à valoriser l’expertise de leurs consultants, ce qui a pour effet de transformer le consultant en un “CV ambulant” : il est là pour briller en son propre nom. Par conséquent les astuces et les tours de main seront jalousement gardés.
Le marché du conseil étant assez large, les sociétés de conseil doivent attirer et garder leurs consultants contre un salaire attractif en CDI. Le taux d’activité du consultant devient alors un paramètre crucial des résultats de l’entreprise, et le salaire d’un consultant non affecté à un projet devient rapidement problématique. Un client mal formé devient alors un client plus rentable, car obligé d’externaliser une partie des tâches vers les consultants de la société de conseil. C’est pourquoi le métier du conseil a par nature intérêt à rester proche des résultats opérationnels, tout en évitant de former les clients.
A contrario, le modèle de fonctionnement des organismes de formation étant orienté vers des prestations ponctuelles, ces structures sont adaptées à des taux d’activité “en dents de scie”. Les tarifs journaliers des formations sont alors supérieurs à ceux pratiqués dans le conseil, puisque le taux d’activité est plus faible. Et pour que le client puisse en avoir pour son argent, il va falloir lui transmettre des livrables. L’effet secondaire de ce modèle est la production de livrables “au kilo”, où l’on enfonce des portes ouvertes à coup de méthodes, de schémas et de process ampoulés.
Quelle posture choisir alors pour convaincre un dirigeant de PME de la pertinence d’un projet AFEST ?
Une méthode consiste à tenir compte des résultats opérationnels dans la conception même de l’AFEST, en se basant sur les niveaux 4 et 3 (résultats d’abord, puis comportement) du modèle d’évaluation de Kirkpatrick.
Cette méthode permet au formateur (ou référent) d’utiliser les techniques de conseil, tout en gardant une casquette de formateur. En effet, il s’agit de formaliser des résultats et pratiques attendus en amont, ce qui est conforme à la posture d’un formateur. Si le formateur (ou référent) met une casquette de consultant pendant la formation, l’intention pédagogique risque d’être oubliée par le commanditaire de la formation.
En effet, n’oublions pas que l’AFEST reste une modalité de formation avec une intention pédagogique. Le fait de s’acharner à prouver la contribution de la formation aux résultats opérationnels peut tout simplement faire oublier au patron de PME qu’il s’agit d’une formation, et non d’une prestation opérationnelle de conseil.
En conclusion, pour bien gérer les commanditaires d’une PME dans une démarche d’AFEST, il est nécessaire d’utiliser quelques techniques de conseil en amont de la formation.
Comment gérer les sachants et les apprenants ?
Une fois l’AFEST bien calibrée au niveau des commanditaires de la PME, il va falloir positionner les apprenants et surtout prévoir les parcours avec les sachants (tuteurs, coachs, facilitateurs…).
La première difficulté sera l’analyse du travail des apprenants. Avec un peu de chance, les PME d’une certaine taille possèdent une fonction RH qui aidera à formaliser les apprentissages. Dans les TPE, par contre, non seulement les fiches de poste sont rares, mais le “drame” peut aller jusqu’à l’apprenant qui découvre sa raison d’être dans la société à l’occasion de l’AFEST !
Le bon positionnement de l’apprenant et la conception de son parcours demandent alors beaucoup de temps et de formalisme, c’est-à-dire les deux choses les plus “surréalistes” dans une TPE. Le commanditaire et l’apprenant s’attendent à participer à une formation, non pas à une ingénierie pédagogique. Pourtant, sans une bonne analyse du besoin, sans la contractualisation des attendus et sans la formalisation des engagements des acteurs, l’AFEST risque de finir tôt ou tard en une sorte de management par procuration de l’apprenant. Et si, par malchance, l’apprenant est un cadre, les séances de l’AFEST se transformeront en gestion des problèmes de management internes de la PME.
En ce qui concerne les tuteurs ou les coachs de l’apprenant, il existe deux cas de figures : d’un côté, les sachants formés aux techniques pédagogiques terrain et, de l’autre, “les sachants sachant tout”. Avec la première catégorie, le référent AAFEST pilotera le parcours comme une véritable équipe, en assurant intelligemment les régulations et les remédiations, ainsi que la réflexivité nécessaire à l’AFEST. Un sachant non sensibilisé à la pédagogie peut non seulement dévier du parcours prévu, mais éprouvera également des difficultés dans sa posture d’accompagnateur (distanciation, centrage sur l’apprenant, la réflexivité). Or, il est difficile de sensibiliser un expert dans une PME – sans parler de le former – sur les nécessités pédagogiques d’un tel parcours : “c’est pas vous qui allez m’apprendre mon métier !”
Pour respecter le parcours pédagogique prévu, la solution consiste à faire participer activement le commanditaire dans le suivi du parcours, en lui laissant le soin de recadrer l’expert le cas échéant. Quant aux techniques pédagogiques, le référent peut insister à minima sur les impératifs contractuels de l’AFEST relatifs à la réflexivité, et superviser les séances d’analyses réflexives avec l’apprenant.
Quelles perspectives suite à une première AFEST ? Comment pérenniser une première expérience en TPE/PME ?
L’AFEST permet d’accompagner efficacement les PME dans leurs enjeux de recrutement, d’intégration ou d’évolution de poste.
Néanmoins, le référent doit préparer sa sortie pour que le collaborateur puisse continuer sa montée en compétences. Pour ce faire, il faut que la PME continue à aménager une partie du temps de travail disponible du collaborateur – avec par exemple un parcours d’autoformation – en vue de continuer l’apprentissage.
À l’issue de l’AFEST, faute d’aménagement de son temps de travail, le collaborateur risque de reprendre les bonnes vieilles habitudes, et se contenter des apprentissages et comportements déjà acquis.
En conclusion, pour intégrer durablement l’AFEST dans la culture et dans le management d’une PME, il convient d’insister plus sur le “A” d’apprentissage que sur le “F” de formation.