L’utilisation des jeux sérieux (serious games) en formation n’est pas une pratique récente et nombre de professionnels ont pu côtoyer ceux-ci, avec plus ou moins de succès. Mais les mécanismes du jeu vidéo se limitent-ils à ceux-ci ? Quelles autres possibilités sont offertes par le jeu vidéo pour développer les compétences des apprenants ? Les Learning Games (que l’on peut aisément traduire par “jeux d’apprentissage”) sont ainsi promus et développés par Ashot Tchilingarian et son équipe de la société Lab Venture Games. Ce dernier a bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses pour le blog de C-Campus.
Pourquoi avoir créé Lab Venture Games ? En réponse à quels besoins ?
Notre aventure dans la gamification a pour origine deux constats :
- à travers leurs expériences de jeux, les gamers développent des compétences (soft skills) bien précises ;
- les entreprises forment en permanence leurs collaborateurs sur ces mêmes compétences.
Il y a cependant une différence majeure entre le joueur et le collaborateur en termes de développement des compétences : personne ne demande, voire n’oblige un joueur à développer ses compétences. Il le fait car il prend du plaisir à jouer. L’univers du jeu éveille sa curiosité. Le scénario le passionne et il a une forme d’immersion dans le jeu. Il est également challengé, soit par l’intelligence artificielle (IA), soit par les autres joueurs. Et il s’amuse ! Et au fur et à mesure de son parcours dans le jeu, il développe ses compétences.
Apprendre en jouant. C’est assez basique comme concept, mais pas très répandu.
Or, apprendre en jouant c’est ce qui permet de générer de la motivation, de l’engagement, de la mémorisation. Et c’est un réel besoin de la part des entreprises.
Il faut ajouter à cela, un fort besoin de de digitalisation depuis quelques années, que ce soit pour les outils du quotidien ou pour les pratiques (comme les formations à distance).
En quoi consiste votre activité ?
Nous faisons le lien entre le jeu vidéo et la formation en entreprise. Nous créons ainsi un pont qu’on peut appeler learning games.
Cela consiste à intégrer des contenus issus des formations dans des jeux vidéo adaptés au format entreprise. Le but est d’amener le collaborateur dans un univers immersif dans lequel il va retrouver les concepts fondamentaux d’une formation, ou bien l’inciter à adopter une attitude particulière, comme la collaboration avec les autres, l’organisation et le partage d’informations, ou encore la gestion du temps et du stress.
Que ce soit les concepts ou les attitudes, nous les retrouvons souvent dans les jeux vidéo. Ils ne sont pas nommés ainsi et sont multiples. Notre rôle c’est aussi d’identifier, de nommer et de sélectionner ceux qui sont en adéquation avec les attentes des entreprises et de les proposer soit à travers un gameplay, un environnement ou un contenu narratif.
En quoi vous différenciez-vous des serious games “classiques” ?
Dans le concept de serious games, la notion de sérieux l’emporte souvent sur celle du jeu. Pour ce qui est de notre approche de learning games, le jeu n’est pas privé de son aspect ludique. Il est simplement adapté à un contexte d’apprentissage.
En effet, nous attachons une importance particulière à proposer des jeux ludiques, à ce que le collaborateur s’amuse, qu’il prenne du plaisir à jouer et qu’il soit motivé par le contenu du jeu. C’est à cette condition que nous pouvons observer de l’engagement de sa part et, par conséquent, un ancrage mémoriel plus important.
En ce sens, et contrairement à la plupart des serious games, nos jeux ne simulent pas le quotidien des apprenants. Les univers proposés sont fictifs mais favorables au développement des compétences.Proposer une situation identique à celle que rencontre le collaborateur ne favorise pas l’apprentissage. C’est l’intention que l’on met dans le jeu et le sens que l’on lui donne qui en fait un outil au service de l’apprentissage et non sa similarité avec la situation réelle.
Comment vos productions sont-elles utilisées par les organismes de formation ?
Nous avons deux types de productions :
- Les jeux sur étagère : ils sont créés de manière à être intégrés dans la plupart des formations existantes, car en plus d’être adaptés à des thématiques particulières, ils sont de parfaits outils de type icebreaker. D’une durée comprise en 30 et 45 minutes, il sont jouables en quelques clics avec la supervision du formateur qui anime la séance. Ces jeux sont intégrés au catalogue de l’organisme de formation partenaire qui les propose à ses clients.
- Les jeux sur mesure : ils sont réalisés pour un client unique et en partenariat avec un organisme de formation. Ce dernier a un rôle pédagogique et co-crée avec nous un jeu pour son client. Le jeu est entièrement personnalisé (type de jeu, pitch, graphismes, contenu pédagogique…) à l’image du client.
Quels sont vos retours d’expérience avec les entreprises ?
“C’était le moment fort de la formation” nous disent les formateurs.
Nos jeux marquent souvent les esprits et permettent de sortir de la routine. Lorsqu’ils sont utilisés en distanciel, les entreprises nous indiquent que l’engagement des collaborateurs est très important et les retours des apprenants sont très positifs, et notamment pour les plus jeunes (25-45 ans).
Avez-vous un exemple de Learning Game à nous présenter pour illustrer vos propos ?
Oui, bien sûr. Prenons par exemple Paris 1889, qui est un jeu d’enquête en groupe qui se déroule, comme son nom l’indique à Paris en 1889.
Nous sommes à quelques heures de l’inauguration de l’Exposition Universelle et l’organisateur de cet événement a disparu. Le commissaire de Paris mobilise donc ses brigades pour le retrouver rapidement.
Les joueurs incarnent des des policiers qui enquêtent en groupes sur cette disparition. On compte plusieurs groupes et des scènes d’enquêtes différentes par groupe. Les enquêteurs doivent trouver des indices sur chaque scène d’enquête, les mettre en commun pour aller sur une scène d’enquête finale commune, où ils devront avancer tous ensemble à travers une dernière énigme qui exige de bien communiquer et se coordonner.
Paris 1889 a été pensé commune une illustration de ce qu’est une entreprise : des services différents, qui ont des tâches différentes, mais qui doivent être mises en commun dans un but unique. Ce jeu fait appel à la capacité à gérer des tâches et à communiquer efficacement dans un groupe, mais aussi entre plusieurs groupes.
Ce que nous aimons observer dans ce jeu, ce sont des comportements spontanés de type “J’ai cette information, à qui peut-elle servir ?”. Ou bien des joueurs qui se déplacent de groupe en groupe pour visualiser les tâches des autres et partager plus facilement les indices de leurs enquêtes. En somme, des comportements qui favorisent les échanges et qui font de plusieurs groupes, une seule et grande équipe.
Paris 1889 se joue sur PC, et uniquement à la souris (la prise en main est très accessible, même pour des non joueurs). Le jeu est accompagné de supports “papier” qui comportent des indices pour l’enquête. Au total, le jeu dure 30 minutes et il faut compter une durée totale de 45 minutes avec la mise en place du jeu et le débriefing.
Quels sont vos projets de développement ?
Les champs d’application de la gamification sont vastes et nous avons plein d’idées.
Toujours dans le cadre de la formation, nous réfléchissons à des jeux qui seront intégrés dans le cadre de l’action de formation en situation de travail (AFEST). Avec des mécanismes tout à fait inédits et des univers totalement personnalisés, nous aurons des jeux parfaitement intégrés dans le quotidien du collaborateur et qui favorisent les comportements d’apprentissage.
Nous travaillons également sur des jeux pour le recrutement. On peut souvent comprendre beaucoup sur une personne quand on comprend sa façon de jouer. Notre objectif est d’apporter en plus des jeux, des grilles de lectures et des données sur les sessions de jeux, qui permettront aux recruteurs d’avoir une autre vision des profils de leurs candidats.